Coquillages, huile de coude et crustacés : bienvenue aux championnats de France des Écaillers

FYI.

This story is over 5 years old.

Food

Coquillages, huile de coude et crustacés : bienvenue aux championnats de France des Écaillers

Pour tout donner, jusqu'à la dernière huître.

Nous sommes un lundi de janvier, il pleut et il fait froid et je m'apprête à entrer dans le parc Floral de Vincennes. Direction l'un de ses petits pavillons perdus dans la verdure qui accueille tantôt des salons, des évènements ou carrément des festivals de musique. En approchant, depuis l'extérieur, on entend ce qui ressemble à un cri de guerre s'échapper d'une sono : « Qui veut manger des huîtres ? » À l'intérieur, une armée de mains se lèvent, et les 300 personnes qui entourent la zone d'affrontement frétillent déjà à l'idée de déguster les bivalves. « En ce lundi de grippe générale, rien de mieux que des huîtres et des fruits de mer pour se requinquer ! », s'époumone l'animateur. Au milieu du carré que forme la foule, une dizaine d'individus a enfilé des tabliers et aiguisé ses couteaux. Dans un coin, j'aperçois un secouriste en uniforme, kit de premiers soins à portée de main, paré pour d'éventuelles blessures. La tension monte alors que face aux tables de travail, les femmes et les fans des participants poussent la voix pour supporter leurs héros d'un jour.

Publicité

Bienvenue aux championnats de France des Écaillers.

Organisé pour la 16e fois par le Comité National de la Conchyliculture (CNC, à ne pas confondre avec le Centre national du cinéma), la grande finale du championnat de France des écaillers a d'abord vu s'affronter ses meilleurs candidats lors d'épreuves préliminaires régionales. Si chaque rassemblement est l'occasion de montrer une vitrine assez divertissante de la profession, avec son folklo, ses quizz et ses goodies à gogo pour faire patienter la foule, le but de la manifestation, c'est avant tout de valoriser un produit, l'huître, et un savoir-faire, celui de les ouvrir.

LIRE AUSSI : Comment j'ai appris à manger des huîtres (sans trop passer pour un con)

« On est une des seules productions agricoles à avoir une balance commerciale positive. La consommation d'huître en France se divise en deux catégories. La grande majorité des gens les consomment comme un plat traditionnel, de fête, avec une notion de plaisir. Ensuite, nous avons les consommateurs proches du littoral, qui eux mangent des huîtres toute l'année », explique Philipe Maraval directeur général du CNC.

Si la filière reste florissante – on recense 4 500 producteurs d'huître pour 100 000 tonnes de coquillages vendus par an –, la profession d'écailler, elle, est en souffrance : « Il n'y a plus d'écoles spécialisées. C'est quelque chose qui se transmet directement ou qui fait partie intégrante des formations en école de poissonnerie », m'explique Bruno Gauvain, MOF poissonnier-écailler. Moins présents dans les restaurants, ceux que l'on appelle parfois « les fromagers de la mer » sont redevenus des anonymes de la chaîne gastronomique, alors qu'ils sont pourtant des personnages clés. « On est un vrai écailler quand on atteint les cinquante douzaines par jour. On est les derniers à entrer en scène, on est au contact du produit, les plus aptes à conseiller les clients et à préparer les coquillages ou crustacés ».

Publicité

Place à la finale. Après une épreuve théorique, ou les douze finalistes déploient toute l'étendue de leur culture coquillage, place à la première épreuve pratique : la vitesse. Le principe est simple : les participants doivent ouvrir 50 huîtres creuses et 50 plates, en un minimum de temps. Pour corser le tout, chaque candidat responsable d'une huître mal ouverte, retournée dans le plat ou avec des restes d'écailles sur le dessus, se verra sanctionner de secondes ou de minutes de pénalités.

Les chronomètres démarrent et déjà, les candidats activent leurs couteaux sur les coquillages et la foule lance des applaudissements. Certains ouvrent l'huître par le côté, d'autres, par l'arrière. Chacun sa technique et sa routine, pourvu qu'elle soit la plus efficace. Très vite, les écarts se creusent. Le premier participant termine son lot en moins de 7 minutes, distançant largement les derniers. Alors que les plateaux sont amenés à l'arrière pour être minutieusement examinés par le jury, j'en profite pour poser quelques questions à Corentin Richard, champion de l'épreuve de sélection du Poitou Charente et benjamin du concours.

