Des mères porteuses nous disent ce que c’est de porter l’enfant d’un autre
Illustration par Samantha Garritano

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Santé

Des mères porteuses nous disent ce que c’est de porter l’enfant d’un autre

Et que d’être rémunérées pour le faire, c’est absolument légitime.

Le débat sur la rémunération des mères porteuses a refait surface à la fin du mois de mars.

Au Canada, une femme n’a pas le droit d’être rémunérée pour porter l’enfant d’un autre. Ses dépenses peuvent lui être remboursées, mais une rétribution de quelques milliers de dollars pour service rendu, c’est illégal.

Le député libéral fédéral Anthony Housefather a annoncé qu’il déposerait un projet de loi sous peu pour renverser cette interdiction. Évidemment, l’affaire fait débat.

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D’un côté, on insiste sur le fait que les femmes sont libres de faire leurs propres choix. De l’autre, on s’indigne que des femmes puissent monnayer leur corps, on s’inquiète que des personnes vulnérables soient tentées d’y trouver une solution.

Une voix semble absente de ce débat – ou plutôt des centaines de voix : celles des mères porteuses. VICE s’est entretenu avec cinq Américaines qui ont reçu une compensation financière pour porter l’enfant d’un autre; aux États-Unis, la rémunération des mères porteuses est tout à fait légale. Pour nous, c'était l'occasion comprendre leur point de vue sur cette question, mais plus largement, de voir comment elles vivent tout ce processus tant physique qu’émotionnel.

Comment l’idée de devenir mère porteuse vous est-elle venue?

Chaque femme a son histoire, mais il y a le dénominateur commun de vouloir venir en aide à des personnes dévastées par leur impossibilité de fonder une famille. Et si pour certaines l’idée leur est venue en côtoyant leur entourage infertile, elles ont toutes offert de venir en aide à des étrangers.

« Ma sœur a cru pendant longtemps qu’elle ne pouvait pas avoir d’enfant. Je l’ai vue souffrir, elle était profondément triste. Je voulais aider quelqu’un qui ne pouvait avoir d’enfants », raconte Angel Daughdrill, 29 ans, de l’Alabama. Finalement, ce n’est pas à sa sœur qu’elle est venue en aide, mais à un couple homosexuel originaire d’Israël. « Ils étaient ensemble depuis 14 ans, et ils se sentaient si incomplets », explique-t-elle au bout du fil.

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Pour Louise J., originaire d’Afrique du Sud et qui vit maintenant en Caroline du Nord, l’histoire est plus simple encore. L’idée lui est venue en regardant la série Desperate Housewives il y a 15 ans, dans laquelle il y avait un personnage de mère porteuse. Elle lui est restée en tête. Après avoir eu ses deux enfants, son mari et elle se sont dit que ce serait le bon moment pour mettre le plan en action.

Jordan Yacht, 36 ans, raconte avoir toujours été intriguée par l’idée d’être mère-porteuse. Après la naissance de ses deux enfants, elle est même devenue une doula, dont le rôle est d’accompagner les femmes tout au long de la grossesse et de l’accouchement. « J’ai pensé qu’être mère porteuse serait l’occasion de faire partie d’un processus que j’aime, tout en aidant une autre famille à se compléter », raconte celle qui a été mère porteuse une fois pour l’instant.

Un peu ironiquement, des cinq femmes interviewées, Jordan est la seule qui admet ne pas vraiment aimer être enceinte. « Je me suis sentie bien durant ma grossesse, mais c’était beaucoup de travail! »

Comment avez-vous choisi les parents intentionnels?

Les cinq femmes ont fait affaire avec des agences pour se jumeler avec des familles. Elles décrivent un processus élaboré, qui exige des entretiens, des tests psychologiques, des tests de santé, de prouver que l’on jouit d’une stabilité financière et familiale. Les agences n’acceptent généralement que des femmes qui ont déjà eu des enfants.

L’agence jumelle ensuite chaque femme avec une famille ayant un profil semblable. La mère porteuse doit déterminer si oui ou non elle souhaite s’embarquer avec cette famille. Toutes les femmes interviewées disent avoir eu un coup de coeur pour le premier profil qui leur a été présenté.

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Toutes, sauf Katie Wright, du Texas, qui raconte avoir dû chercher un peu plus. « J’ai refusé quelques familles. C’est vraiment difficile à faire, mais si tu sens que vos personnalités ne vont pas bien ensemble, tu ne veux pas t’embarquer là-dedans pour un an ou plus », explique celle qui est mère porteuse pour la deuxième fois (et qui porte des jumeaux!), qui a deux enfants en plus de celui de son conjoint, et étudie en génie informatique.

