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Éradiquer le virus Ebola : à la recherche du dernier patient au Liberia

La course vers le nombre zéro de patient atteint par le virus Ebola est longue et sinueuse, mais marque un symbole essentiel dans les pays touchés par l'épidémie. Retour sur une lutte qui court depuis plus d'un an au Liberia.
Photo by Kayla Ruble/VICE News

Nous sommes le 5 mars dernier, une professeure d'anglais de 58 ans se tient devant un centre de traitement pour les malades atteints du virus Ebola de Monrovia, la capitale du Liberia. À ses côtés, patiente une petite dizaine d'infirmiers et de médecins. La professeure, Beatrice Yardolo, sourire aux lèvres, avait contracté le virus le 19 février dernier. Seulement deux semaines plus tard, la voilà devant un centre de traitement financé par la Chine, elle est guérie.

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Pour l'occasion une petite cérémonie de sortie de l'hôpital avait été organisée — des journalistes, hommes politiques, officiels et médecins étaient sur place. Yardolo donnait quelques interviews en exprimant sa joie de ne plus être infectée par le virus. Début mars, la professeure faisait partie des 9 249 Libériens qui avaient contracté le virus au cours de l'épidémie la plus mortelle d'Ebola — qui avait à l'époque tué 9 800 personnes au Liberia, en Guinée et au Sierra Leone. Aujourd'hui, on compterait plus de 11 250 victimes.

« Je suis une des femmes les plus heureuses du monde aujourd'hui, parce que ce n'était pas une partie de plaisir, et je suis contente d'en sortir en vie, » a expliqué Yardolo à l'Associated Press à sa sortie du centre de traitement.

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Mais l'atmosphère restait tendue aux alentours du centre, même quand les officiels ont déclaré que Yardolo était — à l'époque — la dernière patiente confirmée atteinte d'Ebola au Liberia. Pour la première fois, depuis près de 10 mois, personne n'était infecté par le virus dans aucun des centres de traitement du pays.

Pourtant, en cette chaude matinée de mars, tout le monde pouvait le sentir : la bataille contre Ebola n'était pas finie dans le pays de 4,2 millions d'habitants. Les autorités suivaient toujours le cas d'une centaine de personnes qui étaient rentrées en contact avec des malades atteints du virus ces 21 derniers jours — la période d'incubation du virus. Cela prendrait donc 42 longues journées pour déclarer le Liberia totalement libéré du virus.

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La course vers le nombre zéro de patient atteint d'Ebola est longue et sinueuse, mais marque un symbole essentiel dans les pays touchés par l'épidémie. Rick Brennan, le directeur de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour Ebola, nous a expliqué « Tant que nous n'atteignons pas le nombre zéro, il y a toujours le risque de voir l'épidémie repartir de plus belle. » L'épidémie a eu des conséquences dévastatrices sur les systèmes de santé, les économies des pays concernés — en plus du coût humain. « Les cas d'Ebola ont beaucoup couté — en énergie et en ressources — aux systèmes de santé, » nous a expliqué Brennan. « Il faut que l'épidémie soit finie pour pouvoir relancer des services de santé efficaces. »

Les autorités sanitaires s'inquiétaient encore des nouveaux cas d'infections qui émergeaient quasiment quotidiennement au Sierra Leone et en Guinée, juste de l'autre côté de la frontière poreuse avec le Liberia. Le challenge était donc d'avoir zéro cas de patients atteints du virus pendant 42 jours d'affilée, et ce, dans les trois pays concernés. Mais les efforts locaux et internationaux pour atteindre cet objectif se confrontaient à différents obstacles.

Plus tard dans l'après-midi du 5 mars, j'ai appelé le secrétaire d'État à la Santé du Liberia, Tolbert Nyenswah, depuis ma voiture garée dans la zone de New Georgia Estate du comté de Montserrado — le comté le plus peuplé du pays.

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« Nous n'avons plus aucun cas confirmé d'Ebola dans les ETU [Ebola Treatment Units] mais cela ne signifie pas pour autant que le combat contre le virus est achevé, » expliquait-il, s'assurant de faire bien clairement passer le message que le pays devait rester sur ses gardes.

