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Music

Comment éviter l'écueil de la folk ouin-ouin de la cabane en bois ?

C'est simple, demandez à Louis Jucker, qui vient de sortir un album qui respire l'urgence et l'ascétisme, à rebours des guitares sans goût et des larmichettes versées dans le café latte.
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© Augustin Rebetez

En 2008, cette vieille pipe de Bon Iver sortait son premier album composé dans une cabane du Wisconsin, condensé de chansons ouin-ouin sur une rupture amoureuse prêt à caler dans la pub en slow motion d’un fournisseur d’accès à Internet. Effet boule de neige et succès aidant : il n’en fallait pas plus pour que tous les barbus en chemise à flanelle prennent le feu vert pour chaque coin de forêt à disposition et nous fassent le coup du disque confession sur feu de camp. Les communiqués de presse avec les mots « intimiste », « cabane » ou « recueillement » devenaient dans la foulée candidats à l’autodafé.

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Les choses ont-elles changé depuis ? Pas vraiment. Faut-il écouter le nouveau disque de Louis Jucker enregistré dans une cabane en Norvège, à la frontière du Cercle polaire ? Oui, assurément. Parce que le musicien suisse - que vous avez peut-être déjà croisé chez Coilguns, Autisti, Gravels ou dans l’un de ses dizaines d’autres projets – évite les écueils énoncés plus haut. Son album Kråkeslottet est un assemblage de chansons bricolées, rêches, et qui ne s’embarrasse d’aucune pose. Voilà pourquoi il est le client idéal pour comprendre comment éviter le folk Pitchfork et le DIY de blogueuse mode quand on est musicien. Conseil pour les « gratteux » : prenez des notes avant de venir nous faire chier avec vos bobos existentiels mis en musique quelque part dans une forêt du Poitou.

Noisey : Reprenons depuis le départ. Pourquoi est-ce que tu es parti en Norvège pour enregistrer ce disque ?
Louis Jucker : En fait, je n’avais pas prévu de faire de disque là-bas. Le but initial, c’était d’aller voir les aurores boréales pour le nouvel an avec mon frangin. Je ne voulais pas nécessairement rentabiliser le voyage en produisant quelque chose sur place. J’avais surtout envie de ne rien faire.

Alors la question c’est : comment on se retrouve à faire un album quand on décide de ne rien faire ?
Je le sentais un peu venir quand même. J’étais déjà allé à Kråkeslottet – c’est une grande cabane sur pilotis au-dessus de l’eau avec plein de gens – et je savais qu’il y avait des instruments sur place.

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J’avais d’ailleurs pris un petit enregistreur et deux micros avec moi au cas où. C’est vraiment une manie chez moi. J’ai commencé par tourner un peu autour des instruments, et puis j’ai joué avec jusqu’à poser mon enregistreur et improviser des textes. En rentrant en Suisse et en réécoutant tout ça, je me suis aperçu que je tenais quelque chose de cohérent, un peu comme quand tu reçois tes photos de vacances développées.

La posture de l’artiste folk qui se retire dans un endroit reculé a quand même été usée jusqu’à la corde ces derniers temps et pas mal ridiculisée. Tu n’avais pas peur de sonner cliché en publiant ça ?
Non parce que les chansons ont été improvisées sur place et que je n’avais rien calculé. Ce qui aurait sonné faux, c’est justement d’avoir déjà des titres en stock et de me dire : « Ah ouais, je vais aller les enregistrer là-bas pour faire genre ». Là, ça aurait été comme de faire rentrer des trucs au chausse-pied dans des chaussures à la mauvaise taille. Quand il a fallu lui trouver un nom, c'était d’ailleurs logique pour moi de le nommer d’après l’endroit où il avait été fait. Je n’allais pas commencer à lui coller une autre histoire. J’y raconte à ma sauce des petites histoires inspirées de mon expérience sur place. Le son particulier des instruments, le bruit du vent, du bois qui craque, les gens qui parlent, tout ça fait que ce disque n’aurait pas pu exister ailleurs.

