On comprend facilement pourquoi les travailleurs du sexe ne s’épanchent pas tout de suite sur leur activité. Les stigmates qui entourent les différentes professions liées au sexe sont difficiles à effacer, surtout lorsqu’il s’agit de tout raconter à vos amis, votre famille ou votre mec/meuf. Pour comprendre ce qui peut se passer dans la tête de quelqu’un lorsqu’il annonce à ses proches que son gagne-pain a un rapport plus ou moins lointain avec le fait de se désaper, j’ai demandé à quatre travailleurs du sexe de revenir sur ce jour très particulier, fait d’acception mais également de rejet parfois violent.
Sarah, prostituée
J’ai choisi ce métier pour de nombreuses raisons, la principale étant le sentiment d’émancipation, de fierté et d’indépendance qui est constitutif de celui-ci. Je reçois régulièrement des compliments. Je me sens belle, désirée, forte. J’ai longtemps refusé de le dire à ma famille, qui a toujours été très protectrice à mon égard.
Videos by VICE
Un soir, ma mère a débarqué chez moi en pleurs. Je pensais que quelqu’un venait de mourir dans la famille, mais il s’agissait d’un problème complètement différent. « J’ai quelque chose à te demander », m’a dit ma mère sans attendre. J’ai rapidement compris où elle voulait en venir. « Tu te prostitues ? » Je l’ai regardée dans les yeux et lui ai calmement répondu « oui ». Je ne sais toujours pas comment elle l’a su. Elle m’a alors dit qu’elle était très déçue, qu’elle avait honte.
J’ai tenté de garder mon calme. « D’abord, c’est moi qui ai choisi de faire ça, et je me sens bien dans ma peau grâce à ce boulot », lui ai-je dit. J’ai poursuivi en lui rappelant qu’elle ferait mieux d’être fière de moi, sachant que je combats de graves troubles du comportement alimentaire depuis mes 12 ans. J’ai choisi de me prostituer de manière indépendante. Ma mère, toujours en pleurs, m’a répondu qu’elle comprenait qu’une telle profession puisse me rendre heureuse. Elle aurait simplement aimé que je sois fière de moi d’une autre manière.
Aujourd’hui, elle n’est toujours pas vraiment heureuse de ce choix, mais elle l’a accepté. Ma famille éloignée me voit comme une pute, tout simplement. Je pense qu’il s’agit avant tout d’un truc générationnel. La génération plus vieille n’accepte pas qu’une femme se déshabille et se serve de son corps, même si cela lui fait plaisir et la rend fière.
Nina, stripteaseuse
Je trouve ça plus facile à dire à ses amis qu’à sa famille, même s’il faut toujours choisir avec précaution ses confidents. Je n’aime pas vraiment me dévoiler. Pour résumer, si je peux dissimuler certaines choses sur ma vie, je le fais. Je ne me livre que si une personne est extrêmement proche de moi. Avec mes amants ou mes mecs, je ne le dis qu’au bout d’un certain nombre de rencontres, à partir du moment où je sais si j’ai vraiment envie de devenir intime avec cette personne. Je n’ai jamais eu de retour négatif de la part d’un mec que je fréquentais, même si certains types n’étaient pas hyper à l’aise avec ça.
Un jour, je l’ai dit à ma mère, parce que je ne supportais plus de lui mentir. Notre relation est basée sur l’honnêteté. Elle n’était pas surprise, mais elle n’a pas voulu en savoir plus.
Mon métier me plaît car j’aime me déguiser, jouer un rôle, et créer des personnages. J’apprécie le regard des gens. Je me sens désirable, sexy. On complimente mon physique et également ma personnalité. Je suis souvent payée simplement pour m’asseoir et discuter avec des clients autour d’un verre. J’aime cette relation avec les clients. Je me sens forte, indépendante.
Alex, prostitué
J’avais très peur d’en parler à ma famille et mes amis car j’étais persuadé qu’ils allaient me juger. Il est très difficile de revendiquer un tel métier. De plus, un homme qui se prostitue est souvent doublement stigmatisé – en tant que prostitué et en tant qu’homosexuel. Certains prostitués que je connais ont même peur de contacter des services de santé à cause du regard que l’on pourrait leur porter.
Les gens pensent très souvent que les travailleurs du sexe ont choisi leur métier pour gagner de l’argent rapidement. Pourtant, il y a une grande différence entre sucer un type pour gagner du fric comme ça, et prendre part à une activité sexuelle avec un client parce qu’on aime ça. J’avais très peur d’en parler à mes parents, mais je n’en pouvais plus de mentir constamment. Je leur ai expliqué comment je gagnais ma vie. Leur réaction ne m’a pas surpris. Ma mère s’est mise à pleurer tout en s’excusant de m’avoir « mal éduqué ». À ses yeux, c’était elle la responsable de mon « mauvais » choix de vie.
La voir aussi déçue m’a brisé le cœur. J’ai mis du temps à lui expliquer ce que je trouvais d’excitant et d’intéressant dans un tel travail. C’est après une longue discussion que ma mère a commencé à changer peu à peu d’opinion. Je lui ai expliqué à quel point les gens bossant dans l’industrie du sexe s’entraident. Ça m’a fait beaucoup de bien de constater qu’elle changeait d’avis au fil du temps. Après, j’ai toujours extrêmement peur d’en parler autour de moi.
Ingrid, escort
Je n’avais pas vraiment peur avant d’en parler à ma mère et mes amis. J’ai même ressenti un certain soulagement, tant ça enlève un poids de l’estomac. Ma mère l’a plutôt bien pris, même si elle m’a rappelé que les gens payant pour profiter de la compagnie d’une escort peuvent être dangereux. Sur ce point, elle n’a pas tort.
Une fois, une amie escort m’avait demandé de l’accompagner au cours d’un dîner organisé par trois mecs, qui avaient payé pour ses services. Tout se passait bien jusqu’à ce que je me sente bourrée sans trop savoir pourquoi – je me suis doutée que ces types avaient foutu un truc dans nos verres. Après ça, on a pris la direction d’un bar, et l’un des mecs a suivi mon amie jusqu’aux toilettes. Je les ai suivis et j’ai trouvé le type complètement à poil alors que ma pote était à moitié nue. J’ai pris son bras et on est parties sans attendre.
Malgré quelques alertes, je suis contente de mon travail. Il n’y a aucune raison pour moi d’en avoir honte. Lorsque j’en parle aux gens autour de moi, la plupart ne me font aucune remarque, même s’il est souvent évident que certains me jugent quoi qu’il arrive.
Depuis que j’en ai parlé à ma mère, je me sens mieux. Je n’ai jamais eu honte d’utiliser mon corps comme un moyen de me faire de l’argent. Je me respecte, et je fais attention.
Suivez Sam sur Twitter.
VICE France est aussi sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.