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Food

Je suis allé manger des huîtres et des croquettes au fromage avec Zwangere Guy

On a discuté du fait de fumer avec son père, de pleurer avec ses potes et de partir en vacances au Malawi. Et aussi de banana-traumatisme.

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Je ne sais pas à quoi ressemble votre lunch mais en ce qui me concerne, je mange habituellement des vieilles tranches de pain avec du gouda jeune, alors que je préfère l’inverse. Lors de la pause de onze minutes que je m’offre, mon attention volage me fait passer d’une vidéo YouTube à l’autre sur mon ordinateur portable, ce qui fait qu’au final je n’ai rien regardé de manière « consciente », encore moins mangé quelque chose. La vie n'est pas un camp de petits poneys.

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Cependant, la semaine dernière a fait exception à la règle. Zwangere Guy avait lui-même suggéré qu’on l'interviewe dans un restaurant chic. J'ai réservé une table, appris par cœur le code de notre carte de crédit interne - 1994, année de fondation de VICE - et me suis préparé pour un repas de fête.

Amuse-bouches : demi-douzaine d'huîtres

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À mon arrivée, Gorik van Oudheusden - le vrai nom de Zwangere Guy - m'attend déjà à l'une des tables situées à l'arrière du célèbre restaurant bruxellois Le Vismet. Il se lève pour me saluer et commence à parler avec le serveur facétieux et deux types âgés bien en chair. Quans nous prenons place, Gorik se verse un verre d'eau pétillante et nous trinquons. « C'est juste de l'eau, mais bon. »

« J'ai un traumatisme avec les bananes. Une prof m'a une fois enfoncé une banane de force dans la bouche et depuis, j’ai un blocage. »

Dix minutes avant notre rendez-vous, j’avais reçu un appel de Dis Huyghe, son manager. « Gorik est un peu malade », m’avait-il dit. « Allez, pas vraiment malade, mais un peu fatigué. Il a vraiment passé des semaines très difficiles avec toutes ces préparations pour les concerts et les nombreuses interviews. » Je ne comprenais pas vraiment où Dis voulait en venir et je lui ai donc demandé si l'entretien pouvait toujours avoir lieu. « Oui, oui, mais je pense que Gorik veut juste bien manger et parler d'autre chose que de sa mère. » Depuis la release de son clip « Gorik pt.1 » à la fin du mois de novembre, Zwangere Guy avait expliqué dans presque toutes les interviews que sa mère avait été maltraitée et abusée par son beau-père. Ça a commencé avec son témoignage dans De afspraak et continué jusqu'à aujourd'hui. Il a raconté son histoire d’une façon si crue et directe qu'elle a presque étouffé son premier album, Wie is Guy. Presque, car l’album est tellement ridiculement bon que tout le monde s’en régale depuis deux semaines. Nous trinquons donc aussi à ce succès.

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« Jusqu'à mes quatorze ans, j'étais pas facile pour manger. À partir du moment où j'ai dormi chez des personnes différentes chaque soir, c'est devenu plus difficile de refuser ce qu'on me servait. »

« Je pense que je vais prendre la sole. Ou le tartare de thon qui est aussi super bon ici. Même si j’ai déjà pris ça la dernière fois. Est-ce que tu manges vraiment de tout ? » me demande-t-il sans même attendre la réponse. « Moi j'aime tout, sauf un truc : les bananes. » Je lui dis que je mange une banane par jour et qu’une banane, c’est en fait le super aliment par excellence. « J'ai un traumatisme avec la banane », dit Gorik. « Une prof m'a une fois enfoncé une banane de force dans la bouche et depuis, j’ai un blocage. » Je lui confie que ma grand-mère souffre de ça aussi et que les bananes lui donne des hauts-le-cœur. « J'ai récemment mangé une banane en Afrique, mais elles sont différentes. »

