une illustration d'un camp de migrants
Illustration: Adrien Herda pour VICE FR

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Quand les migrants deviennent des fugitifs

Menacés d’expulsion par la procédure Dublin, certains doivent échapper à la police et survivre pendant dix-huit mois dans le dénuement le plus total avant de pouvoir déposer une nouvelle demande d'asile.

Le 7 janvier dernier, Omid, un demandeur d’asile de 29 ans, avait rendez-vous à la préfecture de police, à Châtelet dans le 4e arrondissement de Paris. Sur place, la police l'arrête. Direction le centre de rétention administrative de Vincennes où il passe la nuit. Il ne voit pas d’avocat et les fonctionnaires ne lui laissent pas l’occasion de déposer un recours devant le juge des libertés et de la détention. Dès le lendemain, il est mis dans un avion pour la Belgique. Ce type d’expulsion, qui prend la justice de court, n’est pas une première. L’homme tombait sous le coup de la procédure Dublin, qui désigne le premier pays où les empreintes d’un réfugié ont été recueillies comme responsable de sa demande d’asile. Les autorités belges ne prennent pas en charge Omid qui revient à Paris deux jours plus tard. « Actuellement, je vis illégalement en France et je n’ai aucune idée de comment je vais survivre. Je ne l’ai pas vraiment décidé, mais je suis en fuite », résume-t-il dans un très bon anglais.

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Lorsqu’ils tombent sous le coup de la procédure Dublin, les réfugiés n’ont que deux possibilités. Se soumettre au contrôle des autorités en espérant faire partie des personnes qui échapperont à l’éloignement pour passer en procédure normale ou bien se mettre en fuite. Celle-ci ne relève pas toujours d’un choix de leur part. Dès le 19 juillet 2016, par l’intermédiaire d’une circulaire, Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’Intérieur, avait vivement encouragé les fonctionnaires à placer en fuite les demandeurs d’asile récalcitrants. « En tout état de cause, vous recherchez à caractériser la fuite dès lors que l’étranger placé sous procédure Dublin ne coopère pas avec vos services en vue de l’exécution du transfert », écrivait le garde des Sceaux. Dans une circulaire du 20 novembre 2017, son successeur Gérard Collomb avait ordonné de poursuivre cette politique. Lorsque les réfugiés sont déclarés en fuite, l’allocation pour demandeur d’asile est suspendue et le délai de transfert passe de six à dix-huit mois.

Les réfugiés doivent alors rester loin des radars et survivre un an demi dans le dénuement le plus total. Passé ce délai, ils peuvent déposer une demande d’asile en France sans être redirigés par le règlement de Dublin. D’après la CIMADE, ils étaient 10 000 à avoir opté pour la fuite en 2017. Les bénévoles d’ONG que nous avons interrogés ne sont pas en mesure de nous donner un chiffre. Ils se montrent cependant unanimes et affirment que le nombre de personnes en fuite aurait considérablement augmenté en 2018. « Ce chiffre de 10 000 me parait improbable. Tous les gars refusés au Danemark, en Allemagne, en Norvège se retrouvent en fuite ici », nous confie une vétérante de l’accompagnement juridique des demandeurs d’asile.

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Pour échapper aux expulsions, les fugitifs vivent comme des fantômes et disparaissent des statistiques. Ils vivent pourtant bien là, sous nos yeux, en chair et en os, depuis des années. À La Chapelle dans le 18e arrondissement de Paris, nous retrouvons Mahmoud* dont les 18 mois de fuite se sont achevés le 16 septembre dernier. Il parle uniquement dari et Omid se charge de nous traduire ses propos en anglais.

« J’ai dormi dans le froid de la rue pendant des mois sous le pont de la porte de La Chapelle » – Mahmoud

Mahmoud, 25 ans, grandit dans la province Kâpîssâ en Afghanistan, fief islamiste où sévissent encore aujourd’hui 130 groupes de talibans. Il est arrivé en France le 5 janvier 2017. « Je suis venu directement à Paris demander l’asile. Comme je n’y arrivais pas, je suis allé à Beauvais avant de revenir au centre humanitaire de La Chapelle. Un jour, ils m’ont finalement transféré à Bourg-en-Bresse ». Les autorités placent Mahmoud dans un « programme d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile » (PRAHDA) isolé et géré par la Croix-Rouge. « Un centre qui sent mauvais », résume l’homme qui a ensuite dormi plus d’un an dans les rues de la capitale.

