Le styliste qui servait son salami bio pendant les défilés

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Le styliste qui servait son salami bio pendant les défilés

Le créateur danois Henrik Vibskov a grandi dans une famille d'éleveurs de cochons et parle de notre rapport à la bouffe avec des fringues.
Henrik Vibskov salami. Foto: Emil Vinther

Le salami Henrik Vibskov. Photo d'Emil Vinther.A priori

, le salami fumé a autant sa place sur les podiums que Donald Trump à une quinceañera. Sauf si vous vous appelez Henrik Vibskov et que vous avez grandi dans une famille d'éleveur de porcs au Danemark. Le créateur avait déjà marqué les esprits avec un costume motif cochon. Et il n'y a pas si longtemps de cela, il envoyait ses dossiers de candidature aux écoles de stylisme dans des conserves de cornichon.

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Pour sa dernière collection présentée lors de la semaine de la mode à Copenhague, Vibskov ne s'est pas contenté de dessiner des petits gorets sur ses habits, il en a également servi. Avec l'aide d'un boucher, d'une spécialiste en impression sur saucisses et de deux entrepreneurs dans l'alimentaire, Henrik a créé son propre salami : le Vibs Salami. Le nom est déposé, la certification bio apposée et le design du packaging tout trouvé.

Lors d'une présentation en juin au Westin à Paris, le chef du restaurant de l'hôtel a sorti les plateaux d'argent pour offrir des tranches de salami Vibs à des fashionistas au rouge à lèvres pétant et au regard aussi froid que le cristal des flûtes de champ' qu'elles tenaient en main.

Henrik Vibskov fashion show. Photo: Victor Jones

Le défilé d'Henrik Vibskov à Paris. Photo de Victor Jones.Certains invités étaient un peu surpris et répondaient ; 'Non merci' mais d'autres se laissaient tenter

« », se rappelle Henrik. « Quand ils ont assisté au défilé, ils avaient toujours le goût du salami fumé en bouche. L'odeur est très forte. Évidemment, d'autres étaient trop snobs ou trop occupés à remettre en place leurs lunettes de soleil pour manger du saucisson. »

Le défilé, baptisé The Salami Kitchen, a lieu dans un univers surréaliste où les motifs sont inspirés des arts martiaux. Les mannequins paradent dans une « usine à saucisses » de vingt mètres de long alors que des bouchers en tablier blanc accrochent de faux salamis en tissu sur des crochets. On est carrément plus dans de la science-fiction que sur un podium classique.

Toute cette agitation a lieu bien loin de la petite ville de Kjellerup où Henrik a grandi, dans l'est du Jutland et où l'idée d'un repas sans viande est vécue comme un blasphème. La grand-mère d'Henrik gérait une porcherie qui nourrissait toute la famille. À la cantine, les enfants mangeaient généralement des tranches de salami bien rose sur des tartines de pain de seigle. Bref, il y a toujours eu quelque chose entre Henrik et les cochons. Et depuis la « collection sauciflard » qu'il a réalisée pour son diplôme de fin d'études à l'école Central Saint Martins de Londres en 2001, on ne peut pas dire qu'il s'en cache vraiment. En plus des costumes avec imprimés porcins, il avait également imaginé des sacs à l'effigie de la bête.

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Henrik Vibskov au café Den Plettede Gris. Photo d'Alastair Philip Wiper.

Mettre des motifs sur du tissu, c'est une chose. Offrir des tranches de cochonou lors d'un événement avec le gratin international de la Fashionerie, c'est une autre paire de manches. Henrik explique que son projet de saucisson et son nouveau défilé permettent d'explorer notre relation à l'industrie agro-alimentaire. Il insiste sur le contraste entre l'envie de consommer des produits rares et la tradition culinaire danoise qui apprécie surtout les roulés bon marché, les couches de beurre épaisses et le salami bourré d'additifs.

C'est un moyen de dénoncer notre obsession pour les choses précieuses alors que nous vivons dans un monde où la majorité des gens manquent de choses basiques, de montrer un futur où la viande et le salami pourraient ne plus être considérés comme des aliments consommables.

