Licornes, grenouilles, sorcières et titres en polonais : pas de doute, les Flaming Lips sont de retour

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Licornes, grenouilles, sorcières et titres en polonais : pas de doute, les Flaming Lips sont de retour

Nous sommes allés discuter avec Wayne Coyne de la mort, des dragons, du temps qui passe et du nouvel album de son groupe, « Oczy Mlody ».

À défaut de faire plaisir à leurs anciens fans toujours à la recherche de la mélodie perdue, celles du légendaire The Soft Bulletin paru à la fin du siècle dernier, les Flaming Lips font depuis quelques années d'autres heureux. Les vendeurs de disques durs et les fabricants d'étagères, deux métiers qui peuvent fourguer du stockage pour les innombrables projets de reprises et de collaborations dont le groupe est familier entre deux albums et quatre tournées. Autres clients satisfaits, tous ceux qui préfèrent demain à hier, l'expérimentation, la recherche sonore, bref, l'excitation, et se foutent du couplet refrain comme du premier sèche-cheveux de Neil Hannon. Une population définie par la Sofrès comme plus jeune, imberbe et perméable aux musiques électroniques et au rap. Qu'aurait-il donc fallu ? Que les Flaming Lips se séparent pour venir quinze ans après rejouer la queue basse leurs vieux refrains ? Qu'ils essaient en vain de pondre chaque année une énième resucée de « The Spiderbite Song » avec piano qui chiale et voix qui lui tient le mouchoir ? Ben non, Wayne Coyne vaut mieux que ça. Vaut mieux que toi. Car il sait qu'il vaut mieux faire place à MGMT ou Tame Impala qui rempliront à l'aise le cahier des charges chanson psyché pour Coachella.

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Coyne a préféré profiter de la fin de son contrat avec sa major pour se marrer, devenir pote avec Miley Cyrus et la fille du gouverneur républicain de l'Oklahoma, enregistrer des albums de reprises sans queue ni tête, de Sgt Pepper's avec un casting de maboules, à The Dark Side of the Moon avec Henry Rollins et Peaches. On doit aussi aux Flaming Lips un disque de reprises des Stone Roses, les 23 morceaux de l'album Miley Cyrus & Her Dead Petz, des concepts albums pondus entre potes, les Heady Fwends. Ça va de Kesha à Bon Iver en passant par Prefuse 73, Lightning Bolt, Nick Cave, Neon Indian ou Yoko Ono. Des gens comme toi et moi.

Tout ça n'empêche pas Wayne Coyne et sa bande de livrer des concerts à gros budgets paillettes, avec une bulle transparente pour qu'il puisse se balader sur son public. Mais aussi des albums, comme le tout dernier Oczy Mlody, successeur planant de l'effarant The Terror de 2013. Un titre en polonais. On y croise des licornes, des grenouilles, des sorcières, des magiciens et un château. Il est libre, Wayne.

Noisey : The Terror m'avait fait l'effet d'un cauchemar, celui-ci sonne plus comme un rêve non ?
Wayne Coyne : Ça avait été difficile de faire The Terror car pour la plupart, nous tendons naturellement vers une musique mélodique, optimiste et plus structurée. The Terror n'était pas négatif mais marqué par une anxiété dévorante, qui sait d'où elle venait. Même l'appeler The Terror, c'est horrible ! On a lutté dur pour ne pas en sortir et on a travaillé rapidement pour ne pas être influencés par des éléments extérieurs. Quand je l'écoute maintenant, je me dis « Oh mon Dieu », mais je sais d'où ça vient en réalité. On enregistrait dans le studio de Sean Lennon et Yoko Ono et il nous a passé un vieux synthé bizarre en plastique. Chaque note était accompagnée de bruits, de tonalités étranges qu'on a gardés et qui ont créé cette ambiance. C'est marrant de voir à quel point un seul instrument pour influer sur tout un disque. On a réussi mais on ne voulait pas nous répéter.

