y a deux ans, l’artiste russe Mischa Badasyan, expatrié à Berlin, s’était lancé un défi : il devait se rendre à un rencard tous les jours pendant un an. Le plus important est qu’il devait baiser tous les soirs, que ce soit avec son rencard ou non. Même si ça ressemble à l’un de vos fantasmes, ce projet, intitulé Save the Date, a été une expérience atroce pour lui.
À l’origine, il a attiré toute la presse américaine et a fait les gros titres. De nombreux journalistes avaient émis des avis positifs ou très acerbes sur son ambition. À l’époque, j’avais d’ailleurs écrit un article à son sujet. Mais personne ne l’a recontacté depuis. L’expérience ayant pris fin il y a plus d’un an, Mischa a eu le temps de méditer. Il est aujourd’hui intéressant de voir comment sa performance l’a profondément transformé. Ce mec de 28 ans n’avait jamais été en couple auparavant. Aujourd’hui, il affirme qu’il ne pourra plus jamais s’engager dans une relation sérieuse.
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À la base, l’expérience devait être le reflet de la facilité de notre société à se nourrir de sexe, à une époque où les applications de rencontres se multiplient et révolutionnent notre approche de la sexualité. Ces applications ont trouvé un large écho au sein de la communauté gay.
Néanmoins, Mischa m’a dit que la majorité des réponses qu’il recevait sur ces applis venaient de gars qui non seulement refusaient sa proposition de rencard mais qui, en plus, l’insultaient. Mischa commençait à en avoir marre. Il a alors privilégié une méthode plus traditionnelle – il parcourait les rues et les parcs de Berlin. L’expérience était loin d’être gratifiante. « Je détestais ces rencards, je détestais le sexe, je n’aimais rien », m’a-t-il confié.
Mischa était aussi conscient que son travail – qui était alors devenu une véritable occupation – s’apparentait à de la prostitution. Il a commencé à accoster des types à Kurfuerstenstrasse, le quartier chaud de Berlin. Là-bas, il s’est tapé des mecs qui faisaient le tapin. Il a fini par travailler dans ce quartier, sauf qu’il n’était pas payé.
Comme vous pouvez l’imaginer, ses rapports sexuels étaient rapides et dénués de toute émotion. Le sexe était journalier et il cherchait par tous les moyens à le rendre plus intense. « Je devais avoir recours à la violence pour prendre du plaisir, affirme-t-il. Je donnais beaucoup de coups de poing. J’étais devenu une machine. »
Les mecs qu’il rencontrait à Kurfuerstenstrasse savaient aussi se montrer violents. « Ils ne me frappaient pas mais ils me gueulaient dessus. Il y a même un gars qui était à deux doigts de me heurter avec sa bagnole, et un autre qui m’a explosé la gueule avec une bouteille de bière », se souvient-il. Il a également reçu une menace de mort sur Internet provenant d’un néonazi.
Le bilan de son projet n’a cependant pas été si négatif que ça. « Certains de mes rencards sont devenus des potes ou des collègues pour des projets artistiques », assure-t-il. Il a gardé contact avec nombre d’entre eux et va s’associer avec certains en vue d’une collaboration artistique.
Ahmed Baldr, 20 ans et étudiant, a été l’un de ses derniers partenaires. Il se définit comme hétéro.
« Je n’avais jamais eu de relation avec un mec auparavant et j’étais curieux de voir à quoi pouvait ressembler un rencard avec Mischa. Moi aussi, je voulais faire partie intégrante du projet », me confia-t-il. Il s’agissait en somme d’un rencard tout ce qu’il y a de plus banal : le dîner au restaurant, la sortie en club puis l’inévitable coït. Après ça, ils se revoyaient quasiment tous les jours pour parler de la performance.
Mischa a passé ses jours et ses nuits à coucher avec des tas de personnes différentes. Du journaliste de 76 ans au professeur de yoga écossais installé à Berlin en passant par un acteur porno serbe, il a goûté à tout. Au cours de cette année, il a voyagé et baisé avec des mecs en Suède, au Danemark, aux Pays-Bas, en République Tchèque et en Pologne.
Mischa a également eu des relations sexuelles avec des personnes qui avaient le sida. Il avait déjà travaillé avec des associations qui viennent en aide aux personnes atteintes et il s’était vu offrir des capotes gratuites de la part d’une association allemande. C’était la première fois qu’il couchait avec des mecs séropositifs. « J’avais toujours eu peur de baiser avec des mecs qui avaient le virus, a-t-il écrit sur Facebook. Save the Date a changé ma vie et ma vision des choses. »
Mischa a avoué ne pas vouloir livrer une interprétation unilatérale de son projet. « Pour certains, ça parle de la sexualité, pour d’autres de liberté. Pour d’autres, ça évoque simplement la solitude », dit-il.
La solitude a été extrêmement présente pendant toute son expérience. Il m’a montré le carnet qu’il tenait. C’est un vrai recueil exhaustif de tous ses partenaires.
Mischa a également été étonné des répercussions de son projet.
Des artistes l’avaient peint en portrait. Un étudiant en avait fait son sujet de thèse et un danseur de Los Angeles nommé Kevin Lopez avait créé une œuvre directement inspirée par Save the Date. Il s’est d’ailleurs rendu à Berlin pour figurer parmi les partenaires de Mischa.
« Pour Mischa, tout n’est qu’art et beauté, m’a dit Kevin. J’avais le sentiment qu’il voulait connaître mes secrets les plus sombres avant de savoir quoi que ce soit d’autre sur moi. »
Mischa Badasyan s’est remis activement au travail depuis. Il bosse dans le plus grand camp de réfugiés d’Allemagne et vient en aide aux réfugiés queer. Il s’est lancé dans un nouveau projet artistique, TOUCH, « une tentative pour rétablir le contact entre moi et les autres. Vous devez toucher une chose pour la comprendre », précise-t-il.
« Ma sexualité est très bizarre actuellement, poursuit-il. Je n’ai plus de rencard avec des gays désormais. Je ne prends du plaisir qu’en matant les mecs dans les toilettes et en me tapant des hétéros, des bi ou des indécis que je trouve dans les rues de Berlin. »
Lors de notre discussion, Mischa m’a montré une affiche faite par un mec pour célébrer sa performance. On pouvait voir une silhouette représentant tous les hommes qu’il avait côtoyés. « Je ne sais même pas comment j’ai fait pour réussir, j’étais tellement concentré et rigoureux pendant toute cette année, dit-il. J’ai couché avec tellement d’hommes. N’est-ce pas complètement fou ? »
David Levesley est sur Twitter.