Drogue

Ce que ça fait de dealer de la weed quand on est migrant

« J'aimerais avoir un boulot normal, aller travailler, recevoir mon salaire. J'aimerais bien ça. »
dealer quand on est migrant
Illustration : Hunter French

Ele*, est un homme de 32 ans à la voix douce. Il vient d’Afrique du Nord et vend de la weed à Exárcheia, un quartier du centre d’Athènes connu pour ses salons de tatouage, ses graffitis, ses stupéfiants, ses émeutes et sa population réfugiée. Les descentes policières contre les dealers, les anarchistes et les squats s’y sont intensifiées depuis que le nouveau gouvernement grec s'est engagé à « nettoyer » la zone en juillet. Pour survivre, Ele vend de la marijuana. On a discuté avec lui de cet emploi qu'il aimerait quitter pour un job « normal ».

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VICE : Salut, t’es dispo ?
Salut, mec.

Quels produits vends-tu dans le square d'Exárcheia ?
Je ne vends que de l'herbe. D'autres vendent de la coke et de l'ecstasy, mais je n'aime pas ça, donc je n’y touche pas.

D’où viens-tu ?
Je préfère ne pas le dire parce que tout le monde va penser que les gens qui viennent de mon pays sont de mauvaises personnes. J'ai essayé d'obtenir un emploi normal en Grèce et j'ai travaillé quelque temps dans un restaurant, mais à la fin, ils n'ont pas pu m'embaucher même si j'ai l'asile et l'assurance sociale ici. L'entreprise qui possède le restaurant a refusé de me mettre sous son régime d'assurance.

Comment gagnais-tu ta vie dans ton pays d’origine ?
J’étais coiffeur. J’ai un diplôme, même.

Pourquoi as-tu fui ?
Je ne gagnais pas assez d’argent. Je suis venu ici pour avoir une meilleure opportunité et améliorer ma situation. Ce n'est pas que j'avais un problème spécifique dans mon pays, mais si vous voulez vivre une vie normale, vous devez travailler et être payé à la fin de chaque mois. J’aimerais pouvoir vivre dans mon pays, mais je n’ai pas les moyens d’y avoir des enfants, d’y fonder une famille.

« Je vends des sachets de trois grammes pour dix euros. J’en vends une trentaine par jour et je gagne trois euros sur chaque pochon vendu »

Le quartier d'Exárcheia est plein d’anarchistes. As-tu des interactions avec eux ?
Je n’ai aucun problème avec eux. Mais peut-être qu’ils ne savent pas que je deale, étant donné que je ne reste que quelques heures, le temps de gagner le cash dont j'ai besoin. Mais d'autres dealers considèrent les anarchistes comme des mafieux. Les anarchistes leur disent toujours d'arrêter de dealer. Mais les gens n'ont pas de quoi manger, c'est pour cela qu’ils dealent. Parfois, les anarchistes tabassent les dealers parce qu'ils ne veulent pas de ce genre d'activité dans leur quartier. Une fois, j’ai failli y passer, mais j’ai réussi à m'échapper. Ils portaient des cagoules. J'ai vu un type le lendemain après sa sortie de l'hôpital et j'ai été choqué, il était défiguré. Il avait un bras cassé, le nez cassé, une cicatrice sur le visage. Maintenant, à cause de cette cicatrice, il ne trouvera jamais de travail dans la vente ou la restauration.

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Aimes-tu ce que tu fais ?
Non, pas du tout. Si jamais je trouve un travail et que tu me vois continuer à faire ça, coupe-moi les mains, s’il te plaît. Quand vous êtes étranger et que les flics vous surprennent, vous en payez le prix fort. Je n'ai jamais été arrêté et j'espère ne jamais l’être. S'ils m'attrapent, je vais tout droit en prison. J'aimerais avoir un job normal et recevoir un salaire. J'aimerais beaucoup. À la fin de la journée, j’ai peu d’argent dans la poche. C'est dur de dormir, de manger, de vivre. C'est pour ça que je vends.

Comment trouves-tu tes clients ?
Beaucoup de gens savent qu’il faut venir ici pour acheter de l'herbe. En général, ils s'approchent de moi et me demandent si j’en ai.

Combien de clients vois-tu par jour et combien gagnes-tu ?
Je vends des sachets de trois grammes pour dix euros. J’en vends une trentaine par jour et je gagne trois euros sur chaque pochon vendu, donc environ 80 ou 90 euros par jour. Cela me suffit pour payer ma chambre d'hôtel, quelques cigarettes et un petit truc à manger.

Pourquoi ne loues-tu pas un appartement ?
Parce que personne ne veut m’en louer un. Lorsque j’explique aux propriétaires d’où je viens, ils répondent automatiquement « non, désolé, c'est déjà loué ».

Qui reçoit les sept autres euros pour chaque sachet vendu ?
Le type qui m'apporte la drogue. Il est soit grec, soit albanais. Mais c’est juste l’intermédiaire.

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Où se procure-t-il la drogue ?
La weed vient d'Albanie et de Grèce. C'est la mafia albanaise qui dirige le marché, mais je ne l'ai jamais rencontrée directement.

Qui sont tes clients ?
Il y a beaucoup de touristes, mais aussi de Grecs. Les touristes viennent de partout : Canada, Italie, États-Unis, France, Allemagne. Tous les gens qui viennent ici veulent acheter des trucs. Je n'ai jamais eu d'ennuis avec mes clients parce que je leur parle toujours gentiment. Je ne suis pas du genre mafieux. Et je ne démarche personne, j'attends qu’on vienne me voir.

Quel genre de travail aimerais-tu faire ?
Honnêtement, n’importe lequel.

N’as-tu pas un rêve ?
Si je pouvais ouvrir un salon de coiffure ici et avoir une clientèle fidèle, ce serait super.

Que dirais-tu au Premier ministre grec si tu en avais l’occasion ?
Merci de poser la question. Je suis un étranger dans son pays. Il y a beaucoup de réfugiés ici, dont la plupart sont des gens bien, même si, c'est vrai, certains sont mauvais. Mais si vous donnez à ces gens la chance de travailler, vous verrez qu’ils ne vous poseront aucun problème. Je peux seulement parler pour moi, mais c'est tout ce que je veux.

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