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Même avec un chanteur estropié, les Deftones seront toujours prêts à vous la coller

On est en 2017 : Princess Nokia porte un T-shirt Slipknot dans ses clips, Lil Uzi Vert traîne avec Marilyn Manson, Pleymo vend les places de sa reformation en quelques heures. On ne sait pas trop par quel coup de pute du hasard on se retrouve dans cette situation, mais on est bien forcé de l’admettre : le nu-metal est redevenu cool (Blink 182 aussi, mais ça, c’est une autre histoire). Les Deftones (oui, on aime bien dire « les Deftones » et pas juste « Deftones », c’est comme ça) eux sont certes passés de Bercy à deux fois l’Olympia mais ils continuent leur petit chemin, vieillissant (et grossissant) avec leur public qui n’a jamais cessé de les aimer. Et puis ils n’ont jamais vraiment fait de nu-metal. Et ils ne sont jamais déguisés en Power Rangers. Et ils n’ont jamais couché avec des porn stars pour faire parler d’eux. En revanche, ils ont réussi à maintenir le cap de leur metal shoegaze imprégné d’influences pop tout au long de huit albums (le soporifique et bien mal nommé Gore étant le dernier en date), ce qui n’est pas exactement donné au premier Sevendust venu.

Ce 2 mai quand on arrive devant l’Olympia on se retrouve donc face à une scène habituelle qui nous fait oublier un instant les trottinettes électriques, les addicts à la vape et les articles sur le DJ d’Emmanuel Macron. Beaucoup de gens habillés en noir (moyenne d’âge 28-40 ans) et quelques kids. Je retrouve la même impression que quand on allait chaque été au même camping à Noirmoutier avec mes parents et que je retrouvais les hollandais et leurs caravanes. Que voulez-vous, ces jours, on trouve du réconfort où on peut.

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Une fois à l’intérieur, on assiste à la fin du set d’un groupe neo metal de 2017, américain (on dirait un titre de chanson d’AH Kraken, tiens). Aucune énergie, c’est plat, tout le monde s’en fout. Mais la première partie au concert de Deftones c’est comme Jean Mineur aux séances UGC : on tolère gentiment, parce qu’on est content d’être là. La lumière s’éteint et les 5 « les Deftones » montent sur scène. Première surprise, le light show est très bien foutu et joue parfaitement avec le côté « tunnel d’autoroute » de l’Olympia (pour peu q’on soit dans la fosse).

Quelques jours plus tôt, le chanteur Chino Moreno s’est cassé le pied sur scène en Allemagne et il porte aujourd’hui une espèce de gros plâtre en mousse au pied – ce qui rassure les fans qui craignaient de le voir jouer assis (angoisse qui provoqua un joli « Dave Grohl is a pussy not Chino » sur les réseaux sociaux). Il est tout content d’être là, traditionnel total look denim et flow de bébé T-Rex. Bonne surprise : il chante bien, les parties mélodiques sont justes, les parties criées manquent un peu de patate, mais bon à 43 ans serez-vous capables de crier sur autre chose que vos enfants et vos collègues d’open space ? On en reparle.

Côté set list, le groupe se concentre sur les trois derniers albums. Pas ma facette préférée du groupe mais Abe Cunningham fait le job et Stephen Carpenter et son ventilateur capillaire donnent une impression de cinéma dynamique à l’ensemble. Chino se dandine, à défaut de sauter, avec la grâce de Tony Soprano. Quelque part, c’est touchant. Et le son alors ? Amis audiophiles, passez ici votre chemin. Oui, le son était à chier. Mais le son est toujours globalement horrible à un concert des Deftones. On n’a jamais demandé à Stephen Malkmus de chanter juste ou à Antoine Griezman de commenter la crise au Proche Orient que je sache. À côté de moi ça tire un peu la tronche cependant. Peut-on être ingé-son ET fan des Deftones ? Pas sûr. Ils balancent « Minus Blindfold » – cool, on revient à Adrenaline.

Chino rappe et monte sur sa petite estrade fluo. Je me suis hissé au balcon et me retrouve devant l’étonnant tableau des VIP et des gens qui ont payé plus cher une place assise pour se retrouver à mosher seuls, comme des crottes devant un siège vide. « Teething », «Digital Bath » : les fans old-school sont aux anges. Chino propose de faire un petit circle-pit. Les White Poneys (l’odeur est assez insoutenable) s’exécutent. C’est totalement bon enfant. « Change » arrive à point nommé pour souffler un peu et se rappeler de la présence du « clavier » du groupe, Frank Delgado. Son apport artistique au cours des années et des albums a souvent posé question. Qui est-il ? Que fait-il exactement ? Quel est son réseau ? Est-il juste celui qui roulait le mieux les blunts au lycée comme me le confiait récemment un fan hardcore du groupe ? Le mystère reste entier.

Le groupe finit par balancer une triplette Around The Fur : « Be Quiet And Drive (Far Away) », « My Own Summer » et « Head up ». Le service après-vente est assuré et les fans sont rassurés : pas de coup par derrière à la Animal Collective qui ne joue que des morceaux inédits à son public – en même temps, vous me direz : qu’est ce qui ressemble plus à un morceau d’Animal Collective qu’un autre morceau d’Animal Collective ? Petit rappel de deux morceaux et les californiens retournent en loges (et sûrement dans les bras de Chipotle, enfin implanté en France). Le public est mouillé et heureux. Dehors, les vendeurs à la sauvette refourguent les posters du concert des Deftones au Bataclan, prévu le 14 novembre 2015 et annulé pour les raisons que l’on sait. Rien ne se perd. On se reprend la réalité de 2017 en pleine face.


Adrien Durand n’est pas sur Twitter mais passe régulièrement sur Noisey.

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