Depuis le samedi 20 décembre, le centre et le sud-ouest de la République centrafricaine (RCA) sont les théâtres d’affrontements sanglants qui opposent une ethnie à majorité musulmane, les Peuls, à la majorité chrétienne du pays. Ces heurts ont fait au moins 20 morts dans la région centrale de Bambari samedi et près de 18 victimes dans les localités de Gamboula et Nola (Sud-Ouest) dans la journée de dimanche.
Ce mardi 23 décembre, le sud-ouest de la RCA a connu de nouvelles rixes qui auraient fait une dizaine de victimes dans les villages de Bombo et Tanga.
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En mars 2013, la Séleka — une alliance de milices à tendance musulmane, en principe dissoute depuis janvier 2014 — a pris le pouvoir en RCA pour y placer à sa tête Michel Djotodia, remplaçant l’ancien président François Bozizé. S’en est suivi une période d’affrontements interreligieux avec la création du groupe dit des anti-balaka formé principalement de paysans chrétiens. Le christianisme est la religion majoritaire en RCA à plus de 80%. Ces derniers jours, ce sont les Peuls — une ethnie musulmane qui trouve ses racines du côté du Sahel— qui ont été pris pour cibles par les anti-balaka dans le sud-ouest et le centre du pays. Les Peuls ont ensuite répliqué en attaquant à leur tour.
Contacté par VICE News, le Directeur France de Human Rights Watch, Jean-Marie Fardeau, très impliqué en RCA, explique que depuis que les anti-balaka ont pris les armes en 2013, les Peuls sont pourchassés partout dans le pays. Alors que certains Peuls avaient choisi de rejoindre la Séleka qui partage les mêmes croyances, une grande majorité — environ 200 000 personnes — avait quitté la RCA pour se réfugier dans les pays alentours, surtout le Cameroun.
Aujourd’hui, les Peuls sont répartis dans deux zones de la RCA, ancienne colonie française, indépendante depuis 1960 : la région de Bambari au centre du pays et le sud-ouest. Au centre, une faction de près de 1 000 Peuls armés s’est constituée en un groupe baptisé UPC (Unité pour la Centrafrique) dirigé par Ali Ndarassa. Il est constitué principalement de Peuls qui avaient rejoint la Séleka. Dans le sud-ouest, près de 10 000 Peuls sont installés à la frontière du Cameroun, côté RCA, dans trois enclaves protégées par les forces internationales en présence (la mission Sangaris pour la France, l’Eufor-RCA pour l’UE et la MINUSCA pour l’ONU) mais encerclées par les anti-balaka. Dans une déclaration ce mardi à Genève, le porte-parole du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a dénoncé une situation d’urgence pour une communauté prise au piège par exemple dans l’enclave de Yaloké, où d’après le HCR, « 474 musulmans de l’ethnie minoritaire peule sont piégés depuis plusieurs mois […] Depuis leur arrivée en avril dernier, 42 sont morts, ceux qui restent s’affaiblissent de jour en jour. Malgré la présence des forces internationales, le groupe de Yaloké est toujours l’objet de menaces récurrentes.»
Samedi 20 décembre, une réunion de conciliation entre ex-Séleka et anti-balaka devait se tenir à Bambari — siège de l’état-major de l’ex-Séleka — sous l’égide de la MINUSCA (Mission des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine). Arrivant sur place, les anti-balaka ont lancé une offensive contre les ex-Séleka et les Peuls présents sur place, faisant une vingtaine de morts. Dans la nuit de samedi à dimanche, les Peuls ont décidé de se venger en exécutant à leur tour au moins une vingtaine de personnes à Gamboula et Nola.
Human Rights Watch (HRW) publiait ce lundi un rapport sur les enclaves de Yaloké, Carnot et Boda dénonçant les conditions de vie des populations peules qui se retrouvent coincées en RCA. En effet, le gouvernement de transition — mis en place après la dissolution symbolique de la Séleka — refuse désormais l’exfiltration des Peuls hors de RCA.
Contacté par VICE News, Jean-Marie Fardeau explique que « Les convois militarisés pour les réfugiés peuls ne sont plus cautionnés par le gouvernement, pour éviter de laisser penser qu’il cautionne un nettoyage ethnique dans le sud-ouest du pays ». Les Peuls se retrouvent donc condamnés à patienter dans des camps de fortune, craignant pour leur vie.
Fardeau rappelle aussi dans quel contexte ont lieu ces affrontements : « Chaque camp — anti-balaka d’un côté, Peuls et ex-Séleka de l’autre — souhaite arriver en position de force au moment du Dialogue National » qui se jouera parallèlement au processus électoral prévu au plus tôt en août 2015. Le Dialogue National est un processus de réconciliation qui fait suite à une première tentative qui avait eu lieu à Brazzaville en juillet 2014. Le « Forum de Brazzaville pour la paix » avait débouché sur un accord de cessez-le-feu qui s’est révélé être très fragile alors que la procédure destinée au désarmement des milices est elle restée au point mort.
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Image via Wikimedia Commons.