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Culture

J'ai suivi une formation à la désobéissance civile

« Mais même si vous êtes ceinture noire de judo, n’essayez pas d’affronter la police : ils ont des matraques. »
Formation désobéissance civile
©Joel Saget / AFP 

©Joel Saget / AFP

Un samedi gris de fin janvier, une cinquantaine d’apprentis activistes se réunissaient dans un local du 13ème arrondissement de Paris sur invitation des Désobéissants pour apprendre les bases de la désobéissance civile. Lancé il y a 12 ans par des anciens de Greenpeace, ce collectif spécialisé dans « l’action directe non violente » aurait formé plus de 3 000 personnes. Du côté des participants, une foule d’apparence plutôt banale allant de 20 à 60 ans, mais une même commune envie de « changer le monde » malgré des degrés de radicalité variés.

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Dans une ambiance joyeuse, on parle de Romainville, on fustige EuropaCity et on balance des vannes sur BMFTV, le tout encadré par le formateur Rémi Filliau, fort de nombreuses années de militantisme (et d’une cinquantaine de visites au commissariat). En attendant la prochaine formation, le 16 février, j'ai noté quelques exercices et conseils qui peuvent m'être utiles.

Se positionner philosophiquement

À l’aide de pancartes au sol, la pièce est transformée en une matrice à deux axes : sur un axe, « participe » ou « ne participe pas » ; sur l’autre « cette action me semble violente » ou au contraire « non violente ». Interrogés sur différentes actions impliquant le fauchage d’un champ d’OGM, les participants doivent se positionner dans l’espace et justifier leur point de vue.

« Moi par exemple, voir quelqu’un taper un policier pendant les manifs des "gilets jaunes", je ne trouve pas ça particulièrement violent »

Loin d’être une marque déposée, l’action directe non violente respecte plusieurs principes dont celui, comme l’indique son nom, d’être non violente. Mais là où les choses se corsent, c’est que « la violence est une notion tout à fait subjective », comme le démontre l’un des organisateurs : « Moi par exemple, voir quelqu’un taper un policier pendant les manifs des Gilets Jaunes, je ne trouve pas ça particulièrement violent ». Par contre, pour Rémi Filliau, une chose semble certaine : l’une des caractéristiques de la désobéissance civile est d’agir à visage découvert, assurant ainsi une répression plus faible et davantage de soutiens parmi la population.

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Préparer l’action

Pendant 30 minutes, les participants doivent imaginer le blocage du siège d’Auchan en réponse à la construction d’EuropaCity, afin de se familiariser avec la méthodologie propre à la construction d’une action.

Construire une action est rarement facile, et il peut être utile de respecter une certaine méthodologie : d’abord, définir ses objectifs à court et à long terme, puis identifier ses alliés « naturels » ou « objectifs » (soit les ennemis de ses ennemis) et surtout ses adversaires, qu’ils soient « principaux » (ici, Auchan) ou « secondaires » (la préfecture) : « Il est parfois plus facile de créer un rapport de force avec des adversaires secondaires », explique Rémi Filliau.

Après avoir fait la liste des compétences du groupe, on planche sur le scénario de l’action avec un début, les rebondissements éventuels et surtout, plusieurs fins possibles – prévoir un plan B est absolument nécessaire. Idéalement, ce déroulé doit être validé par consensus, afin que chacun soit conscient des risques qu’il prend et choisisse à l’avance un rôle qui lui correspond : du repérage pour anticiper le dispositif policier jusqu'aux coordinateurs, capables de prendre rapidement les décisions sur place, en passant par les contacts médias, la permanence téléphonique et les observateurs (ici, de faux clients), les besoins ne manquent pas.

Rencontrer l’adversaire

Une partie des participants, incarnant des manifestants, est invitée à franchir un cordon policier pour aller faucher (encore une fois) un champ d’OGM. Comment « rencontrer » au mieux les forces de l’ordre et accéder au lieu de l’action ? « Je déconseille d’essayer de franchir un cordon de gendarmes mobiles ou de CRS, mais je pense que c’est tout à fait possible face à des policiers de campagne peu expérimentés », analyse Rémi Filliau. Pour ce faire, il existe plusieurs techniques, comme se laisser tomber mains en l’air sur les flics, détournant leur attention et créant une brèche pour les camarades, ou se recouvrir d’un liquide gluant et malodorant afin de décourager les policiers – parfois responsables de leur uniforme – comme lors d’une action organisée lors de la COP21.

