L’histoire du condamné à mort qui a voulu se suicider
Illustration de Tyler Boss

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Crime

L’histoire du condamné à mort qui a voulu se suicider

Ou comment un homme a rejeté son rendez-vous programmé avec la Faucheuse.

Cet article a été publié en collaboration avec le Marshall Project.

Alors que j'étais assis sur mon lit, j'ai entendu un type hurler distinctement : « Un homme à terre ! » – c'était le nom de code pour signaler qu'un gardien entrait dans notre unité.

Une porte s'est fermée, puis des insultes ont été échangées. Un mec a crié : « Je vois pas pourquoi tout le monde devrait être puni à cause d'un seul type ! »

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Je me suis levé pour me coller contre la porte de ma cellule.

Celle-ci est située dans le couloir de la mort. L'unité rassemblant les prisonniers – qui sont, comme moi, en attente d'exécution – a la forme d'un L. Tout à coup, ma porte s'est ouverte, et je me suis installé sur le petit marqueur au sol, dans le couloir. Celui-ci doit faire un peu plus de 15 mètres de large pour 20 de long. Une gardienne en uniforme noir se tenait à quelques mètres de nous. Sa tenue jurait par rapport au rouge scintillant qui recouvre tous les murs de l'unité. Elle nous a alors expliqué pourquoi elle avait dû nous interdire l'accès à l'une des salles de service.

Après ces quelques mots, elle nous a quittés.

L'un des prisonniers, un cinquantenaire grisonnant au t-shirt trop étroit, s'est alors approché de moi. Son visage était fermé.

« Eh bien, j'ai comme l'impression qu'on ne va plus pouvoir utiliser l'eau chaude de cette salle pour se doucher », m'a-t-il dit d'un air dépité. « Tu sais, certains types vont se buter s'ils n'ont plus d'eau chaude. »

J'ai feint l'indifférence. La présence de ce type m'emmerdait.

« Ouais, a-t-il poursuivi. On va devoir utiliser nos éviers, et ils n'ont pas d'eau chaude… »

« Tu sais pourquoi ils ont fermé la pièce ? », lui ai-je demandé pour couper court à sa tirade sur l'évier. Je savais pertinemment que nous n'avions pas d'eau chaude dans nos cellules.

Son visage s'est alors illuminé. « Je veux dire, je comprends pourquoi quelqu'un du coin voudrait dire adieu à l'unité une bonne fois pour toutes, mais ça ne devrait pas nous pénaliser. Bref, tu sais que la gardienne m'a avoué aujourd'hui qu'il s'était suicidé ? »

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« Quoi ? Il est mort ? »

« Eh bien, elle n'a pas dit ça exactement. Elle a dit qu'il s'était pendu. »

« Est-ce qu'il est mort », lui ai-je répété. Il m'exaspérait.

« Je sais pas. Maintenant, on doit se démerder pour trouver de l'eau… »

Je n'ai pas attendu la fin de sa phrase. J'ai regagné ma cellule, ai attaché un drap dans l'encadrement de ma porte pour avoir un semblant d'intimité puis me suis jeté sur mon lit. J'étais dégoûté, dégoûté contre ce type mais aussi contre l'administration.

Une histoire classique. Cette punition n'était qu'un leurre. Comment voulez-vous empêcher quelqu'un de se suicider ? Ce type allait y arriver, d'une manière ou d'une autre.

Le lendemain matin, alors que j'allais petit-déjeuner, j'ai croisé quatre ou cinq gars qui s'étaient réunis autour du sergent pour lui demander si le prisonnier était en vie. Celui-ci leur a demandé de se calmer, avant de leur affirmer que le mec était sain et sauf et qu'il avait été transféré dans une unité psychiatrique.

Mon niveau de stress grimpait, et je n'étais pas le seul dans ce cas-là.

Au cours des semaines qui ont suivi, de nombreux prisonniers ont déclenché des bastons – sans aucune raison précise. Dans la cour de promenade, tout le monde était plus agressif. Les matches de basket et de volley n'étaient plus les mêmes. Les blessures se succédaient : les genoux se tordaient, les coudes se brisaient.

On faisait du sport jusqu'à l'épuisement. On se levait au milieu de la nuit pour faire des pompes. Tout le monde faisait en sorte de calmer ses pensées.

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Cette tentative de suicide nous avait redonné le goût de la peur. Les mots du mec grisonnant résonnaient dans ma tête. Je comprends pourquoi quelqu'un du coin voudrait dire adieu à l'unité une bonne fois pour toutes, mais ça ne devrait pas nous pénaliser.

Une partie de moi était d'accord avec ça. Malgré tout, je ne pouvais m'empêcher de me dire que ce mec se foutait le doigt dans l'œil s'il pensait qu'il valait mieux mourir le plus tôt possible.

J'ai mis des années à accepter ma condamnation à mort. Des pensées suicidaires m'ont obnubilé à de nombreuses reprises.

Avant mon procès, j'avais tenté de me suicider en me tranchant la gorge. J'ai survécu, et je suis donc allé en prison. Les pensées sombres étaient toujours là. Aujourd'hui, j'ai bien trop peur de recommencer. Mourir en paix est impossible quand on est dans le couloir de la mort.

Malgré cela, je réfléchissais une fois par jour – au moins – à la meilleure façon de mourir. Mais c'était plus un jeu qu'autre chose. En m'asseyant sur mon lit, je comprenais que je n'étais pas sérieux. Cela faisait un an que je n'avais pas vraiment pensé au suicide. Pourquoi avais-je arrêté ?

Le couloir de la mort est un lieu unique au sein du système carcéral. Il y a peu de turnover. Les prisonniers sont toujours les mêmes. Nous vivons côte à côte, parfois pendant des décennies. Quand l'un d'entre nous meurt, nous perdons un membre de la famille.

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En d'autres termes, j'ai appris au fil des années à me soucier des autres. En retour, les autres se soucient désormais de moi.

Quelques jours plus tard, le mec a quitté l'unité psychiatrique pour revenir parmi nous. Je l'ai vu à travers la vitre qui séparait nos réfectoires respectifs. Il se tenait contre le mur tandis que les autres prisonniers discutaient en mangeant, par groupes de deux ou de quatre, bien installés sur les tables en inox. Il semblait profondément abattu. Ses yeux ne quittaient pas le sol.

Le couloir de la mort de ma prison comporte trois niveaux. Comme je me situe au premier et lui au troisième, il était peu probable que je puisse discuter avec lui. Je lui ai donc envoyé une note pour lui montrer ma sympathie et lui dire que je ne le jugeais absolument pas. Je lui ai dit que je me voyais en lui, qu'il n'était en rien faible ou instable – seulement humain.

Je ne connais pas ce type. Nous n'avons jamais discuté. Parfois, nous nous croisons brièvement. Nos yeux se rencontrent, et cela suffit. Les miens lui rappellent qu'il n'est pas seul.

Il acquiesce alors, et poursuit son chemin.

George T. Wilkerson, 35 ans, est emprisonné dans le couloir de la mort de prison de Raleigh, en Caroline du Nord. Il a été condamné à la peine capitale pour meurtre.