Pour la photo : croquettes aux crevettes

Les deux hommes plus âgés avec qui Gorik avait discuté auparavant ne sont pas des fans lambdas venus d’un autre temps. Gorik les connaît. « Tu vois ces deux types là-bas ? », me demande-t-il. « Celui-là, c’est Christian, c'est le père d'un de mes meilleurs potes, Mathijs. Quand j’ai quitté la maison à quatorze ans, je mangeais chez eux deux fois par semaine et j'y restais dormir un jour semaine aussi. Et ça pendant quatre ans. C’est à cette époque que j'ai appris à manger de tout. Jusqu’à mes quatorze ans, j’étais difficile. Mais à partir de ce moment-là, j’ai changé de chaumière tous les soirs, chez Mathijs, chez Ian, chez Dorien, Arno, Laurence, Thomas, Bert, … Et là, c'est devenu difficile de dire ‘non, merci’ quand on me mettait une assiette sous le nez. Pendant la journée, comme je travaillais sur un chantier, je rentrais affamé et je mangeais des portions doubles. »

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Quand le vin arrive, nous trinquons à nouveau. « Je ne vais pas prendre d’entrée, c'est beaucoup trop. Qu'est-ce tu prends, le lunch ? C’est quoi le lunch ? » Gorik passe constamment du néerlandais avec moi au français avec le serveur, qui lui donne parfois une petite tape en passant. Le menu du jour, écrit à la main, comprend une fondue au fromage maison comme entrée et trois filets de sole d’Ostende grillées comme plat principal. « Trois ? Wow, je vais prendre ça aussi, mec. Et vous voulez bien apporter quelque chose pour les photos ? Une croquette aux crevettes ou un truc comme ça. Merci ! »

« Pour la première écoute, il ne faut pas l'écouter d'une seule traite, parce que l’album est bien trop dur. Il faut écouter quelques morceaux, puis faire un pause. Ensuite seulement, lui donner une seconde chance. »

Gorik vient souvent ici. « Sur le temps de midi c’est un peu mort, mais le soir c’est toujours la grosse fête. Charlotte, la patronne, c’est vraiment une bête. Et Tom, le propriétaire, qui n’est pas ici pour le moment, c’est un véritable mélomane qui passe souvent des disques. » Bien que Wie is Guy est déjà sur les plateformes de streaming et sorti en CD, le vinyle est toujours en préparation. « Ça, ça va être le meilleur moment. Je suis vraiment impatient de tenir ce disque en main. Bien que, pour être honnête, ça fait déjà deux semaines que je fais la fête. Deux semaines qui ressemblent à un long anniversaire. Je suis vraiment dépassé par l’accueil que ce disque reçoit. »

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Après son passage à De afspraak, il a finalisé son premier album et c'était prêt le 1er décembre. Après deux ans d'écriture et de bricolage, il ne savait plus quoi en penser. N'avait-il pas trop parlé de lui ? N'y avait-il pas trop de morceaux dessus ? Gorik est ensuite parti en vacances pendant trois semaines au Malawi, où vit son meilleur ami, Ian. « C'était la quatrième fois que j’y allais. Les deux premières, j'ai voyagé, ici c’était vraiment des vacances. Là-bas, tu peux voir un lac deux fois plus grand que la Belgique. Pêcher, plonger, fumer de l’herbe… Tu peux tout y faire. » Et manger des bananes, donc.

Entrée : croquettes au fromage

À son retour, Zwangere Guy a réécouté son album. À part quelques erreurs, il en était satisfait. La première partie de Wie is Guy est très chargée émotionnellement. « Pour la première écoute, je ne voulais pas que les gens l'écoutent d'une seule traite, parce que l’album est bien trop dur. Il faut écouter quelques morceaux, puis faire un pause. Ensuite seulement, lui donner une seconde chance. Dans la première partie, vous êtes chez moi, dans la seconde, vous sortez avec moi. C'est la partie funky, c'est comme une croisière. Et à la fin, sur la troisième partie du disque, la fête est terminée. Comme dans la vraie vie. Et parce que je ne peux pas faire la fête tout seul, je ne suis pas assez funky, il y a beaucoup de featurings dans cette partie, avec Selah Sue, Darrell Cole - een G van mij, avec le Nag, Blu Samu, … »