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Cette anxiété était aussi présente dans tes textes ?
Parfois tu coinces sur les textes, comme ça m'est arrivé sur « The Castle ». Et ça a eu de l'importance sur la suite car ça donne l'impression que j'ai fait exprès mais ce titre est juste un accident. Même l'imagerie de « The Castle », les papillons et les arcs-en-ciel, on n'avait jamais fait ça avant. On y est allés à fond avec des licornes sur « There should be unicorns ».

Ça sent le retour à l'enfance ?
C'est une référence à « Puff The Magic Dragon » de Peter Paul & Mary. J'avais genre 6 ou 7 ans, cette chanson était assez connue mais tous les jeunes l'aimaient car ils pensaient que ça voulait dire « puffing marijuana » et elle est entrée dans la contre-culture.

C'est une chanson à double sens.
Oui, alors que pour moi, elle parle juste d'un dragon. Mais les Flaming Lips ne chanteraient jamais sur un dragon en sachant que les gens pensent à la marijuana. Bref, je l'adore car c'est une chanson triste sur un dragon. Je savais que si je chantais sur un dragon, ça ferait le même effet et j'adore cette idée.

Le titre en polonais, comme pour deux autres chansons, ça vous a pris comment ?
Ah ah, j'aimerais avoir une bonne explication. Il y a cinq ou six ans, je me trouvais chez un bouquiniste et j'ai acheté ce petit livre, Bosco Uomo sans savoir ce que c'était, j'ai juste aimé le tableau cool sur la couverture. Je ne savais pas ce que le titre voulait dire, peut-être le nom de quelqu'un ? Vu qu'il coutait juste un dollar, c'était pas grave, j'aimais juste l'objet. Puis je suis allé en studio et là, comme d'habitude, il y avait des livres et je l'ai posé au milieu. Tous ceux qui passaient le regardaient et disaient « oh, ce n'est pas en anglais ». Steven (Drozd) le regardait tout le temps et ces mots sont restés collés en lui. Un jour, il est tombé sur les mots « Oczy Mlody » et ça lui a fait le même effet. Qu'est-ce que ça veut bien dire ? Est-ce que c'est une drogue ?

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Ou « mélodie étrange » ?
Oui ! Quand tu ne comprends pas des mots, ils peuvent prendre n'importe quel sens suivant ton imagination. Et quand ta musique et ces mots finissent pas s'assembler, il n'y a pas d'explication rationnelle. Ça me rappelle Aphex Twin et ses titres de morceaux incompréhensibles que j'adore.

Vous allez devenir énormes en Pologne !
Ah ah ! Ils vont croire qu'on se comprend mais ce n'est pas le cas. Mais ce serait génial.

Et puis ce sont des mots géniaux pour les moteurs de recherche.
Exactement. Quand on a cherché la traduction, Oczy Mlody veut dire « les yeux des jeunes », titre qu'on n'aurait jamais imaginé mais qui sonne bien. On dirait une chanson de Justin Bieber.

Vous avez une nouvelle fois travaillé avec le producteur Dave Fridmann, ça commence à faire un sacré bail. Vous arrivez encore à vous surprendre ?
Oui, on a bossé pour la première fois avec lui en 1988, il était en dernière année de fac. On arrive encore à être tous très intenses, d'ailleurs il l'est toujours. Même s'il est doux et sympa, tu sens à la façon dont il parle s'il aime ou pas. Il ne sait pas cacher ses sentiments. Il a aussi ses idées sur les choses et c'est ce que je veux. Quand on débarque en studio avec tout ce qu'on a fait, on sait qu'il va foutre sa patte et pas qu'un petit peu. Il va te prendre une chanson qu'il écoute pour la première fois, une chanson que j'ai en tête depuis un an, dont je connais chaque seconde. Eh bien il va me l'arracher, me la renverser et c'est ce que je cherche. « Tu me la laisses une semaine et on verra si tu aimes ». Presque à chaque fois, il fait un truc aussi radical que ça. Ma première réaction est de dire qu'il va massacrer un truc que j'ai bossé pendant un an. Puis deux semaines plus tard, je le remercie en lui disant que je l'aime ! Elle est devenue tellement mieux. C'est un freak très intense, qui a la pêche.

