L’histoire méconnue du producteur derrière certaines des plus grosses tounes de funk du Québec

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Culture

L’histoire méconnue du producteur derrière certaines des plus grosses tounes de funk du Québec

On a parlé avec Steven Tracey de son influence sur le son funk à Montréal dans les années 80 et de la renaissance actuelle de la scène funk mondiale.

Le son funk des années 80 remis au goût du jour par Voyage Funktastique a connu ses heures de gloire au Québec il y a environ 35 ans. Et bien que sa contribution soit méconnue, le producteur et réalisateur Steven Tracey en a été le principal architecte. Son travail avec Loni Gamble et Maurice Massiah est célébré par les collectionneurs, DJ et aficionados du style autour du monde. Fait encore plus méconnu : Tracey a aussi été un pionnier du rap au Québec, ayant produit As-tu du feu? (Beurre de peanut) et Le rapper chic.

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Loni Gamble

L’histoire de Steven Tracey commence avec la rencontre de Loni Gamble, le guitariste d’un groupe soul de Philadelphie, The Stylistics. Ils faisaient partie du Philly Sound et étaient de passage à Montréal pour un spectacle.

« Loni ressemblait à un jeune Lionel Richie. Il avait cette vibe, raconte Steven Tracey Eisenberg. Il était cool sur scène et il était un bon guitariste. On a eu l’impression qu’on avait beaucoup en commun, musicalement parlant, alors je lui ai proposé : “Pourquoi tu ne resterais pas à Montréal quelques semaines pour voir à quoi on pourrait arriver en studio?” »

Les sessions d’enregistrement se passent la nuit au studio Marko de Montréal, angle de la Gauchetière et Amherst. Durant les périodes de composition, il y a du weed qui se fume et d’autres substances qui se consomment. Plus d’une vingtaine de musiciens se relaient en studio.

Parmi les chansons qui naissent de ces sessions d’enregistrement, la pièce Could It Be Love? se démarque comme un hit potentiel. Convaincu qu’il tient quelque chose, le producteur lance sa propre étiquette de disques, Tracey Records, pour publier la chanson sur un simple 12 pouces.

C’est pari gagné pour Steven Tracey. Près de 50 000 copies de Could It Be Love? sont écoulées au Canada. Le succès est tel qu’il attire l’attention de grands producteurs.

« J’ai eu un appel de Daniel Belolo et son frère Henri. Ce sont ceux qui ont lancé Village People et The Ritchie Family. Henri Belolo a écrit YMCA. Ils m’ont dit qu’ils adoraient la chanson. Ils l’ont fait paraître en France et en ont fait un numéro un. C’est comme ça que j’ai lancé Tracey Records.

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Maurice Massiah

Steven Tracey n’avait bien sûr aucune idée du sort qui était réservé à l’album de Gamble. Au début de la deuxième décennie des années 2000, le disque est redécouvert par des DJ européens friands de funk bien crisp. Les exemplaires originaux du 33 tours sont par ailleurs devenus de petits objets de convoitise.

Le prochain projet de Tracey connaît un sort presque identique. Sur la même lancée funk, il recrute le montréalais Maurice Massiah, avec qui il enregistre l’album Seventh Heaven, dont la pièce We Can Go To Your House se classe au numéro trois au palmarès Dance du Billboard américain en 1983. Son groove contagieux ne peut faire que faire des victimes.

« C’était un chanteur gospel, en fait. Il était un excellent chanteur, il avait l’une de ces voix incroyables. Alors je l’ai amené en studio de la même manière que je l’ai fait avec Loni. J’ai écrit toutes ses chansons, parce qu’il n’était pas un auteur. »

Pour mixer l’album, Tracey retourne dans la grande région de New York, où il avait fait ses classes en tant que producteur. Ce retour aux sources marquera les premiers pas de Tracey dans le monde du rap.