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Devant la fondue au fromage maison, qui s'avère finalement être des croquettes au fromage, je dis à Gorik que j'ai été impressionné par la collection de CD qu'il a récemment montrée dans une vidéo Instagram. Apparemment, ce n'en était qu'un quart. Il a en beaucoup perdu quand ado, fuyant son domicile et bougeant sans cesse. Tout l’argent qu'il gagnait sur le chantier ou en dealant de l'herbe allait à la musique. Enfant, sa mère lui donnait parfois cinquante euros par semaine pour pouvoir prendre soin de lui.

« J'ai vécu à trois cents mètres du premier Mediamarkt de Belgique. Un type avec qui j'avais fumé quelques joints collait des stickers 4,99 € sur des CD de vingt balles. J'en ai acheté beaucoup là-bas. »

« J'ai vécu à trois cents mètres du premier Mediamarkt de Belgique. J’allais là-bas acheter de la musique avec Frederik Daem, qui est écrivain. Il s’est avéré que Steve travaillait là-bas, un gars du quartier avec qui j’avais fumé des joints. Il nous collait des stickers sur les CD qu’on voulait. ‘4,99€’ sur un CD de vingt balles. J'ai vraiment acheté énormément là-bas. Et aussi à Lefto chez Music Mania, mais les bacs de cds étaient placés bien trop haut pour moi. Il fallait que Frederik, qui avait une tête de plus que moi, me les sorte : hip-hop français, Nas, 2Pac, … »

La veille, Gorik a passé successivement dix morceaux de 2Pac lors d'une soirée. « C'était pour faire la fermeture du Daringman, le bar où Mercedes tient le comptoir. C'est une amie à moi. » On dirait qu'il connaît personnellement tous les gens des cafés bruxellois. « Je ne dirais pas ça non plus. Mais quand je vais quelque part, je veux me sentir chez moi. Dans un restaurant, je vais dire bonjour en cuisine et si je vais dix fois dans le même bar, je ne peux pas prétendre que je ne les connais pas. On va au café pour être social. Mon père a eu un café qu'il a lui-même mis en faillite. J'y suis allé quelques fois et vous savez, un bon bar, c’est sacré. Avant, dans les Marolles, il y avait une corde dans chaque bar, à laquelle les gens étaient attachés. À la fin de la soirée, ils la coupaient, tout le monde tombait KO et ils vous traînaient dehors. On peut toujours trouver ces cordes dans certains cafés. »

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Plat de résistance : trois filets de sole à l'Ostendaise

Gorik aime les bonnes bières, la bonne bouffe et les contacts sociaux. Logique donc qu'il ait bien bu, bien mangé et bien parlé avec tout ceux qui se trouvent sur l’album. Avec Peet du 77, ça a duré trois jours et ils ont pleuré ensemble quand ils bossaient sur « Mec Man Bro », entre autres à cause de la mère décédée de Peet. « C'était vraiment intense. »

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Même quand Gorik a signé son contrat, le rituel bouffe et boissons a été honoré. « Après notre première réunion, j'ai dit à Patrick d’Universal - je l'appelle de Patte - : 'vous ne m'aurez pas avec un américain frites.' » Leur prochaine réunion a eu lieu au Sensa Nome, un restaurant italien dans le quartier chic de Zavel. « À ce moment-là, j'ai pensé : ok, là on peut commencer à discuter. Mais ces maisons de disques rayonnent des signes dollar. Alors, quand le deal était conclu, j’ai dit que je voulais aller manger à Comme Chez Soi avec mon manager, ma petite amie et mon avocat. Bon, finalement, ça n’a été qu’avec mon manager, mais quand même … Tu as déjà été là-bas ? » Bien sûr que non. « Je croyais que ça allait être super coincé, mais je me suis pointé en training complet et ils ont trouvé ça bien. »

« Il y a un démon en moi. J’aimerais bien prendre des drogues tous les jours, mais je sais que j’en deviendrais fou. »

Gorik voulait me montrer son nouveau clip depuis les croquettes aux crevettes, celui du titre « Wie is Guy ». Mais à cause de toute cette bouffe, on n’avait pas encore réussi à trouver le temps. Quand les soles sont débarrassées, je peux enfin le voir. Pendant les six minutes où je regarde Zwangere fumer, vomir et tuer des gens à travers le paradis et l'enfer, Gorik profite de cet interlude pour bavarder avec à peu près toutes les personnes présentes au Vismet.