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Son studio est complètement paumé dans la nature, ça aide pour travailler ?
Il est au milieu de nulle part. Dave rentre chez lui chaque nuit en voiture et te laisse dans cette vieille ferme amish étrange où il n'y a rien à faire, aucun magasin, aucun bar, rien. Mais c'est plein de sensations cool en terme de son, avec des instruments uniques. Tout est branché, tu peux tout essayer, lancer des boucles sur une boite à rythmes. C'est ce qu'il veut : que tu te mettes à jouer.

C'est pour ça qu'on sent plus de textures électroniques sur cet album ?
Peu à peu, nous avons perdu notre capacité à dire ce qui est électronique et ce qui ne l'est pas. Même des instruments qu'on enregistre comme la batterie, passent à travers des ordinateurs, des effets… En 2001, l'album Yoshimi Battles The Pink Robots a marqué un vrai break dans la façon d'enregistrer avec l'utilisation pour la première fois de l'ordinateur. Vu que nous sommes propriétaires de nos propres disques, on se ressert parfois d'un vieux bout de batterie. Il n'y a donc plus de règles. Mais je suis d'accord, au fur et à mesure où nous avançons, notre musique ressemble de moins en moins à quelque chose de joué et de plus en plus tordue et travaillée à l'ordinateur. C'est aussi parce qu'on écoute plus de trucs, du rap en particulier. Et une fois que tu as mis le doigt là-dedans, tu ne peux plus revenir en arrière.

[Il se met à souffler des beats bien lourds avec sa bouche]

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C'est génial cette musique passée dans des caissons de basse, ils lui donnent toute sa force. Je n'en avais pas dans ma voiture où j'écoutais les Beatles ou Led Zep. J'ai installé un caisson et je ne peux plus les écouter ! C'est comme si on avait ajouté de nouvelles fréquences avec une musique en total contraste. On a beau être ce groupe de mecs blancs, on est définitivement fans de ce gros son.

Le groupe a été fondé il y a 34 ans et tu es resté fidèle à ta ville d'Oklahoma City. Tu penses que ça explique pourquoi vous êtes toujours là ?
Pendant longtemps, ça aurait été la logique de partir mais dès le début, nous étions influencés par les Butthole Surfers qui vivaient à Austin, Texas, ou par les Meat Puppets de Phoenix, Arizona. Même les gars de Husker Dü vivaient toujours à Minneapolis. C'est ça l'Amérique. Le seul groupe qu'on connaissait à New York était Sonic Youth mais ils sont de là. Ça ne nous est donc pas venu à l'idée de partir. Au moment de notre premier album, je me souviens d'avoir lu une chronique annonçant notre concert à Minneapolis. Je ne sais plus ce qu'elle racontait mais elle finissait par : « vous devez aller les voir car ils viennent de l'Oklahoma ». On était une curiosité ou quoi ? Après ça, on a considéré que chaque groupe vient de quelque part et que c'est en lui. Quand l'opportunité s'est présentée avec notre signature chez Warner, personne n'a eu envie de bouger. On a toujours voyagé dans le monde entier car le groupe n'a jamais fait de pause. Par ailleurs, je vis dans un endroit immense à Oklahoma City où j'ai tout, mon studio d'enregistrement, une galerie, un studio où on réalise nos vidéos… et j'ai pas envie de le quitter pour un simple appartement ailleurs. C'est un peu la Factory d'Andy Warhol. Il faudrait être milliardaire pour avoir un tel endroit à New York ou Los Angeles. Ça m'aurait plu quand j'étais jeune mais plus maintenant.