« Bien sûr il faut rester concentré. Il n'y a pas de place pour l'improvisation — chaque Libérien doit prendre les dispositions nécessaires pour que d'autres cas d'Ebola n'apparaissent pas. Nous devons aussi soutenir nos voisins [la Guinée et le Sierra Leone], » explique Nyenswah.

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Ce n'était pas mon premier coup de fil avec Nyenswah, j'avais beaucoup échangé au cours des 10 derniers mois avec celui qui était rapidement apparu comme le porte-parole du gouvernement sur les sujets liés à l'épidémie d'Ebola. En juin 2014, lors de notre première conversation, les premiers cas étaient déjà apparus à Monrovia. Traditionnellement, le virus avait jusqu'alors touché des villages retirés dans des pays d'Afrique centrale et occidentale comme la République démocratique du Congo (RDC), le Gabon et l'Ouganda. L'épidémie qui s'est déclarée l'année passée touchait pour la première fois de grandes villes africaines. Les trois pays les plus touchés ont eu des cas dans leurs capitales : Conakry en Guinée, Freetown au Sierra Leone et Monrovia au Liberia.

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En juin 2014, j'avais reparlé au téléphone avec Nyenswah, alors qu'il se rendait dans différents quartiers de la capitale libérienne pour cordonner les secours. Il me disait qu'il venait de visiter un centre de traitement, où des cadavres traînaient alors que plusieurs patients suspectés d'être atteints du virus patientaient. Nyenswah m'avait alors dit que le Liberia avait vraiment besoin d'aide.

Photo par VICE News

« La situation n'est pas stable — elle est très volatile, » m'expliquait-il à l'époque. Il insistait sur le fait que le pays avait besoin de docteurs étrangers qui pourraient former les staffs médicaux locaux. À l'époque, il s'agissait de la première épidémie d'Ebola en Afrique occidentale — la pire épidémie depuis la découverte du virus en 1976 en RDC, qui s'appelait alors le Zaïre. 400 personnes avaient été tuées à cause du virus depuis décembre 2013, date à laquelle le premier cas est apparu en Guinée dans la région de Guéckédou. On pense qu'un enfant de 2 ans, originaire du village de Meliandou, est le « patient zéro » après avoir été mordu par une chauve-souris — un animal connu pour être porteur du virus.

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Ce mois de juin 2014 avait aussi été marqué par le premier décès, dû au virus, d'un employé d'un centre de traitement. Des chirurgiens renommés, des docteurs et des infirmières ont rapidement connu le même sort. L'ONG Médecins Sans Frontières et l'OMS avaient alors annoncé que l'épidémie était sérieuse — les cas se multipliant aussi en Guinée et au Sierra Leone.

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Mais c'est seulement en août 2014 que l'OMS a estimé qu'il s'agissait d'une urgence de santé publique de portée internationale. 1 771 cas avaient alors été recensés et 932 personnes étaient décédées. Des images de l'épidémie ont aussi commencé à circuler, ce qui a attiré l'attention des médias internationaux. Si le monde prenait seulement conscience de l'ampleur du phénomène, les Libériens étaient déjà au beau milieu d'une crise sans précédent, alors même que le pays avait connu 14 années de guerre civile.

« Parfois, on voyait des corps qui traînaient de partout. En septembre, la situation était vraiment catastrophique, m'expliquait une spécialiste, Victoria Kolahek, trois jours après la sortie la professeure d'anglais en mars dernier.

« À cette époque, c'était vraiment compliqué, » me confiait-elle, se remémorant les pires moments de l'épidémie au Liberia — en août et septembre 2014.

En juillet 2014, quand le gouvernement a lancé un appel d'urgence au personnel de santé pour aider à traiter les cas de patients infectés par Ebola, Kolahek s'est portée volontaire, puisqu'elle est infirmière de profession. La femme de 40 ans a suivi une formation avec 5 autres personnes pour apprendre les principes de base de prévention du virus. Après cela, elle a intégré un groupe de 14 volontaires, notamment des personnes chargées du transport, des infirmières, des hygiénistes — qui étaient divisées en deux équipes. Ils s'organisaient pour être présents 24 heures sur 24, tout en couvrant l'entièreté de la capitale libérienne afin de repérer les cas suspects et les transporter à l'hôpital.

