FYI.

This story is over 5 years old.

Drogue

Les nouvelles lois sur la conduite avec facultés affaiblies donnent aux policiers un pouvoir démesuré

Des conducteurs complètement sobres pourraient se retrouver avec un casier judiciaire.
Photos via Shutterstock

En ce début d’été, les yeux étaient tournés vers l’adoption de la loi sur le cannabis, qui en rendra l’achat à des fins récréatives légal au Canada le 17 octobre. Mais le gouvernement a aussi adopté son projet de loi C-46 qui modifie les dispositions du Code criminel portant sur la conduite avec facultés affaiblies, conférant de nouveaux pouvoirs à la police au passage.

Les modifications créent de nouvelles infractions, comme la conduite avec une quantité de THC dans l’organisme supérieure aux limites fixées, et renforcent les règles en matière d’alcool au volant. Bien que cela semble positif — personne ne veut croiser des conducteurs saouls sur la route —, des experts affirment que des parties de ces dispositions sont inconstitutionnelles et bafouent des droits des citoyens.

Publicité

Voici les principaux points à retenir de ces mesures.

  • Les policiers pourront imposer l’alcootest à quiconque sans motif raisonnable de soupçonner qu’il y a conduite avec facultés affaiblies.

Auparavant, les policiers devaient avoir un « motif raisonnable » pour obliger un conducteur à subir un alcootest. Parmi les motifs raisonnables, il y a la conduite erratique, les troubles d’élocution, les yeux rouges, l’odeur d’alcool ou de l’alcool visible dans la voiture. Désormais, depuis l’adoption du projet de loi C-46, ils ont le pouvoir de faire subir un alcootest aléatoirement à tout conducteur, sans motif particulier.

« La barre qui permet à la police de vous faire souffler dans un appareil au bord de la route est très basse », dit Grant Gotgettreu, un policier retraité de Vancouver-Ouest. « Ça semble arbitraire, intercepter des conducteurs au hasard, et je pense qu’il y a un potentiel d’abus parce que les policiers sont des humains. »

Il ajoute que les policiers pourraient cibler des gens en raison de leur couleur de peau ou parce qu’ils ont une voiture qui flashe, ou encore parce qu’ils sont en colère, et il s’attend à des plaintes de la part de gens qui auront été forcés de souffler dans l’alcootest sans raison apparente.

L’avocat spécialisé en cannabis Jack Lloyd pense aussi que les gens de couleur seront interceptés de manière disproportionnée. Il dit que cet aspect de la loi sera probablement contesté au motif qu’il serait inconstitutionnel. Il pourrait être considéré comme une fouille, perquisition ou saisie abusive, dit-il, et la loi elle-même n’a aucun lien rationnel avec la prévention effective de ce qu’elle a pour but de prévenir.

Publicité

  • Refuser de souffler dans l’alcootest est un crime qui pourrait vous valoir un casier judiciaire.

C’est déjà un crime, mais maintenant la police aura le pouvoir de faire subir un alcootest à quiconque sans motif raisonnable. Si vous n’êtes pas d’accord et décidez de le faire savoir en refusant, vous vous retrouverez avec un dossier criminel.

Disons qu’un policier vous demande de souffler dans l'alcootest et que, sachant que vous n’avez rien bu, vous refusez d’obtempérer. Il s’agirait d’une omission ou d’un refus de fournir un échantillon, explique Lloyd, ce qui est « aussi grave que d’être reconnu coupable de conduite en état d’ébriété ». Bref, des personnes sobres au volant pourraient se retrouver avec un casier judiciaire.

  • Le gouvernement a établi des limites de THC par millilitre de sang, mesurées en nanogrammes. Conduire avec deux nanogrammes ou plus dans le sang est une infraction criminelle.

La loi crée trois infractions de conduite avec facultés affaiblies, passibles de peines variables :

-2 à 5 nanogrammes de THC par millilitre de sang au volant ou dans les deux heures suivant la conduite : une amende maximale de 1000 $.

-5 nanogrammes ou plus de THC par millilitre de sang au volant ou dans les deux heures suivant la conduite (infraction punissable par procédure sommaire ou un acte criminel) : une amende minimale de 1000 $ et, à partir de la deuxième infraction, un emprisonnement obligatoire de 30 jours. -50 milligrammes (mg) d’alcool par 100 ml de sang et 2,5 nanogrammes ou plus de THC par ml de sang au volant ou dans les deux heures suivant la conduite : une amende minimale de 1000 $ et, à partir de la deuxième infraction, un emprisonnement obligatoire de 30 jours.