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D'autant que les field recordings sur ce disque occupent une place à part. C’est ce qui permet aussi de se projeter avec toi en tant qu’auditeur dans cette cabane au fond de la Norvège.
C’est lié à l’enregistreur que j’ai utilisé : un Zoom. C’est léger et facile à transporter. C’est surtout un enregistreur hyper sensible. Sur le morceau « The Stream » par exemple, on entend deux gamines rire au début. Elles étaient juste là à côté de moi au moment de l’enregistrement. Il n’y avait rien de calculé dans cette démarche. Ce sont des choses qu'on ne peut pas obtenir en studio.

Avec la surproduction culturelle actuelle, tu penses qu’un artiste doit consciemment tenter des démarches originales, avec une histoire à raconter, pour se démarquer de ses contemporains ?
Je me sens de plus en plus comme un Don Quichotte chelou. En Suisse, je passe pour un mec spécial dans le milieu de la musique. On trouve que ma musique est bizarre alors que moi, je fais juste ce qui me plaît sur le moment. Je ne fais pas les choses pour qu’elles soient différentes. Ce disque, c’était pour moi une sorte de bonus, un enfant bâtard. Je me suis demandé : « Est-ce que le monde a absolument besoin de ce truc ? » Je ne sais pas pourquoi j'écris ces chansons. Et c’est peut-être tant mieux. Je lisais Blaise Cendrars à ce moment-là et j’aime bien cette espèce d’anti-héros qui tripe sur son bateau avec sa machine à écrire et qui rédige tout ce qui lui passe par la tête. Il y a une démarche hyper sincère là-dedans même si ça peut-être parfois révéler des détails un peu embarrassants.

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Dans une précédente interview pour Mowno, tu m'avais dit largement préférer les croquis de Rembrandt à ses grandes toiles de maître. On rejoint cette vision-là dans ce que tu me dis, non ?
Ouais ! Rembrandt, j’ai envie de lui dire : « Mais pourquoi t’as merdé comme ça ? Pourquoi t’as dépensé autant d’énergie pour ces toiles alors que tes dessins étaient déjà géniaux ? » Si moi je fais des trucs lo-fi, c’est parce que j’aime bien quand les choses restent floues. C’est là qu’elles sont les plus belles et mystérieuses. Et puis quand tu fais du lo-fi, tu es obligé de raconter comment tu te débrouilles, pourquoi t’as pas la production de Beyoncé sur ton disque. Il faut faire confiance aux gens. Une fois qu’ils voient tous ces éléments qui servent de cadre à ta performance, ils l’acceptent en tant que tel et ils se laissent transporter à l’intérieur. C’est un peu comme dans Roma de Fellini. À un moment tu vois les caméras apparaître dans le cadre. Il y a ce côté mise en abime qui me plait à fond.

Mais cet aspect DIY que tu revendiques a été clairement galvaudé ces dernières années. C’est devenu presque un gimmick marketing repris par les blogueuses modes. Il a perdu de sa portée politique. Ça ne t’ennuie pas ?
Non, ça je m'en fous. On fait ce truc-là parce qu'il a un impact dans nos vies personnelles. C'est pas une question de mode. Hummus Records [label que dirige Louis avec les autres membres de Coilguns, NDLR], c'est à la fois notre business et notre salle de jeux. Comme on fait tout nous-mêmes, on ne perd pas de temps à convaincre d’autres labels de sortir nos disques. Et plus j’avance, et plus j'essaie de faire les choses pour moi. Je ne veux pas du tout être dogmatique. J'aime bien tout maîtriser mais d’autres n’ont certainement pas besoin de ça.

Mais tu ne penses pas que ce mode de fonctionnement peut avoir une portée politique ? On pourrait le rapprocher des discours situationnistes, par exemple.
Oui, c’est politique de dire que je fais mes disques avec peu de moyens, avec des instruments récupérés, parce que le neuf ça me fout les glandes. Mais je ne fais pas de l’art politisé. Après, si ça peut encourager les gens à ne pas se projeter uniquement dans une vie de bureau, tant mieux. Chez Hummus, on a une qualité de vie de fou même si on n’est pas des stars et qu’on ne vend pas des milliers de disques.

L'album Kråkeslottet de Louis Jucker est sorti le 1er mars sur Hummus Records.

Grégory Vieau est sur Noisey.

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