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Kabylie Football Club : « Gagner l’indépendance avec nos pieds »

Alors qu’une marche des Kabyles de France se tient ce dimanche 15 avril à Paris, focus sur l’équipe nationale de Kabylie. Ou quand foot et politique se jouent sur le même terrain.
Photo : Hocine Zaourar / AFP

D’ordinaire, les guerres d’indépendance se livrent sur les barricades et se règlent à coups de cocktails Molotov. Depuis le retrait de la France du pays en 1962, les Kabyles d'Algérie n’ont pas échappé à la règle. Sentiment de déclassement, discrimination, la minorité berbère (17 % de la population) a peu à peu versé dans l’insurrection, au point de descendre par milliers dans les rues de Tizi-Ouzou, la capitale régionale, mais aussi d’Alger. Avec toujours le même triste résultat à la clé : une répression violente du régime et un bilan sanglant pour les manifestants, comme lors du « Printemps berbère » de 1980 (32 morts) ou du « Printemps noir » de 2001 (126 morts). Cette histoire, qui a marqué des générations de Kabyles en Algérie, se commémore dimanche 15 avril dans les rues de Paris, lors d’une marche où sont attendus des milliers de membres de cette diaspora très nombreuse en France.

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Mais en parallèle, l’histoire des revendications kabyles s’écrit sur un autre terrain : celui du football, avec la création il y a un an d’une « équipe nationale kabyle ». Qui participera, en mai prochain, à la Coupe du monde des peuples sans État de la CONIFA [pour assurer sa participation à la compétition, l'équipe a lancé une campagne de financement participatif, ndlr]. La CONIFA, c’est une sorte d’alter ego underground de la FIFA, une association qui regroupe les fédérations footballistiques de minorités non-reconnues par sa grande sœur. Parmi les 15 autres candidats au titre de champion, la Kabylie affrontera donc les Coréens unis du Japon, la Padanie ou encore les îles Kiribati. Un casting surprenant fait d’équipes au pedigree inconnu, qui partagent toutes la même volonté : faire valoir leur particularisme culturel et leur identité à travers le foot le temps d’une compétition.

Côté kabyle, l’ambition est donc plus grande encore, puisqu’Aksel Bellabaci, l’homme à l’origine du projet, parle de « lutte pour l’indépendance par le foot ». Aksel Ballabaci est secrétaire d’État chargé du sport du gouvernement provisoire kabyle en exil à Paris, une organisation soutenue par les militants indépendantistes d’un côté - et bien évidemment infréquentable aux yeux d’Alger. Coupe gominée façon Humphrey Bogart et doudoune impeccable, il reçoit à la terrasse d’un des nombreux bars kabyles de la capitale qu’il fréquente avec d’autres activistes de la cause : « Pour moi qui suis un grand fan de foot, tout est parti de la Coupe du monde 2014 où l’Algérie avait brillé [éliminée en 1/8e de finale contre l’Allemagne en prolongation, ndlr]. Alors que l’équipe était composée à 70 % de Kabyles, le discours des joueurs et des entraîneurs a constamment été : "Nous représentons les Arabes". Nous, les Berbères, on s’est forcément sentis orphelins. Cette phrase m’a fait suffisamment mal pour que je me dise que j’allais tout faire pour monter une équipe qui jouerait en notre nom ».

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« On a essayé de me corrompre, on a menacé ma famille… » - Aksel Bellabaci, fondateur de l’équipe de foot de Kabylie

2014, c’est aussi le moment où Ferhat Mehenni, chanteur kabyle emblématique devenu président du gouvernement provisoire en exil, découvre l’existence de la CONIFA. Il propose alors à Aksel Bellabaci de partir en Kabylie constituer une équipe pour disputer la campagne de qualification en 2017. « Au début, personne n’y croyait, rembobine Aksel. Tout le monde me disait : "Qu’est-ce que c’est que cette connerie ?" Mais grâce à mes contacts dans les clubs locaux, j’ai pu monter une équipe rapidement ». Les matches, organisés contre des petites formations de la région, se jouent dans une ambiance de film d’espionnage, par crainte d’éveiller les soupçons de la police algérienne : « On devait être très discrets. J’avais ramené les maillots que j’avais faits en France. Les joueurs me les rendaient dès la fin du match. Personne ne prenait de photo à part moi, et je les ai conservées précieusement jusqu’à l’annonce officielle de notre qualif’ et de notre participation ». Détail qui ne manque pas de sel : l’équipe de Kabylie a appris qu’elle était sélectionnée pour la coupe du monde la CONIFA le jour même on l’on apprenait l’élimination de celle d’Algérie pour la Coupe du Monde officielle, en Russie.