Publicité

Kyla Lee, avocate de Vancouver spécialisée dans la défense de personnes accusées de conduite avec facultés affaiblies, dit que les provinces pourraient aussi imposer des peines supplémentaires. En Colombie-Britannique, par exemple, si le liquide buccal fourni par le conducteur contient plus de nanogrammes que la limite permise, le permis de conduire peut être révoqué sur-le-champ.

Contrairement à l’alcool, pour faire subir un test de détection de drogue ou exiger un échantillon de salive, un policier doit avoir des motifs raisonnables de croire que le conducteur est sous l’effet d’une drogue. Mais ces tests ne permettent pas de déterminer que les facultés sont affaiblies, et les détracteurs affirment que la limite fixée par le gouvernement est arbitraire.

De plus, comme le THC est emmagasiné dans les cellules graisseuses et ensuite libéré dans le sang, il peut rester dans l’organisme longtemps. Par conséquent, les consommateurs de cannabis, à des fins médicales ou récréatives, risquent de dépasser la limite permise de THC dans le sang, même si leurs facultés ne sont pas affaiblies.

Kyla Lee affirme que, si un policier présume qu’un conducteur est sous l’effet de drogue et que le résultat du test correspond à la présomption du policier, les facultés du conducteur seront jugées affaiblies par cette drogue.

« Au fond, ils disent qu’on n’a pas à prouver qu’une personne a les facultés affaiblies, dit-elle. Ça crée un énorme raccourci pour la poursuite dans toute affaire de conduite avec facultés affaiblies par la drogue. »

Publicité

Jack Lloyd pense que les limites seront contestées au motif qu’elles ne sont pas réellement liées aux facultés. Il ajoute qu’exiger un échantillon de salive est une « violation de la vie privée majeure » qui devrait requérir un mandat et que le temps que prend l’analyse des fluides buccaux — environ sept minutes — est trop long et pourrait également être considéré comme contraire à la condition de procéder « dans les meilleurs délais ».

  • Les appareils de dépistage peuvent donner des résultats erronés.

Le gouvernement n’a pas encore présenté les appareils de détection approuvés, mais Kyla Lee dit que les trois qui sont évalués sont susceptibles de donner des résultats erronés à de basses ou hautes températures. L’un d’eux est fiable entre 10 et 25 °C, tandis qu’un autre l’est entre 15 et 25 °C », précise-t-elle.

« Pour de nombreuses personnes qui vont fournir du liquide buccal, l’analyse donnera des résultats erronés parce qu’on vit dans un pays nordique. »

D’ailleurs, l’ex-policier Grant Gotgettreu dit que le même genre de chose s’est produit quand il a reçu sa formation sur les alcootests dans les années 90. « Vous pouviez avoir des résultats au-delà de la limite à cause d’interférences radio », assure-t-il.

  • Les policiers pourront effectuer des analyses de sang.

À l’heure actuelle, seuls les professionnels des soins de santé ou des techniciens qualifiés peuvent effectuer des analyses de sang. Mais Kyla Lee dit que la définition des « techniciens qualifiés » sera élargie pour inclure les policiers.

Publicité

« C’est extrêmement problématique et dangereux », s’exclame-t-elle, faisant remarquer qu’il sera possible de prélever un échantillon de sang au bord de la route ou dans un poste de police, où « il n’y a pas de salle stérile ». Elle estime qu’il y a aussi un risque pour les policiers eux-mêmes. Par exemple, s’il y avait une confrontation, une personne atteinte d’une maladie transmissible par le sang pourrait piquer un policier avec une aiguille infectée.

  • Les détracteurs disent que les mesures législatives dépassent les bornes.

Grant Gotgettreu, qui a passé une grande partie de ses 30 années de service sur la route, juge que les policiers devraient se servir des bonnes vieilles techniques de la police pour détecter les facultés affaiblies.

Si vous remarquez qu’une voiture zigzague, interceptez le conducteur et parlez-lui, recommande-t-il. Est-ce que c’est à cause d’un problème de santé? de l’alcool? de la drogue? Est-ce qu’il sait conduire? Vous devriez être en mesure de dire si une personne n’agit pas normalement ou si elle a un problème de dextérité. Si c’est le cas, procédez à d’autres vérifications. La police compte des experts en reconnaissance de drogues qui déterminent si une personne a les facultés affaiblies en procédant à une évaluation en 12 étapes.

D’après son expérience, il y a des ressemblances entre les conducteurs ivres et les conducteurs gelés, mais les conducteurs ivres sont généralement beaucoup plus agressifs. Il note aussi qu’il y a des conducteurs gelés sur les routes depuis des décennies.

« Je pense que des personnes au gouvernement et dans les médias jettent de l’huile sur le feu de l’hystérie, dit-il. Je comprends les bonnes intentions derrière, mais la route de l’enfer est pavée de bonnes intentions. »

Suivez Manisha Krishnan sur Twitter .