Dans le championnat de basket des condamnés à mort

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Dans le championnat de basket des condamnés à mort

Ou comment un tournoi anodin pousse des criminels à se surpasser.

Cet article a été publié dans le cadre du partenariat avec le Marshall Project.

Notre équipe de basket, membre de l'officieux championnat des condamnés à mort, est loin de faire une bonne saison. « Les Nubiens » – c'est nous – en sont à quatre victoires pour neuf défaites sur l'année. Notre cinq de départ est composé de prisonniers tout sauf nuls en basket, mais aucun d'eux n'est capable de jouer avec un semblant d'esprit d'équipe.

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Lors d'un match, alors qu'on menait de sept points face à la meilleure équipe de l'aile des condamnés à mort – la Dream Team – un joueur adverse a poussé Toni par terre, et ce dernier n'a pas manqué de riposter. L'arbitre, un prisonnier habillé d'une chasuble jaune, a alors annoncé que la faute était contre Toni.

« Comment tu peux faire ça, sérieux ?, a-t-il hurlé. C'est taré putain. Qui t'a payé ? »

Toni n'en pouvait plus, il bouillonnait. Il s'est rapproché de l'arbitre et a mis son front contre le sien – sachant que l'arbitre faisait deux fois sa taille et était dans le couloir de la mort pour un meurtre dans une autre prison. Pendant tout ce bordel, l'autre équipe en a profité pour recoller au score, avant de gagner le match.

Un autre gars de notre équipe, J-Roc, passe son temps à balancer sa bouteille d'eau sur les grilles ou à donner un grand coup de pied dans les bancs. Tyreke, notre coach, n'arrête pas de gueuler depuis la ligne de touche – enchaînant de fait les fautes techniques.

De mon côté, je ne joue pas très bien, en fait. Disons que le basket n'est pas mon sport. Je passe pas mal de temps à cirer le banc. Je défends bien, je suis attentif et rusé, mais c'est tout. J'ai commencé à jouer il y a quelques années lorsque les haltères de la cour ont été confisqués après que deux types se sont battus avec – envoyant l'un d'eux dans le coma. Tout le monde pensait qu'il allait y rester, mais six mois plus tard il était de retour et plus en forme que jamais, malgré une énorme cicatrice.

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Faire de la gonflette était une passion avant de découvrir le basket. Ces deux activités ne m'avaient pourtant jamais attiré, du moins jusqu'au jour où un juge m'a dit : « Ce tribunal vous condamne à mort. Que Dieu ait pitié de votre âme. »

Mais dans un lieu où les gens sont envoyés pour crever à cause de leurs méfaits, le basket est souvent considéré comme un moyen de se rattacher un minimum à la vie.


La seconde fois où l'on a joué contre la Dream Team, on a perdu de 30 points. Un mec, Forever, s'est fait expulser dès la première mi-temps. Le coach a pris une faute technique pour avoir marché sur le terrain.

Smokey, notre entraîneur adjoint, a bien essayé de mettre en place un plan de jeu, mais il a abandonné définitivement dès lors que le cinq de départ ne l'écoutait pas. Tyreke était à l'isolement pour 15 jours. On était donc sans coach et personne ne s'en souciait, puisque ça lui arrivait très souvent.

Les quatre matchs que l'on a gagnés je ne sais comment cette année n'étaient pas bien différents de nos défaites : un joyeux bordel fait de fourchettes, d'attitudes puériles et de crises de colère passagères.

Le couloir de la mort en Caroline du Nord n'a rien à voir avec ce qu'on voit dans les films. Lorsque je suis arrivé il y a dix ans, j'ai été complètement choqué de tomber sur des mecs en train de jouer aux cartes, aux dominos, au Scrabble et d'avoir de longues discussions tout en fumant.

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En fait, j'ai compris ce jour-là que ma prison ressemblait à n'importe quelle prison américaine, sauf que j'allais finir par être exécuté.


Puis est venu le jour du tournoi annuel de la prison – une sorte de coupe, un truc indépendant du championnat. Les discussions d'avant match tournaient toutes autour de la façon dont la Dream Team allait utiliser « Les Nubiens » comme échauffement avant de battre les autres équipes. Leur meneur, Phenom, était le meilleur joueur du couloir de la mort. Il marquait pratiquement la moitié des points de son équipe.

Dès le premier quart-temps, il était clair que quelque chose avait changé. J-Roc ouvrait la voie, enchaînant les trois points comme s'il s'agissait d'une simple formalité. Pit contrôlait la raquette en accumulant les lay-ups et les rebonds. Notre équipe ressemblait enfin à quelque chose.

Au final, on a gagné.

On a ensuite joué contre les Blazers, une équipe rapide avec de bons tireurs. Le match a commencé sur un faux rythme, ce qui leur a permis de prendre l'ascendant. Au fil des minutes, on est revenu. Et on a gagné, une fois de plus.

Il y a plusieurs années, j'avais commencé à m'entraîner dans la cour en compagnie d'Harvey, un Noir d'une quarantaine d'années avec une dent en moins. Celui-ci me poussait à lever des haltères deux fois par semaine. On ne discutait pas trop, préférant nous concentrer sur notre entraînement.

Un jour, Harvey et moi faisions de l'exercice lorsqu'il fut convoqué dans un bureau. Il est revenu environ une heure plus tard, l'air abattu. Il marmonnait quelque chose au sujet d'une date, avant de ramasser ses affaires sur le banc et de quitter la cour.

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Il m'a fallu un moment pour comprendre que les derniers jours de mon pote étaient arrivés.

Quand les matons sont venus le chercher, ils transportaient une grande brouette vide aux roues grinçantes pour y entreposer toutes les affaires personnelles d'Harvey : une carte postale, des lettres, des photos de ceux qu'il aime, une bible et quelques dessins. Le tout a finalement été confié à sa famille.

Harvey s'est tourné vers un gardien : « Tu me donnes une minute ? » Il a alors serré la main des détenus qu'il connaissait, les prenant parfois dans ses bras. Lorsque ça a été mon tour, j'ai bafouillé un faible au revoir et ai vu les larmes dans ses yeux.


Tout ce que nous avions à faire était de gagner encore un match pour remporter le tournoi. Remontée comme jamais, notre équipe toisait l'équipe adverse. On ne s'est même pas échauffé.

On a perdu, évidemment.

Mais il y avait chez nous un désir de victoire que même une exécution à venir ne pouvait entamer. Cela nous mènera peut-être vers la victoire l'année prochaine.

Lyle May a 39 ans. Il est incarcéré dans la prison de Raleigh en Caroline du Nord. Il attend d'être exécuté pour le meurtre d'une mère de famille et de son fils de quatre ans.