Mahmoud qui sait que son expulsion devient imminente prend la fuite en mars 2017. « J’ai dormi dans le froid de la rue pendant des mois sous le pont de la porte de La Chapelle », raconte-t-il. Les deux plus importants camps de réfugiés se situent porte de La Chapelle à Paris et sur l’avenue du président Wilson à Saint-Denis. Mais au crépuscule, de nombreux campements plus petits s’organisent dans toute la capitale, sous des buissons, sous des escaliers ou bien dans des parkings. « J’ai survécu grâce aux dons de nourriture », reconnaît Mahmoud. Quand il évoque son calvaire, le jeune homme n’étale pas ses sentiments, il dissimule sa peine derrière des rires nerveux. « On dormait à deux par tente et on avait une couverture chacun ».

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La promiscuité et l’extrême dénuement dans lequel vivent les fugitifs ont des conséquences sanitaires désastreuses. « J’ai été malade, c’était spécial, ma peau me démangeait ». Au cours de sa cavale, Mahmoud contracte la gale. Il la gardera le temps de trouver un médecin conciliant. L’arrivée des acariens le contraint à repartir de zéro. Les parasites tourmentent les fugitifs qui, même lorsqu’ils accèdent à un traitement, doivent alors changer de vêtements, de tente et de couvertures.

« La police venait souvent tôt le matin. Ils nous confisquaient nos couvertures et nos tentes », raconte Mahmoud. « Si nous refusions ou que nous protestions, ils utilisaient des gaz lacrymogènes » – Mahmoud

Les réfugiés s’éloignent rarement du 18e arrondissement et les communes limitrophes où ils se sont rassemblés pour la plupart d’entre eux. Les trajets dans la capitale multiplient les risques de contrôle et d’arrestation. « On ne peut pas se payer de ticket alors on doit toujours se déplacer à pied », explique Mahmoud. Hors de question de resquiller, car s’ils tombent entre les mains des agents de la RATP ou de la SNCF, les fugitifs peuvent être remis à la police.

Même dans le Nord parisien, les réfugiés peinent à trouver un répit. Sur les campements, les policiers mènent une véritable guerre des nerfs. « La police venait souvent tôt le matin. Ils nous confisquaient nos couvertures et nos tentes », raconte Mahmoud. « Si nous refusions ou que nous protestions, ils utilisaient des gaz lacrymogènes ». Quand nous l’interrogeons, Virginie*, qui intervient comme bénévole auprès des migrants dans le 18e depuis mars 2017, confirme l’étendue de cette pratique : « C’est très fréquent. L’hiver, quand ils ne confisquent pas les affaires, ils les mouillent pour que les migrants ne puissent pas les utiliser ». De son côté, Mahmoud se remémore ces journées éprouvantes : « Nous devions alors trouver des lieux publics où se réfugier pour échapper au froid. Ensuite, il fallait s’organiser pour trouver au moins une couverture chacun avant la nuit ». Pire que la faim et le froid, la police reste la principale hantise des dublinés.

Les conditions de vie des fugitifs devraient encore s’aggraver durant les prochains mois. Jusqu’à aujourd’hui les centres d’hébergement d’urgence pour migrants (CHUM), dotés de 9300 places, accueillaient les migrants de manière inconditionnelle, quelle que soit leur situation administrative. Depuis le 1er janvier, les CHUM, qui dépendaient du ministère de la Cohésion des territoires, passent progressivement sous la houlette du ministère de l’Intérieur. La transition devrait s’achever le 31 mars, il s’agira désormais d’hébergements d’urgence des demandeurs d’asile (HUDA) et de centres provisoires d’hébergement (CPH). Certains fugitifs parvenaient à obtenir une place dans les CHUM, c’est terminé.

Omid peine à cacher son désarroi. Depuis sa naissance, il n’a connu que la clandestinité. Ses parents ont quitté l’Afghanistan pour l’Iran avant qu’il ne vienne au monde. Cette situation qui devait rester temporaire s’est éternisée. « Aux yeux de la loi iranienne, je suis encore un Afghan. Ils ne m’ont jamais accepté dans la société, je n’avais aucun droit là bas. Je n’avais pas le droit d’aller à l’école, ni de conduire une voiture, ni même de signer un papier. Je ne pouvais rien faire sans identité, sans droits, sans rien.. Je n’étais qu’un homme qui déambulait dans les rues ». La famille d’Omid a fini par quitter l’Iran pour gagner l’Europe. Ses parents ont tenté leur chance en Allemagne et tombent également sous le coup d’une procédure Dublin. Si Omid devait être expulsé hors d’Europe, il serait sans doute envoyé en Afghanistan, un pays qu’il n’a jamais vu.

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