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J'ai rencontré Kolakeh et son équipe un samedi matin de mars, dans un centre de crise installé dans l'hôpital John F. Kennedy de Monrovia. Les équipes avaient mis au point des cartes, des programmes à suivre heure par heure, et des listes de contacts à appeler. Ce samedi, Kolakeh revenait d'une mise en quarantaine de 21 jours après avoir pénétré un centre de traitement sans équipement de protection. Ce matin, elle est arrivée avec un tee-shirt, un pantalon taché par le chlore, et un chapeau gris. Après cette réunion, elle allait passer 8 heures à côté du téléphone en attendant qu'on lui signale de nouveaux cas dans le Secteur 1 de Monrovia — qui englobe les quartiers les plus peuplés de la capitale.

Toutt cela était moins organisé quand Kolakeh a commencé. Elle et les membres de son équipe répondaient aux appels passés depuis toute la ville et le comté environnant. À cette époque, les signalements de cas suspects arrivaient en flux continu, sur fond de sirènes d'ambulances qui circulaient à travers les rues bondées de Monrovia.

Quand j'ai demandé à Kolakeh à quel point elle était fatiguée au plus fort de l'épidémie, travaillant 24 heures d'affilée et souvent bien au-delà le passage de témoin de 8 heures du matin, elle m'a répondu sèchement, comme les Libériens le font souvent.

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« Très fatiguée, et alors ? » a-t-elle dit. « Selon moi, c'était pour le bien de mon peuple. Je me suis donnée corps et âme au travail pour mon pays. »

Les enquêtes sur les cas et le traçage des contacts requièrent des efforts intenses pour localiser et surveiller chaque personne qu'un patient atteint d'Ebola a récemment rencontrée. Ces mesures préventives sont essentielles pour contenir la maladie. Lorsqu'une épidémie ralentit, le processus de traitement devient plus facile, mais le traçage effectif devient encore plus essentiel pour éradiquer le virus.

« En janvier, nous avions réduit les incidents à près de 100 voire 150 cas par semaine, mais ce genre d'interventions à grande échelle n'est pas suffisant pour endiguer l'épidémie, » m'a confié Brennan. « Le dernier kilomètre repose surtout sur le travail poussé d'épidémiologie sur le terrain, que nous ne pouvons effectuer qu'une fois ces faibles nombres atteints: trouver chaque cas, se rendre dans des villages, trouver chaque personne malade puis recenser chacun de ses proches. »

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Même lorsque j'étais assis dans leur salle de contrôle, je pouvais voir la fatigue des derniers mois sur le visage des membres de l'équipe qui attendaient de recevoir des appels. Alors que Kolakeh me montrait la disposition du Secteur 1, elle a reçu un coup de téléphone de SOS Villages d'Enfants, une clinique dirigée par une ONG internationale, qui lui indiquait qu'une femme avec des symptômes similaires à ceux d'Ebola — vomissement, diarrhée et épuisement — venait d'être déposée à leur porte.

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L'équipe s'est vite mise en branle, saisissant leurs sacs. Direction la clinique de SOS Villages d'Enfants. Quand ils sont arrivés là-bas, la femme malade s'est roulée sur le sol en béton, refusant de monter dans l'ambulance. Elle ne voulait apparemment pas se retrouver dans une unité de traitement pour les patients atteints d'Ebola. La stigmatisation des malades et la peur qui entoure le virus se font immédiatement ressentir. Même lorsqu'il s'agit simplement d'aller faire des tests. Kolakeh et un assistant social ont passé quelques instants à rassurer la femme pour obtenir des renseignements sur sa famille et proches, mais elle a refusé de fournir tout détail concernant sa famille ou même leur contact.

Heureusement, l'homme qui avait amené la petite équipe d'urgence auprès de la femme malade, l'a reconnu par hasard. Elle était originaire du même village que lui. Il a alors appelé des membres de sa communauté jusqu'à ce qu'il obtienne le numéro de téléphone de sa soeur. Kolakeh a saisi le téléphone immédiatement et a commencé le long processus de rencaissement d'informations pour obtenir une liste définitive de toute personne ayant pu être entrée en contact avec la femme. Une fois le téléphone raccroché, les traceurs de contact qui travaillent avec Kolakeh ont suivi les individus pendant 21 jours jusqu'à ce qu'ils aient passé la période d'incubation d'Ebola sans montrer aucun symptôme du virus.