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« Ce travail est un commentaire sur la société, la politique et aussi la culture. Sur nos valeurs, nos productions. Sur ce que nous pouvions manger il y a dix ans mais qu'on ne veut plus toucher aujourd'hui. »

Les faux salamis géants suspendus dans l'usine-podium sont aussi roses que ceux de l'enfance de Henrik, mais les saucisses proposées à son défilé sont 100 % artisanales – il s'est entouré des meilleurs fournisseurs du Danemark pour les réaliser. Cette collaboration a permis au créateur de mode d'explorer un univers pas si familier.

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Henrik Vibskov fashion show. Foto: Victor Jones

Les bouchers présents au défilé parisien. Photo de Victor Jones.C'est un tout nouveau monde qui s'est ouvert à moi

« », explique-t-il. « J'ai dû contacter une graveuse spécialisée en emballages de saucisses ! On a beaucoup discuté pour savoir ce qui était réalisable, imprimable, comment élaborer le packaging. Il y a plein de trucs à savoir sur la fabrication du salami, par exemple comment il est resserré de chaque côté. Quand on a commencé à en parler au bureau, tout le monde avait le sourire. »

Susanne Pedersen, la graveuse en question, dirige l'entreprise Charles Christiansen à Rødekro. Son slogan : « Vous avez des saucisses ? Nous vous les emballons. »

« Au début quand on m'a parlé de Henrik Vibskov, le nom ne me disait rien », se rappelle Susanne. « J'ai reçu des informations sur ce qu'ils imaginaient pour leurs étiquettes, mais je n'arrivais pas à réaliser ce qu'ils voulaient. Le monde des saucisses est évidemment très différent de celui de la mode. »

Ce n'est qu'après avoir pris un café avec une amie que Susanne a eu un déclic. « On a fouillé dans ma garde-robe, et il se trouve que je possédais une pièce Vibskov. C'était vraiment drôle de bosser sur ce projet. »

Henrik Vibskov pølse. Foto: Emil Vinther

Photo d'Emil VintherCe salami s'inspire d'une recette traditionnelle du sud du Jutland qu'un boucher de Holbæk a perfectionné au fil des années

Les saucissons ont tous été assemblés et fumés dans la boucherie Slagtergården – une des premières du Danemark à bannir les additifs – en collaboration avec ODC-MAD, une entreprise culinaire qui avait déjà aidé à dessiner une paire de chaussures pour le brasseur de bière danois Mikkeller. ODC-MAD a également un magasin en ligne de viandes bio.

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« », explique Jonathan Soriano de ODC-MAD. « Nous avons réduit la taille du salami, ce qui rend le Vibs salami vraiment unique. C'est pour ça qu'il nous a fallu un expert en étiquetage. »

« Au départ, on voulait produire suffisamment de salamis pour que Henrik puisse les proposer avec chaque pièce de sa collection. Mais après avoir discuté avec quelqu'un qui s'y connaissait vraiment en logistique, on a réalisé qu'il valait mieux abandonner l'idée. Du coup, on a seulement fait des salamis pour les shows de Paris et de Copenhague. Mais Henrik aimait vraiment l'idée d'obliger les magasins à stocker ses habits en même temps que ses salamis. »

Henrik Vibskov pølse. Foto: Emil Vinther

Photo d'Emil Vintherle plus danois possible

L'équipe a également suggéré du saucisson espagnol ou hongrois, mais Henrik le voulait « ». Aucune herbe exotique ou autre digression. Du jambon et du bœuf complètement biologiques, un peu de poivre pour assaisonner et un arôme fumé qui se révèle de plus en plus fort à chaque bouchée. C'est le goût d'un véritable déjeuner danois, d'un sandwich avec du pain de seigle et de la sauce « rémoulade » et des oignons grillés. C'est idéal sur un plateau de charcuteries d'exception ou en accompagnement d'un cocktail de fêtards de la fashion week.

Henrik espérait recréer la magie de son défilé parisien dans le quartier des bouchers de Copenhague.

« Dans le palace, la situation était assez absurde. Le contraste entre le lieu et le défilé était saisissant. Mais ici, ça a aussi un sens. C'est même trop beau pour être vrai. Ça va être sanglant. »