« J’ai mixé l’album de Maurice à Englewood, au New Jersey, avec Steve Jerome, qui était l’ingénieur de son derrière Sugarhill Gang et Rapper’s Delight », lance-t-il.

As-tu du feu? (Beurre de peanut)

En parallèle de son travail avec Loni Gamble et Maurice Massiah, Tracey est approché par un certain Jean-François William du groupe Bill. Il tient une composition fortement inspirée du son de James Brown à l’époque des J.B.’s.

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« Ils m’ont joué un petit extrait de As-tu du feu? et j’ai dit : “ Fuck, c’est incroyable! C’est simplement incroyable, on doit enregistrer ça!” » relate-t-il. Il en a produit l’enregistrement.

La rumeur veut que le groupe Bill ait eu l’intention de faire du rap avec cette chanson. La trame musicale funk jouée en boucle rappelle en effet un beat de rap. Tracey confirme que c’est vrai, mais seulement « à un certain degré » , nuance-t-il. « Les deux gars du groupe savaient qu’ils n’étaient pas des rappeurs. »

As-tu du feu? (Beurre de peanut) est devenu l’un des succès les plus emblématiques des années 80 au Québec. Rien que ça.

Je rap en français

En 1990, Tracey revient avec une offensive résolument rap. Il rassemble des artistes francophones du Québec, de France et de Belgique pour lancer la compilation Je rap en français Vol. 1. On y retrouve sa première aventure semi-rap, As-tu du feu? (Beurre de peanut), la pièce foncièrement montréalaise Frenglish Rap du mystérieux Sebastien D., Je m’en souviens de French B (sur la version CD), Le pape du rap de Daniel Lavoie (lol), mais surtout, en ouverture de disque, la fameuse pièce Le rapper chic par Le Boyfriend.

« Le rapper chic, cette chanson, c’était une collaboration entre moi-même et Manuel Tadros [aussi connu comme le père de Xavier Dolan, NDLR]. Manuel a écrit les paroles. Stéphan Chetrit, qui était “Le Boyfriend”, était chroniqueur à CKMF à l’époque. Il adorait le rap. Il m’a demandé d’écouter ce qu’il était capable de faire », raconte Tracey.

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Ce que Tracey a décidé de faire, c’est de lancer l’étiquette On The Beat, une des premières maisons de disques rap au Québec.

« J’ai commencé à comprendre clairement qu’il y avait un besoin à Montréal et j’ai lancé une compilation qui introduisait le rap aux programmateurs et animateurs radio. J’ai testé le marché pour Le Boyfriend avec Je rap en français. On a ensuite lancé son album complet », explique le producteur.

Tracey n’était peut-être pas issu de la scène hip-hop à proprement parler, mais il venait d’un background RnB, soul et funk, ça, on ne peut pas le nier. C’est donc dire que la même année où M.R.F est arrivé – reconnu en tant que premier groupe hip-hop francophone au Québec –, Tracey propulsait le mouvement rap francophone, mais sur un front commercial.

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Tracey a ensuite travaillé majoritairement dans le domaine de la pop commerciale, sans engendrer de grands succès, jusqu'à ce qu'il découvre Corneille, qu'il le mette sur la mappe et que leur relation s'envenime.

Aujourd’hui, le réalisateur n’en revient pas de savoir que le son qu’il a participé à populariser au Québec et dans le monde, au cours des années 80, connaît un second souffle avec des initiatives comme Voyage Funktastique. « Pour être honnête, ça me fait chaud au cœur, dit-il. J’ai toujours pensé que la musique était le dénominateur le plus commun dans la vie. C’est quelque chose qui dure. Peu importe mon background musical – il est très vaste –, j’aime entendre ces histoires parce qu’elles sont liées à de beaux souvenirs. J’ai travaillé très dur à la conception et la formulation de projets comme ceux-là, et c’est merveilleux de constater qu’ils ont passé l’épreuve du temps. »