Quand, seul et sans le sou, le batteur de DAF se terrait à Pont de Levallois au milieu des années 80
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Quand, seul et sans le sou, le batteur de DAF se terrait à Pont de Levallois au milieu des années 80

Une parenthèse enchantée où il enregistra un disque rempli d'amertume et de mélancolie, juste avant un sale accident de voiture et une fuite en Asie pour se convertir au bouddhisme. Heureusement, les « Paris Tapes » refont enfin surface aujourd'hui.

En 82, Deutsch Amerikanische Freundschaft, le duo proto techno qui avait tout compris avant tout le monde, se séparait après cinq ans d’existence. En 84, Robert Görl, moitié à mèche blonde et mâchoire carrée, jouait au petit cheval à New York avec Annie Lennox sur Night Full Of Tension, son premier album solo. En 86, DAF se reformait pour l'album 1st Step to Heaven, juste le temps de réaliser que c’était une mauvaise idée. Et puis pouf-pouf. Le chanteur Gabi Delgado-López devint DJ à Berlin et Görl le machiniste disparut des radars. Dix ans ans plus tard, il refaisait surface aux commandes d’une techno pas très glop. Où était-il passé entretemps ? La parution chez Grönland à l'occasion du Disquaire Day des Paris Tapes, circa 87, offre un précieux élément de réponse. Dix instrumentaux comme autant d’aiguilles extirpées de la botte de flou, un chef-d’œuvre perdu délavé par la mélancolie. Le prétexte idéal pour faire parler Robert de cette période d’obscurité. Où il est question d’éviction et de fuite, de Pont de Levallois et d’Oxford Circus, de Bouddha et de Shakespeare.

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Noisey : Il y a eu Das Ist DAF le coffret, Das Ist DAF la biographie, aujourd’hui ces Paris Tapes post-DAF : tu n’en as pas marre de regarder dans le rétro ?
Robert Görl : C’est sûr qu’il s’agit encore d’une sortie nostalgique. C’est un peu bizarre, voire agaçant, par moments. Le livre a nécessité des mois d’interviews et de discussions avec l’éditeur, pendant lesquels nous sommes revenus sur le passé dans les moindres détails. Ça ressemblait presque à une psychothérapie ! Pour les Paris Tapes, c’est un peu différent parce qu’elles sont restées dans mes cartons pendant vingt ans. Mais je dois accepter la nostalgie, je n’ai pas vraiment le choix.

Là où c’est un peu ironique, c’est que vous étiez des musiciens d’avant-garde, en rupture, pour ne pas dire en conflit, avec le passé et le présent.
C’est la même chose pour tous les groupes. Dans les premières années, tu es hyper créatif, tu essayes sans cesse de te surpasser. D’autant que DAF était un projet studio, c’est là où on passait le plus clair de notre temps. On faisait très peu de concerts, on n’a jamais tourné à proprement parler. Ce qui nous intéressait, c’était d’inventer le futur. Après, en vieillissant, on commence à regarder en arrière.

En 82, à la première rupture de DAF, tu pars aux États-Unis. Ça peut paraître surprenant quand on sait que vous n’aimiez pas beaucoup ce pays. Le nom DAF - Deutsch Amerikanische Freundschaft – était ironique.
On ne voulait surtout pas ressembler aux grosses productions américaines de l’époque. On était en guerre contre toutes les scènes et structures musicales existantes. Mais on n’avait rien contre les États-Unis en tant que tels. En 86, on a fait notre comeback avec un album en anglais, ce qui a choqué certains fans. Pour nous, c’était encore une manière de se réinventer. On n’a jamais été des haters ! Si je suis parti à New York en 82, c’était d’abord pour prendre des cours de théâtre au Stella Adler Conservatory. Comme je débutais en solo, je voulais acquérir des bases pour améliorer mes performances sur scène. En fait, j’ai tellement aimé ça que je suis devenu une sorte d’expert de Shakespeare ! J’ai commencé à jouer dans une troupe et c’est à ce moment-là que je me suis fait virer du pays. J’étais encore naïf à l’époque… Après, j’ai été interdit de séjour aux Etats-Unis pendant dix ans !