« Écailler, ce n'est pas du tout mon métier ! Je suis dans l'hôtellerie-restauration, je viens d'avoir mon BTS spécialité pâtisserie. On peut dire que les huîtres c'est juste une passion pour moi, tout comme la cuisine et les produits en général. C'est un ancien écailler, qui m'a transmis ça sur mon temps libre et puis j'ai commencé les concours étudiants, puis régionaux, avant d'en arriver là, aujourd'hui. »

Publicité

Mais pas de répit pour les participants, qui retournent dans l'arène pour la troisième et dernière épreuve, celle de présentation. Chacun reçoit le même panier garni de produits de la mer, composé aujourd'hui d'huîtres, de moules, de palourdes, de crevettes et de langoustines, accompagnés de glace et d'algues à volonté pour la présentation. Le chronomètre démarre à nouveau et chacun a 20 minutes pour réaliser sa propre peinture océanique et revisiter le plateau de fruits de mer. Place aux langoustines en hirondelles, aux rosaces de bulots et autre crabe délicatement taillé – chacun voit en cette épreuve une occasion de laisser libre court à son imagination.

Pendant l'épreuve, Bernard Gonthier, président du jury et ex-Champion du monde des écaillers, m'explique les critères de sélection : « Les plateaux sont jugés sur trois critères. La présentation, le transport et la propreté. » Derrière sa moustache, Bernard passe dans les rangs pour surveiller les compétiteurs à l'œuvre. « Tout comme avec le concours de vitesse, la rapidité importe peu, si les coquillages sont mal ouverts, ça ne sert à rien. Les meilleurs sont ceux qui sont réguliers. »

Le couteau est l'instrument sacré qui conditionne la réussite des vrais pros de l'huître : « Chaque écailler dispose d'un bon couteau qu'il ne prête jamais. C'est la règle numéro un. Je me souviens l'avoir prêté une fois, et on me l'a cassé », rigole le Savoyard d'origine. N'est-il pas surprenant, pour un écailler, d'être originaire d'une région sans littoral ? « Les premiers écaillers étaient Savoyards, car peu de travailleurs étaient capables de travailler toute la journée les mains dans la glace et pendant les basses températures des fêtes ».

Publicité

L'animateur lance le décompte final au micro et les compétiteurs ajustent une dernière fois leur composition avant de lever les mains comme dans une célèbre compétition de cuisine télévisée. Après une demi-heure de délibération et d'examen des plateaux, c'est finalement Rabah Guechoud, écailler de la brasserie La Lorraine dans le 8e arrondissement, qui l'emporte haut la main, pour la troisième fois. Après avoir posé avec les photographes et la foule, il me confie quelques secrets pour devenir le meilleur des écaillers.

« Moi l'huître, je l'ouvre sur le côté, jamais par l'arrière. Sur le côté, c'est plus facile, et on a moins de chance de se blesser aussi. Je n'utilise pas de gants, mais chacun fait comme il veut. J'ai mon couteau fétiche, qui est un couteau lyonnais. C'est une petite lame fine pour les professionnels, efficace, mais qui ne pardonne pas si on se blesse avec.

LIRE AUSSI : La tête dans le mollusque : 24 heures à la fête de la coquille Saint-Jacques

Mais notre conversation sera très vite interrompue : la foule présente autour des tables se précipite sur les plateaux pour la dégustation du public. Bousculade et haussement de ton à la vue des crustacés gratuits : « C'est la même chose à chaque fois, plaisante Rabah. La création de plateaux, justement, c'est une part d'improvisation, mais généralement 80 % de la marchandise est similaire à chaque fois. À nous d'être les plus créatifs. »

Il n'aura fallu que quelques minutes aux badauds pour engloutir les douze plateaux finalistes – confirmation, s'il en fallait une, du pouvoir électrisant et aphrodisiaque des coquillages sur le corps humain. De mon côté, je n'avais plus qu'un seul fantasme en tête : me taper plusieurs douzaines d'huîtres à la suite, avec deux trois bons potes et quelques litres de blanc sec.