De projet farfelu, la participation de l’équipe kabyle à la Coupe du monde de la CONIFA est donc devenue réalité. Et c’est sûrement ce qui a réveillé les inquiétudes du pouvoir algérien car, quelques jours plus tard, Aksel Bellabaci a vu débarquer chez lui une flotte de 4x4 noirs aux vitres fumées. « C’était dans le village de mes parents à 10 kilomètres de Tizi-Ouzou [la capitale régionale kabyle, ndlr]. J’étais à peine remis de la fête qu’on avait organisée pour célébrer la qualification quand je me suis rendu compte qu’ils étaient en train d’encercler ma maison et que certains entraient même par le jardin ! », raconte Aksel, mi-amusé mi-attristé par la tournure des choses. Difficile d’imaginer la redoutable police algérienne déployer autant d’efforts pour appréhender un homme en lendemain de soirée. Pourtant, c’est bien ce qu’il s’est passé ce matin-là, dans une ambiance « assaut du GIGN ». « Ça en dit long sur l’importance de notre projet », enchaîne Aksel Bellabaci, qui a ensuite subi 9 heures d’interrogatoire serré de la part d’une vingtaine de policiers. « Chacun avait sa technique, l’un a essayé de me corrompre en me proposant un boulot, l’autre a menacé ma famille… Mais je n’ai pas cédé, et ils ont fini par me relâcher sous la pression des habitants de mon village qui manifestaient devant le commissariat. » Depuis, chacun de ses retours est ponctué par des heurts avec les forces de l’ordre, comme en mars dernier, où la police a empêché la tenue d’une conférence sur la future Coupe du monde de la CONIFA.

« Le simple fait que cette équipe existe est une victoire » - joueur de l’équipe nationale kabyle.

Malgré les difficultés, Aksel Bellabaci est aujourd’hui en passe de constituer l’équipe kabyle pour la compétition. Près de 160 joueurs ont déposé leur candidature pour participer à l’aventure. Parmi eux « un joueur de 18 ans évoluant dans un club de Ligue 1 », annonce-t-il fièrement sans en dire plus. Le staff de la future équipe garde en effet secrets les noms des joueurs pour leur éviter toute pression potentielle de la part du gouvernement algérien. L’un d’entre eux a néanmoins accepté de s’exprimer à visage découvert. Kouceila Saidouni, 22 ans, se présente lui-même comme « jeune opprimé en Algérie ». Installé en France depuis deux ans, ce jeune homme à la tchatche aussi ciselée que sa barbe joue au CS Berbères de Villetaneuse, où il continue à jouer au foot malgré les déceptions vécues par le passé. Car Kouceila affichait des stats brillantes dans son club en Kabylie - 40 buts en 22 matches pour sa dernière saison - sans que personne ne lui ait jamais proposé de contrat : « C’est le problème en Algérie, ça marche plus aux connaissances qu’aux compétences. C’est ce qui m’a poussé à vouloir jouer avec l’équipe nationale kabyle, parce que je suis convaincu que le foot est une arme puissante, et qu’on peut gagner notre indépendance avec nos pieds. Mais que je sois pris ou pas, le simple fait que cette équipe existe est une victoire. »

Ce combat par le foot, la Kabylie l’a mené de longue date. Car au-delà de « l’équipe nationale kabyle » qui s’apprête à écrire son histoire, la JSK (Jeunesse Sportive Kabyle), le club de Tizi-Ouzou, a toujours été une « caisse de résonance sportive des aspirations kabyles », pose Youcef Zirem, auteur d’une Histoire de la Kabylie. Car les supporters du club le plus titré d’Algérie ont toujours contesté le pouvoir central depuis les tribunes : en brandissant des drapeaux kabyles en plein Printemps berbère en 1980 ou en sifflant l’hymne national pour la finale de la coupe d’Algérie en 1990. Le chanteur indépendantiste Lounès Matoub, grande figure kabyle, avait même écrit une chanson sur le club avant d’être assassiné en 1998 par des terroristes selon l’État algérien, par l’État algérien selon les indépendantistes kabyles et par des généraux algériens selon un documentaire Canal +). Pour la Kabylie, la participation à la Coupe du monde des peuples sans État sera une autre tribune d’expression non négligeable. Même si rien n’est encore fait, comme le souligne Askel Bellabaïci : « Je suis sûr qu’« ils » vont tenter quelque chose pour nous mettre des bâtons dans les roues. C’est dingue tout ce qu’ils sont capables de faire pour nous empêcher de jouer au foot. » Pour la Kabylie plus que pour toute autre équipe, l’adage du baron de Coubertin n’a jamais été autant d’actualité : l’important, c’est vraiment de participer.