À Londres, personne ne vend de la drogue dans la rue, même si c’était relativement fréquent dans les années 1990. Sous le pont de Camden Lock, de nombreux dealers se faisaient un plaisir d’arnaquer les passants en leur refourguant des sachets d’origan – mais un peu plus loin, au bout du canal, il était possible d’acheter toutes les drogues possibles et imaginables dans un coin que nous surnommions « The Fire ». Si le LSD, le speed et les champignons hallucinogènes étaient les grandes spécialités du coin, on y trouvait aussi des produits plus sinistres, comme de l’héroïne ou du crack.
Cet endroit était surtout fréquenté par de vieux Écossais amochés par la vie, qui parvenaient simultanément à avoir l’air affables et terrifiants. Mes amis et moi en ressortions souvent les mains remplies de buvards à l’effigie de Spock ou de Daffy Duck, avant de passer des heures à rire bêtement devant les girafes du zoo de Londres. Mais la plupart du temps, nous repartions juste avec un peu de weed – à 5 £ le gramme – avant de nous moquer des étudiants espagnols à dreadlocks qui mangeaient des burgers aux lentilles devant les studios de MTV.
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Comme on pouvait s’y attendre, « The Fire » a été fermé par la police aux alentours de 1995, provoquant ainsi le départ des dealers, des punks à chien et des junkies qui y avaient élu domicile. Londres a entamé son processus de modernisation, en réglementant et en contrôlant chaque aspect de la vie publique. De nouvelles lois ont été mises en place pour pénaliser les comportements anti-sociaux et des caméras ont été installées à tous les coins de rue. Il est devenu impossible de mener la moindre activité illégale dans les rues de la ville – mais à Paris, la situation est tout autre. Quand je me suis installé là-bas en août 2015, j’ai eu l’impression d’arriver dans un monde où tout était possible : on pouvait se garer sans se prendre automatiquement une amende, vendre de la drogue, ou même payer en échange de relations sexuelles – et tout un tas de choses inenvisageables en Angleterre.
En arrivant à Paris, je me suis demandé comment j’allais faire pour acheter de la weed. Sur place, je connaissais uniquement une fille de Courbevoie qui fumait beaucoup. Nous nous étions rencontrés par hasard quelques années auparavant, dans un hôtel d’ Alep en Syrie. En la contactant, j’ai appris qu’elle était mariée et qu’elle vivait à Clichy. Je me souviens qu’elle fumait surtout du shit. Je n’en avais pas fumé depuis l’âge de 15 ans – je me rappelle notamment d’un week-end que j’avais passé à fumer et me masturber devant la scène de sexe du Nom de la rose .
Cette jeune fille ne voulait malheureusement plus me parler – nous avions eu une petite querelle idéologique au sujet du rôle d’Assad dans la guerre civile syrienne. Après avoir supplié sa sœur de me louer son appartement situé vers le Jardin des Plantes, j’ai finalement changé d’avis et opté pour un endroit plus grand à Montmartre. La sœur en question qui, je l’espérais, pourrait m’aider dans ma quête de la weed à travers la ville des lumières, m’a malheureusement supprimé de Facebook.
Dépourvu de piste, j’ai tout bêtement commencé par chercher « où acheter de la weed à Paris » sur Google. Quelques blogs donnaient des bonnes adresses tout en mettant les gens en garde contre la qualité plus que moyenne des produits qui y étaient proposés. Bien que je trouvais l’idée de faire un blog sur les localisations exactes des dealers un peu suspecte, j’ai apprécié ce guide gratuit.
C’est donc sur les conseils d’un blogueur australien que j’ai conduit jusqu’à Joinville-le-Pont. C’était une petite banlieue tranquille et agréable, qui semblait totalement dépourvue de ganja. J’ai fini par repartir le long de la Seine. J’ai maudit cet Australien de merde tout en remontant les petites rues de Pigalle, remplies de graffitis divers, de merdes de chien et de salons de massage. Je me suis garé, et j’ai patienté. À part quelques prostituées au regard désapprobateur, il n’y avait pas de dealer à l’horizon. Désespéré, je me suis résigné à demander à des gens que j’avais grillé en train de rouler un joint. Mon français étant tout ce qu’il y a de plus basique, j’ai quand même réussi à me faire vaguement comprendre – « Va devant le métro », m’a-t-on conseillé. Mais devant le métro, il n’y avait rien à signaler, hormis une horde de touristes et un stand de crêpes.