« Il m’est arrivé de voir des policiers se désolidariser et donner du sérum phy à des manifestants »

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« Les policiers sont formés à la guérilla mais pas aux techniques non violentes, analyse le formateur, la violence est leur métier, il faut donc les entraîner sur un terrain qu’ils ne connaissent pas ». Rester courtois, voire empathique, peut désamorcer la situation et le dialogue, en contexte écolo, serait même possible avec la police : « Répéter qu’on n’a rien contre eux, même si ce n’est pas vrai, ou évoquer leurs conditions de travail difficiles, permet de limiter les violences », témoigne Rémi Filliau. Il m’est arrivé de voir des policiers se désolidariser et donner du sérum phy à des manifestants ». Loin d’être dupes, les activistes recommandent cependant de filmer chaque action afin de garder des preuves en cas d’accusation de violences de la part de la police, qui ne peut ni interdire de filmer ni confisquer un téléphone. « Autant que possible, ne restez jamais seul avec un policier. Et si vous filmez des violences policières, balancez les directement sur Internet, ou quittez l’action pour sécuriser les images », concluent les Désobéissants.

Résister à l’évacuation

Assis en cercle par groupes de cinq, jambes emmêlées et mains cachées, les apprentis activistes découvrent la « technique de la tortue » et sa variante en ligne dite « du petit train ». Ils doivent tenir le plus longtemps possible face à des participants jouant le rôle de CRS.

« Mais même si vous êtes ceinture noire de judo, n’essayez pas d’affronter la police : ils ont des matraques »

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Lorsque les policiers décident que la partie est finie, être bien préparé permet non seulement de gagner du temps mais aussi de gérer son stress. On désignera à l’avance un « ange gardien », chargé du bien-être des activistes, qui s'occupe de leur retirer lunettes, bijoux ou écharpes. « Dans ces moments-là, scander des slogans permet d’oublier la peur et la douleur », confie le formateur, avant de continuer : « Mais même si vous êtes ceinture noire de judo, n’essayez pas d’affronter la police : ils ont des matraques ».

Tenir bon au commissariat

Une participante incarne une manifestante interpellée et doit résister, autant que possible, à l’interrogatoire de deux policiers brutaux et menaçants joués par les organisateurs.

Pour qui n’a pas l’habitude, l’étape du commissariat peut s’avérer difficile. Rappelant les différentes étapes de la confrontation (vérification d’identité, garde à vue, etc.), les activistes arment les participants : en cas de vérification d’identité, qui peut durer jusqu’à 4 heures, donner sa « petite identité », soit toutes les infos déjà présentes sur ses papiers, et surtout ne jamais mentir : « Des militants de Bure qui ont dit s’appeler Johnny Hallyday ont été condamnés à de la prison pour usurpation d’identité », raconte Rémi Filliau. Pour la « grande identité » (qui peut comprendre salaire, nom de l’employeur ou montant du loyer) et toute question concernant l’action, répondre systématiquement « Je n’ai rien à déclarer » quelles que soient les menaces, mensonges ou même la sympathie affichée de la police : « Dès qu’ils ont un fil, ils tirent dessus », explique un participant. « Tout ce que vous direz sera utilisé contre vous. S’en tenir à “Je n’ai rien à déclarer”, ça te protège toi et tes potes », continuent les formateurs.

En cas d’éventuelle garde à vue, l’équipe recommande d’accepter la prise d’empreintes digitales et prise en photo, obligatoire, mais de refuser le prélèvement ADN, en théorie réservée aux crimes sexuels et crimes de sang : « Il est interdit de refuser mais vous imaginez, si le FN prend le pouvoir ou si les flics revendent les données à des assurances ? Pour nous, refuser est un acte politique, et c’est rarement poursuivi » concluent les Désobéissants, indociles jusqu’au bout.

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