De son côté, Angel Daughdrill a voulu y aller avec son premier choix, mais le destin en a voulu autrement. Il s’agissait d’un homme seul dont la femme était décédée d’un cancer de l’utérus. « Il avait fait congeler les ovules de sa femme, raconte-t-elle. Il essayait d’avoir un bébé pour garder en vie une partie de sa femme. Mais finalement, les ovules avaient une maladie, je n’ai pas pu le faire pour lui. »

Étiez-vous libres de faire vos propres choix durant la grossesse? Aviez-vous un régime strict à suivre, à la demande des parents?

« Si je voulais manger une pizza entière, il n’y avait rien qu’ils puissent dire ou faire pour m’empêcher de manger la pizza entière », s’esclaffe Angel au téléphone.

Chose certaine, les mères devaient suivre les ordres du médecin et se soumettre à un plus grand nombre de tests médicaux, mais, à part cela, les cinq mères porteuses racontent avoir été libres de faire leurs propres choix.

Mais ce sont des choses qui peuvent arriver, assure Katie Wright, qui raconte avoir refusé de porter les enfants de familles qui avaient des exigences particulières. « Par exemple, un régime végane… Je n’ai jamais accepté, parce que ça aurait changé toute ma vie. Il y en a qui interdisent la caféine ou les Tylenol. Je n’accepterais jamais ça. »

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Pour sa part, Louise J. ne s’est pas fait imposer de restrictions durant ses deux grossesses pour autrui, mais dit qu’elle aurait été ouverte à s’y soumettre. « Tant qu’il y a compensation! précise-t-elle. Je sais qu’il y a des gens qui préfèrent les aliments bios, et ça coûte cher. »

Aviez-vous peur que la famille change d’avis et ne veuille plus son bébé?

C’est certainement la question que tout le monde pose à ces femmes. Et non, il n’y en avait pas une qui avait la moindre crainte.

« Ça arrive si peu souvent, contextualise Claire Nielson, du Minnesota, qui a été mère porteuse une fois. Les médias vont sauter sur ces histoires et en faire leurs grands titres, donc c’est ce que vous verrez si vous ne connaissez pas toutes les histoires qui finissent bien. »

Les femmes insistent sur le fait que les familles désiraient ardemment leur enfant, qui n’a été ni le fruit du hasard ni d’un coup de tête. « Le coût, le temps et les espoirs investis dans ce bébé étaient astronomiques, se rappelle Jordan Yanch. Elle était probablement le bébé le plus désiré de la planète, donc mes craintes étaient vraiment minimales. »

Et puis, il y a l’aspect juridique des procédures. « On a signé un contrat. L’enfant et moi n’étions pas liés génétiquement, ce n’était pas mon ovule. Je n’avais aucune obligation légale. Si les parents avaient reculé, l’enfant aurait été pris en charge par des tuteurs légaux qu’ils désignent », explique Louise J.

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Combien avez-vous été payées pour votre grossesse?

Elles ont touché un montant de base, allant de 23 000 $ à 35 000 $ par grossesse, quoique deux femmes ont préféré garder confidentiel le montant reçu. Le tout peut dépendre de plusieurs facteurs, comme l’expérience de la femme ou encore une grossesse multiple.

Les femmes indiquent que toutes les dépenses qui touchent de près où de loin à la grossesse sont en outre remboursées par la famille. Cela comprend les rendez-vous médicaux, les médicaments, l’essence pour les déplacements, les vêtements de maternité, la nourriture supplémentaire, et même parfois une femme de ménage pour les dernières semaines de la grossesse. Certaines femmes, dont Angel, ont confié avoir touché une allocation mensuelle en sus.

Les coûts totaux pour les parents peuvent se situer entre 50 000 $ et 150 000 $, voire plus, selon les conditions de la grossesse.

Comment vous sentez-vous à l’idée d’être payée pour être mère porteuse?

La compensation financière est tout à fait justifiée, d’après ces femmes d’expérience.

« J’ai fait subir pas mal d’épreuves à mon corps, avec la fertilisation in vitro, les déplacements, le temps passé loin de ma famille et évidemment les changements physiques, rappelle Claire Nielsen. Et je prends d’énormes risques! Il y a des risques avec la fertilisation in vitro, il y a un risque de grossesse multiple – j’ai porté des jumeaux et il y a des risques – avec une césarienne, en plus de tous les risques habituels pendant une grossesse. Donc, oui, je crois que c’est tout à fait équitable. »

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En discutant avec Angel, j’ai évoqué les arguments qui sont ressortis dans les débats des dernières semaines. Par exemple, il a été avancé que les femmes ne devraient pas monnayer leur utérus.

« Tu n’es pas obligée d’être mère porteuse, s’enflamme Angel Daughdrill, d’emblée. Les femmes ont le choix. Une femme est libre de faire ce qu’elle veut avec son corps et, si elle veut aider quelqu’un à avoir un bébé… elle le peut! Personne ne devrait prendre de décision qui concerne ce qu’une femme peut faire avec son corps, jamais. »

Vous êtes-vous attachée au bébé quand il est né? Avez-vous déjà pensé changer d’idée et le garder?