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Finalement, après plus de 30 minutes de discussion, Kolakeh a réussi à faire monter la femme dans l'ambulance pour l'amener jusqu'à l'hôpital ELWA 3, le plus grand centre de traitement d'Ebola dans le monde. Avec une capacité de 250 lits, le bâtiment est désormais quasiment vide.

Comme avec beaucoup de cas suspects étudiés par Kolakeh et ses collègues les jours précédents, la femme du village S.O.S Enfants a été testée négative pour le virus. Les maladies comme la malaria et le choléra sont courantes dans la région et présentent des symptômes similaires à ceux d'Ebola dans les premiers stades. Puisque le virus se maintient dans les pays voisins, les enquêteurs doivent rester attentifs dans la manière dont ils répondent aux coups de téléphone, et les équipes chargées des enterrements doivent continuer à respecter les mesures de protection jusqu'à ce que les trois pays atteignent le point zéro, soit aucune nouvelle infection du virus Ebola.

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Victoria Kolakeh, une enquêtrice du Ministère de la Santé et de la Protection sociale du Liberia, recherche des cas potentiels d'Ebola mais aussi des travailleurs volontaires. (Photo par VICE News)

Après avoir quitté Kolakeh, le Liberia a connu une trêve de 15 jours sans nouveau cas d'Ebola. Mais le 20 mars, une femme de 44 ans a été testée positive au virus dans un hôpital de Monrovia, six jours avant la fin de la période d'incubation — qui est de 21 jours. Bien que ce soit un revers important pour le pays, les employés des services de santé ont réussi à contenir la maladie et à transporter la patiente de manière sûre jusqu'à ELWA 3. Aucune personne qui était en contact avec la patiente n'a montré des signes de la maladie.

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La femme est morte le 27 mars, mais six semaines plus tard, le Liberia a finalement atteint l'objectif que le pays poursuivait depuis un an. Le 9 mai, cela faisait 42 jours qu'aucun nouveau cas n'avait été détecté. Officiellement, le pays était débarrassé d'Ebola et l'épidémie était terminée.

Alors que l'OMS se disait confiante suite aux résultats affichés par le Liberia, l'organisation rappelait que la Guinée et le Sierra Leone abritaient encore des foyers d'Ebola près de leurs frontières. « Le gouvernement est pleinement conscient du besoin de rester en alerte. Il a l'expérience, la capacité et le soutien des partenaires internationaux pour pouvoir le faire, » ajoutait l'OMS.

Dans les deux mois qui ont suivi, la Guinée ainsi que le Sierra Leone ont continué à signaler de nouveaux cas de la maladie. En juin, ces pays ont enregistré une moyenne de 20 infections par semaine.

Selon Brennan, malgré les changements de comportement importants dans les communautés où la transmission continuait, beaucoup reste à faire pour surmonter des obstacles et sensibiliser les populations.

« Si toutes ces communautés changeaient leur comportement en une nuit, nous mettrions fin à cette épidémie en vingt et un jours, » a expliqué Brennan, en ajoutant qu'il s'attendait à voir une certaine fluctuation, mais surtout une plus grande tendance à la baisse concernant le nombre de cas. Tout en réaffirmant la confiance de l'OMS quant à l'objectif du nombre zéro de patient en Afrique de l'Ouest, il a souligné à nouveau le besoin de travaux épidémiologiques détaillés dans ce « dernier kilomètre » de l'épidémie.

« Mettre fin à l'épidémie d'Ebola exige une planification très poussée, ce qui est inhabituel pour la plupart des programmes humanitaires, » a-t-il dit. « Nous devons recenser chaque cas ; nous devons trouver chaque personne avec qui la personne atteinte a été en contact. »

À peine quelques jours plus tard, le 30 juin, un mois et trois semaines après que le Liberia avait déclaré que l'épidémie était terminée dans ce pays, Nyenswah a déclaré que le corps sans vie d'un adolescent de 17 ans avait été testé positif à Ebola. Un enterrement sécurisé a été organisé, et les maisons voisines dans ce village du Comté de Margibi avaient été placées en quarantaine. Soudainement, les services de santé ont dû suivre à nouveau plus de 100 personnes.

Regardez notre documentaire Guinée : Ebola et fièvre électorale