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Tu es donc rentré en Allemagne, mais pas pour longtemps.
J’étais recherché car j’avais fui le service militaire. Donc j’ai décidé d’aller à Paris. J’ai pris le peu d’argent qui me restait et un synthétiseur Ensoniq ESQ1. Je pouvais enregistrer une basse dans la station, poser des harmonies de clavier par-dessus, c’était un outil génial et très précis pour l’époque. J’ai pu composer différemment qu’avec DAF, dont l’approche était plus punk et directe. La musique de DAF, c’est une séquence, un beat et une voix. Rien de plus. Le ESQ1 m’a permis d’exprimer ma mélancolie en créant des harmonies. Certains titres ressemblent à de la musique classique !

Il paraît que les Paris Tapes n’ont pas été enregistrées à Paris mais à Levallois-Perret. Comment as-tu atterri là ?
J’ai pris le train de nuit de Munich jusqu’à Gare du nord, et j’ai eu la chance de ne pas me faire contrôler en chemin. Puis j’ai cherché une pension en périphérie pour la simple raison que je n’avais pas les moyens de loger au cœur de Paris. C’est comme ça que je me suis retrouvé vers Pont de Levallois.

Tu avais des amis parisiens ou tu étais coupé du monde – ce que l’écoute des Paris Tapes semble suggérer ?
J’étais vraiment seul avec mon synthé. C’était tout sauf une période festive, j’étais au fond du trou ! Mais tout n’était pas noir : j’aimais vivre à Paris, les cafés, les boutiques, la langue… À la fin, j’ai pu quitter ma pension pour emménager avec deux filles que je connaissais. J’ai testé quelques clubs, rencontré quelques musiciens. Au bout d’un an, j’espérais que l’armée allemande arrêterait de me chercher. Et c’est ce qui s’est passé. Dans le train du retour, je me suis fait contrôler à la frontière… Mais la police n’avait plus aucune information sur moi.

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Tout le monde ignorait l’existence de ces Paris Tapes. Pourquoi ne sont-elles pas parues à l’époque ?
Après être rentré en Allemagne, je suis reparti à Londres avec mes trois cassettes pour les développer aux AIR Studios d’Oxford Street (mythique complexe de studios créé par George Martin, producteur des Beatles, NDLR). L’idée était d’en faire une production pop à gros budget. Tout était sur les rails en termes de logistique et de financement. Et c’est là, alors que je rendais visite à mon frère en Allemagne, que j’ai eu mon accident de voiture. Tout s’est effondré du jour au lendemain, une fois de plus. C’était le 30 janvier 1989. Après des mois d’hôpital et de rééducation, je suis parti en Asie et me suis converti au bouddhisme. J’avais souvent des visions de Bouddha depuis l’accident et un grand besoin de spiritualité. J’y ai passé trois ans, sans jamais repenser aux Paris Tapes ni aux AIR Studios.

Ce qu’on peut entendre aujourd’hui, ce sont les démos originales ou tu leur as quand même donné un coup de pinceau ?
Pendant des années, chaque fois que je les faisais écouter, les réactions étaient hyper enthousiastes. J’avais conscience de tenir quelque chose d’assez unique. Je me suis donc mis d’accord avec Grönland pour ne rien toucher. Ce que tu entends, c’est le son brut de l’Ensoniq ESQ1. Je préfère de loin ces démos aux premières versions réalisées au AIR Studio, dont j’ai aussi gardé les bandes.

Quels enseignements tires-tu de cette période hardcore, celle de ta disparition ?
Tout fait sens aujourd’hui. Chaque événement arrive pour une raison. On ne peut pas être tout le temps au top, la vie n’est pas faite comme ça. L’alternance des hauts et des bas est ce qui donne l’énergie de se battre. Sans ça l’existence serait bien morne.

Le disque Paris Tapes sera réédité pour le Disquaire Day le 21 avril chez Grönland Records.

Michaël Patin est sur Noisey.