2017, cette année où on a enfin pu danser en club sur la B.O. de « Streets Of Rage »

FYI.

This story is over 5 years old.

Music

2017, cette année où on a enfin pu danser en club sur la B.O. de « Streets Of Rage »

Le 30 novembre dernier, les compositeurs de la B.O. du jeu vidéo « Streets Of Rage » jouaient live à Fabric, à Londres. On y était.

« Voir Yozu Koshiro, c’est comme voir le pape pour un Chrétien ». Dans le temple de la musique électronique de Londres, à Fabric, on rentre sans se faire fouiller. On nous avait pourtant dit que la sécurité était devenue drastique ces derniers temps. Il faut dire que ce soir, le public n’est pas tout à fait celui des jeunes teufeurs. Nous sommes le 30 novembre et le line-up est plutôt du genre expérimental, limite nerdy. Mythique, aussi.

Publicité

Après Los Angeles et Tokyo, Diggin’ In The Carts débarque à Londres. Une soirée organisée par le label Hyperdub et Red Bull Music Academy, avec pour têtes d’affiche Yuzo Koshiro et Motohiro Kawashima, compositeurs de la musique du jeu vidéo Streets of Rage et véritables dieux vivants pour toute une génération de geeks désormais trentenaires.

Dans le public, des employés de Sega, éditeur du jeu star de ce soir, le YouTubeur Daniel Ibbertson, qui réalise de courts documentaires sur l’histoire des jeux vidéos célèbres pour sa chaine Slopes Game Room, le label londonien Datas Discs, spécialisé dans l’édition de musique de jeux vidéo sur vinyle dont la BO de Streets of Rage, et surtout des diehard fans du duo de compositeurs, dont plusieurs Français qui ont fait le déplacement pour l’occasion. Benjamin Sieuw, président et fondateur de la communauté française Streets of Rage, ou Meftah et Ali Bensaadounem deux frères fans des compositeurs depuis les années 90 et qui viennent pour la première fois à Londres. « Enfant, quand on me demandait qui était mon artiste préféré, j’hésitais entre Jean-Michel Jarre et Yuzo Koshiro », dit Ali, encore sous le coup de l’émotion de sa rencontre avec son idole. Lui et son frère ont tous les deux obtenus un autographe. Certains avaient même amené leurs consoles pour la session signature.

Yuzo Koshiro, 18 ans, dans sa chambre de la banlieue de Tokyo. © Yuzo Koshiro

Tokyo au temps des 8 bits

L’aboutissement de trois ans de travail pour Nick Dwyer, le cerveau derrière le projet Diggin’ in The Carts, d’abord une série documentaire sortie en 2014 pour RBMA puis une compilation sortie par Hyperdub mi-novembre et qui explore les musiques obscures des jeux vidéo japonais des années 80 et 90. Une sélection de 34 morceaux aux effets sonores bien reconnaissables des années 90 et à la mélodie acide, répétitive et atmosphérique. Pour faire cette compilation, Nick Dwyer s’est farci près des 200 000 morceaux, explique-t-il. Pas vraiment un grand gamer lui-même, il a plongé dans les archives du web. « Les fans de musique de jeux vidéos sont passionnés et chargent beaucoup de contenu sur YouTube. Au pire, tu peux toujours trouver des prises de vue de jeux vidéo », explique-il. Le réalisateur vit à Tokyo et parle et écrit le japonais. Un atout de taille.

Publicité

« Ça n’a jamais été fait, alors il fallait le faire bien, retrace Nick Dwyer. On ne voulait pas faire une compilation des meilleurs tubes. On aurait pu avoir Mario, Sonic ou Final Fantasy. Mais on voulait traiter cet album de la même manière que les compilations d’archives. Nous n’avons pas choisi délibérément des morceaux obscurs, c’est simplement qu’enfoui au fond des ces bandes sons de jeux vidéo que même les Japonais ne connaissent pas nécessairement, se cache quelque chose d’incroyable. »

Le but des deux curateurs : sortir la musique de son contexte. « Toute cette musique a une autre qualité. Quand tu la détache du jeu vidéo, c’est simplement une musique électronique géniale, qui a été faite avec des moyens limités. » Des limites dues aux cartes sons qui contiennent la mélodie et dont les compositeurs s’efforcent de repousser les frontières autant que pour les mélodies qu’ils composent. « Parce que je savais programmer, raconte ainsi Yozu Koshiro, j’essayais de faire sonner mes cartes polyphoniques à six voix comme si elle en avait 12 ». Un exploit technique qui change alors l’entière perception du son pour les gamers. « Grâces à ces restrictions, ils ont créé des choses magnifiques », estime Nick Dwyer.