Un autre type m’a conseillé d’aller aux terminus des lignes. Je lui ai demandé si Saint-Ouen ferait l’affaire, ce à quoi il a répondu oui. Je connaissais déjà la ville puisque j’y avais garé ma voiture par le passé. Lors de ma première semaine à Paris, j’avais passé la Porte de Clignancourt et traversé le périphérique à la recherche d’un parking gratuit. Je m’étais retrouvé devant un quartier résidentiel. Un van de police était arrivé et six flics musculeux en étaient sortis. Quelques mecs en sweat à capuche, manifestement aux aguets, se sont mis à courir à travers le lotissement en criant des noms de code, ce qui a suscité une agitation générale. La police avait fouillé plusieurs jeunes contre un mur, comme dans une scène de The Wire.
« Tu es sûr de vouloir laisser la voiture ici ? », m’avait demandé ma copine.
« Je pense que ces types ont autre chose à faire que de voler ma Ford Fiesta », lui avais-je alors répondu.
La semaine suivante, j’ai décidé de tenter ma chance à Saint-Ouen. Je ne savais pas comment m’y prendre pour communiquer avec ces mecs. Je serais capable de leur faire comprendre ce que je cherchais, mais il y avait peu de chances que je puisse négocier les détails du deal. Mais j’avais la douce impression d’être revenu à Londres, à l’époque où il nous suffisait de faire un tour à Camden pour trouver de quoi passer un bon week-end.
À Saint-Ouen, j’ai trouvé un réseau de 25 mecs. Au moins 10 d’entre eux vendent à même la rue. Chaque mec occupe un job différent et se trouve à un emplacement précis du quartier. À chaque fois que j’y suis allé, je suis tombé sur une personne différente. Ils échangent de rôle tous les jours, ce qui est plutôt malin – ils partagent ainsi les risques et ont tous autant de chances de se faire choper. J’en ai déduit qu’ils devaient aussi se partager les bénéfices.
Lors de mon premier essai, j’ai usé du langage des signes international pour demander « où est la weed » – c’est-à-dire en portant mon pouce et mon index à mes lèvres comme si je tirais une taffe. Un type assis sur le bord d’un trottoir m’a immédiatement compris et m’a montré une aire de jeu bordée d’une clôture. Quelques mecs qui s’y trouvaient et m’ont fait signe d’avancer vers un arbre. En arrivant vers l’arbre, j’ai dû me faufiler à travers un trou dans la clôture. Je me suis retrouvé sur l’aire de jeu et un mec a marmonné quelque chose pour attirer mon attention. Il tenait un grand sac qui contenait peut-être 50 ou 60 sachets. Je lui ai filé 20 euros et je suis parti tandis qu’il comptait son argent sans prendre la peine de se cacher. C’était la première fois que je passais par trois bras droits avant de rencontrer un dealer.
En rentrant, j’ai réalisé que la weed était merdique. Pas complètement à chier non plus, mais assez pour se sentir roulé. Le genre de weed qui a simplement l’odeur et l’apparence de la weed, mais qui est manifestement coupée avec autre chose.
La seconde fois, mon achat s’est plus ou moins déroulé dans les mêmes conditions. Une femme a priori normale semblait être venue faire la même chose que moi. Il était drôle de voir que cet endroit est connu par tout fumeur qui se respecte. Il y avait au moins quatre entrées dans le lotissement, et chacune était gardée par une sentinelle munie d’un sac bien rempli. Une fois encore, la weed était merdique.
La troisième fois, au lieu de prendre le sachet que l’on me tendait, j’ai jeté un œil dans le sac pour voir s’il n’y avait pas quelque chose de plus intéressant. Au retour, j’ai constaté que la weed était bien meilleure. Ils devaient séparer les bons sachets des mauvais et les ranger dans deux poches du même sac. J’imagine qu’ils refourguaient leur merde aux petits Anglais comme moi, en sachant pertinemment que je n’oserais pas faire de scandale.
Je m’en foutais un peu. Bon OK, c’est nul d’arnaquer les gens pour un peu de weed, mais ces types n’ont pas d’autre source de revenus que le trafic – rien de surprenant à cela. Si la weed venait à être légalisée, contrôlée et taxée, ces mecs seraient obligés de trouver un autre moyen de gagner leur croûte. Et, alors que cela diminuerait leurs vivres sur le long terme, il est ridicule qu’en 2016, il faille encore agir comme des criminels et se mettre potentiellement en danger juste pour acheter et vendre de la weed. Dans les rues de Paris, les sans-abri ne semblent pas intéressés par la marijuana – ils préfèrent se noyer dans la bière blonde pas chère, légale et industrielle, qui sent le désespoir à plein nez.