Au bout du fil, Katie Wright hurle presque de rire. « Oh non! NON! Je n’aime plus les bébés! » s’esclaffe-t-elle.

« J’aime mieux le sommeil que les bébés maintenant. Avec l’école, et étant déjà mère… Non, non. Ne comptez plus sur moi pour ça! » lance-t-elle avant de pouffer de rire à nouveau.

Sur une note plus sérieuse, elle assure n’avoir pas ressenti d’attachement pour le bébé après sa naissance. « Voir les parents si excités de la grossesse à l’accouchement, je pense que ça facilite vraiment à la séparation, ça aide à ne pas être bouleversée. »

Claire Neilsen aussi ricane à l’idée de garder l’enfant. « J’ai porté des jumeaux. Je n’ai aucune envie d’élever des jumeaux », rigole-t-elle. Elle raconte que son entourage lui a souvent demandé comment elle allait faire pour « abandonner un bébé ». Pour elle, la question est légitime, mais elle est mal formulée.

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Avec le processus complexe, parfois douloureux, avec la prise quotidienne d’hormones et le dévouement nécessaire, la grossesse était un combat mené pour l’amour des futurs parents. « Je n’abandonne pas ces bébés. Je les redonne à leurs parents », insiste Claire.

Deux fois mère porteuse, Louise J. admet qu’elle avait un peu peur de s’attacher lors de sa première expérience. Mais elle a vite réalisé qu’elle ne ressentait pas la même affection pour le bébé que pour ses propres enfants. « C’est comme être un oncle ou une tante. Tu as encore des sentiments, mais ce n’est pas le même amour », décrit-elle.

Angel Daughdrill raconte pour sa part ne pas avoir senti d’attachement pour le bébé, mais que cela ne l’a pas empêchée de souffrir d’une dépression post-partum. « Mais ça n’avait aucun lien avec une envie de la garder! C’était mon corps. J’ai pleuré un peu, mais ce n’était pas à cause d’elle, c’était l’effet des hormones, ou parce que mon mari me tombait sur les nerfs », raconte-t-elle en riant.

De son côté, Jordan Yanch a accueilli le bébé – et la famille! – chez elle durant la semaine suivant l’accouchement, le temps que son lait maternel se stabilise; elle allait le pomper durant les six mois suivants. Elle raconte avoir trouvé difficile le départ de la famille, même si elle était parfaitement consciente que le bébé n’était pas le sien. « Nous sommes tombés amoureux de ce bébé, mais c’était si gratifiant de savoir que nous avons été à l’origine de ce beau voyage avec une famille aimante », se rappelle-t-elle.

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Quelle est votre relation avec le bébé aujourd’hui?

Il arrive que les familles veuillent complètement couper les ponts avec la mère porteuse, une fois que l’enfant est né. Mais les cinq femmes que nous avons interviewées sont toujours en contact avec les familles. Jordan Yanch a même prévu une visite pour toute la famille cet été.

Claire Nielsen parle d’une nouvelle famille élargie, qui s’échange régulièrement des nouvelles et même des cartes de souhaits à Noël.

Sa situation est un peu semblable à celle de Katie Wright : le père monoparental qui élève le bébé qu’elle a porté lui envoie des photos tous les mois, un cadeau de fête des Mères chaque année, en plus d’offrir des cadeaux d’anniversaire et de Noël à ses enfants.

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Angel Daughdrill, qui ne veut pas s'immiscer dans la famille, n’ira pas les visiter en Israël, mais elle aime beaucoup recevoir des photos du bébé. « Ça m’a aidée à passer à travers ma dépression post-partum, confie-t-elle. Je peux la voir grandir, et c’est extraordinaire parce que c’est un enfant que j’ai porté. » L’enfant a la permission de la contacter quand elle sera grande, mais Angel ne croit pas qu’elle le fera. « Je ne suis pas sa mère. On n’a pas utilisé mon ovule. J’aurais l’impression qu’elle voudrait connaître la donneuse d’ovule plutôt que moi. »

Et si c’était à refaire?

Les femmes interviewées ont toutes gardé la porte ouverte – quoique dans le cas de Claire Nielsen, c’est une toute petite ouverture. Elle juge sa première aventure si parfaite qu’elle ne voudrait pas l’entacher avec une deuxième grossesse pour autrui qui ne se déroulerait pas aussi bien.

Pour Louise et Katie, le oui est catégorique. Si leur santé le leur permet, elles répéteront l’expérience sans hésiter. Jordan est un peu moins certaine : elle ne prévoit pas de le faire pour l’instant, « mais je pourrais envisager d’offrir un deuxième enfant à la même famille ».

Et finalement, Angel répéterait l’expérience, mais pas de sitôt, parce que sa grossesse l’a grandement épuisée. « Je ne veux pas être une usine à bébés, admet-elle. Je veux laisser à mon corps le temps de se reposer, et de se réparer.»

Justine de l'Église est sur Twitter.