Pokemon version dub

Nick connaît son sujet. Déjà en 2010, alors qu’il tourne une série documentaire pour National Geographic, un voyage musical dans les capitales mondiales, il rencontre à Tokyo les compositeurs de Street Fighter 2. « Plus je m’intéressais à la musique de jeux vidéo, plus je me rends compte qu’il y a peu d’informations sur le sujet. » C’est parti pour une plongée dans les entrailles de la musique 8 et 16 bits en six épisodes.

Publicité

Pour sa série, diffusée en 2014, il rencontre les grands maitres de la discipline. Hirokazu ‘Hip’ Tanaka, compositeur chez Nintendo et grand fan de reggae qui a créé la musique de Tetris, Metroid, Super Mario Land ou Pokemon. Yoko Shimomura, compositrice de la musique de Street Figher II et plus récemment Final Fantasy XV, Hidenori Maezawa, chef d’équipe du son à Konami, l’une des plus grande société d’édition de jeux vidéo qui a notamment sorti en 1981 Frogger, jeu d’arcade où le joueur doit raccompagner des grenouilles à bon port.

On découvre la bande son de Lagrange Point, un jeu de rôle de science-fiction, sur laquelle Akio Dobashi, du groupe Rebecca, a collaboré et première BO pour NES où une carte sonore à synthèse FM est intégrée à la console pour une complexité de mélodies et de sons inégalée jusqu’alors. On se délecte des partitions d’ondes sonores rectilignes de Junko Ozawa, sound designeuse chez Namco, société d’édition, entre autres, de Pac Man. « Ils enregistraient un violon ou un piano et ils observaient la forme des ondes et essayaient de les recréer, détaille Nick Dwyer. C’est un exemple parfait des efforts qu’ils fournissaient pour créer ces nouveaux sons. »

Derrick May sur un chipsound

Suite logique des choses et troisième étape de ce projet hors du commun (en plus d’une suite radio pour RBMA sur la musique 32 bits, cette fois-ci) : le live. Pour la première fois, ces compositeurs légendaires jouent devant un public. Kode9 s’invite sur l’affiche, avec un live dopé en basse créé à partie des samples de jeux vidéo, sur des visuels hypnotiques de Kōji Morimoto, mangaka culte de la scène underground qui a notamment participé à Akira, Animatrix ou Memories.

« Nous voulions montrer quelle musique club incroyable ils avaient créé », s’enthousiasme Dwyer. Largement influencé par la house de Detroit et les artistes comme Derrick May qui venait jouer dans la scène club du Tokyo du début des années 90, Yuzo Koshiro et Motohiro Kawashima recréent ce groove et cette urgence caractéristique de la ville est-américaine – au prix d’âpres négociations avec les producteurs de jeux vidéo, pas vraiment des habitués des raves. « Des millions d’enfants à travers le monde ont entendu de la house ou de la techno pour la première fois en jouant à Streets of Rage », s’enthousiasme Dwyer.

La tournée est un succès. 900 personnes à Los Angeles, près de 1000 à Tokyo, 700 à Londres… « Motohiro Kawashima n’a jamais vraiment voyagé. Aucun des deux n’étaient jamais venu à Londres. D’un coup, ils jouent dans les meilleurs clubs du monde. Je crois qu’ils ont du mal à se rendre compte, ils prennent ça avec beaucoup d’humilité et je suis tellement heureux pour eux », raconte le documentariste. A Tokyo, tous les compositeurs présents sur la compilation sont là, raconte-t-il. Lorsque Kode9 fait résonner leurs compositions jusque là réservées à un cercle d’initiés, l’émotion est grande.

Ce n’est donc que le début. Sonar, déjà, a été confirmé. « On parle aussi de Paris, de la Suède, du Brésil… », déroule Dwyer. « Maintenant, les gens savent en quoi consiste ce show. Le plus important, ce n’est pas le jeu vidéo, c’est l'incroyable culture qui naissait à cette époque au Japon. La musique de jeux vidéo est jouée en live depuis une décennie mais ce sont toujours des orchestres qui interprètent Final Fantasy, Mario, Zelda. Bien sûr, la composition est incroyable, mais pour nous l’important est faire découvrir la palette de sons et rapprocher les compositeurs japonais de la musique électronique contemporaine qu’ils ont influencé. » Elsa Ferreira est sur Noisey.