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Je lui dis que je pense que c'est un clip sombre pour un morceau sombre. « Il y a un démon en moi. J’aimerais prendre des drogues tous les jours, mais je sais que j’en deviendrais fou. Je me focalise vraiment sur ma santé mentale. Ma petite amie est psychologue pour enfants et elle suit également une formation complémentaire en tant que thérapeute. Sans Ella, mon disque n'aurait pas été le même. Elle m'a aidé à raconter mon histoire. »

Ensuite il me raconte que « Gorik Pt. 1 » n’est que la première partie d’une trilogie. Dans la suivante, il veut rapper du point de vue de sa mère abusée. La dernière et troisième partie est basée sur une histoire qui sera racontée plus tard par Zwangere Guy lui-même, mais elle est si violente que j'ai du mal à y croire. Pour une raison ou l’autre, j’imagine Gorik jouer le rôle principal dans son propre film biographique, façon Eminem. « J'avais une histoire et j’ai vraiment dû apprendre à la raconter. C'est tout ce que je pouvais faire. L'école, c’était un enfer pour moi. Alors, quand j'avais quatorze ans, mon père m’a emmené promener dans Bruxelles pour trouver ce que je voulais faire de ma vie. ‘Regarde, ça c'est un chantier’, m’a-t-il dit. ‘Et ça c'est la VRT, c’est ici qu’ils font la télévision.’ On a fait Schaerbeek-Halle aller-retour. J'ai même été autorisé à rouler un joint et mon père a voulu tirer dessus. J'avais quatorze ans et il n'a que dix-huit de plus que moi, donc il était encore jeune. On est passés près d’une caserne, mais d’après lui, l’armée n’était pas pour moi. En fin de journée, il m’a annoncé qu’il me voyait faire deux choses : la construction ou la scène. Boucher, je ne pouvais pas, car c’était son métier. Alors j'ai commencé par bosser dans la construction. »

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Digestif : espresso

Nous répondons au serveur qu’il ne nous faut pas de dessert, mais il nous apporte quand même deux expresso. L’avantage d’être un kid de la maison. Ou simplement le karma : Gorik donne et Gorik prend. Il veut partager et être pur. La seule chose à laquelle il fait attention, c’est de ne pas se transformer en vendu. « Je reçois maintenant de ces propositions, mec… Aller rapper dans un H&M pour un montant pour lequel avant, je devais bosser une année entière. Heureusement, Dis, mon responsable, refuse tout ça sans même avoir à me consulter. » Je lui confie que personnellement, je ne refuserais pas.

« Les gens me préviennent que je vais tomber dans une espèce de trou noir, mais je viens déjà de la misère. Les choses ne font que s'améliorer. »

Ne s'inquiète-t-il pas pour l'avenir ? « Les gens me préviennent que je vais tomber dans une espèce de trou noir, mais je viens déjà de la misère. Les choses ne font que s'améliorer. Je veux juste en profiter. » Je lui suggère que plus tard, il pourrait peut-être ouvrir un restaurant. « J'y ai pensé pendant longtemps mais maintenant, j'ai un meilleur plan. Dans dix ou douze ans, je serai le patron de l’AB. Pas directeur artistique ou un truc du genre, hein. Non, vraiment le boss. PDG. Si j’avais un resto, je deviendrais gras du bide et je boirais beaucoup trop. Mais bon, d’un autre côté, je le fais déjà. »

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