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En quoi ta ville a fait ce que tu es ?
Quand j'y grandissais, j'étais incapable de dire quelle musique s'y faisait. Avec mes frères et sœurs, on aimait Black Sabbath, les Beatles… Quand tu es jeune, tu te fous d'où vient la musique. C'est bien plus tard qu'on a découvert les artistes de la région comme Leon Russell, JJ Cale… mais ce ne sont pas des gens qui nous ont influencés. Mes frères aimaient la moto, les drogues, les trucs dingues, et la musique qu'ils écoutaient était un peu dingo. Ma mère aimait Tom Jones. Il y avait donc quatre ou cinq styles de musique à la maison, Steppenwolf pour mon frère, Tom Jones pour ma mère. Je suis un mélange de tout ça. Mais rien de l'Oklahoma, c'est pour ça que les gens nous trouvaient étranges.

Je suis passé une fois à Oklahoma City, quelle ville étrange justement !
Mais qu'est-ce que tu fichais là ?

Une longue histoire… bref, j'ai trouvé le centre complètement mort.
Il l'est ! Mais ce qui se raconte, c'est qu'à la fin des années 60, c'était la plus grande ville du monde. Pas en terme de population mais par son étendue. Les responsables de l'époque se sont dit qu'en faisant la ville la plus grande possible, les gens viendraient s'y installer. C'est devenu une ville géante mais il n'y a personne. Elle pourrait accueillir 100 millions d'habitants alors qu'il n'y en a que 500.000. Quand tu habites dans la partie nord, tu ne mets jamais les pieds au sud. Pour nous, ce n'est pas un choc comme pour vous Européens. Mais bon, la ville a changé. Même le quartier où je vis, qui était totalement vide, s'est un peu rempli, avec des magasins, des bars.

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Est-ce que ça explique que tu aies le temps de faire autant d'albums avec les fwends comme vous les appelez, entre les albums officiels ?
Oui et non car je ne rassemble personne, tout se fait par internet. Personne ne vient à mon studio, on s'envoie nos enregistrements. On a commencé ça en 2010. On avait signé un très long contrat avec Warner en 1990, qui arrivait à terme en 2010. On ne savait pas quoi faire pour la suite. On a décidé collectivement de se laisser une année ou deux pour travailler de notre côté et voir ce qui allait se passer. C'est là qu'on a commencé à faire le disque de reprises de Sgt. Pepper's et les collaborations avec les Heady Fwends. Je n'en aurais jamais été capable s'il avait fallu la permission. Là, il m'a suffi d'appeler Nick Cave, de le voir et lui proposer de faire un titre. En quelques semaines, c'était fait. Pas mal de groupes avec qui on a travaillé avaient un label, d'autres pas, et ça aurait été une galère à organiser, sauf pour moi car j'étais le boss. Un truc qui me prenait une semaine aurait pris un an.

C'est amusant car finalement, Miley Cyrus a fait la même chose.
Exactement, et on en a beaucoup parlé. Elle disait « je serais incapable de faire ce que tu fais ». Mais elle était heureuse d'être celle qui, créativement, allait décider ce qui allait se passer, après être allé nulle part pendant un temps. Elle a écrit plein de musiques, conçu l'ensemble, pour se retrouver à la fin avec des producteurs qui changeaient tout. Sans avoir le droit de dire non. Après deux expériences comme ça, elle a voulu être celle qui décide de la façon dont ça allait sonner. « Si c'est bon, tant mieux, si c'est naze, je m'en fous, c'est ce que je veux ». Et ça a fonctionné entre nous. Elle est jeune et dans ces cas-là, tu n'as pas envie de quelqu'un qui te dit : « oh tu es trop jeune, tu ne sais pas ».

Dans une interview il y a quelques années au Guardian, on te posait toutes sortes de questions sur Miley Cyrus, ton divorce, Erykah Badu… mais rien sur la musique. Ça pose un problème à force ?
Non, c'est même souvent plus intéressant car la musique, c'est parfois compliqué d'en parler. Ça la rend donc plus vivante au final, ça la personnifie un peu plus. Quand j'étais jeune, il n'y avait pas tant de groupes dont on connaissait tout. Alors oui, il y avait les Beatles, les Stones ou Dylan dont on en savait plus que tout ce qu'il y avait sur leurs disques. Mais d'autres, on avait les albums sans rien savoir d'eux. Donovan, par exemple, était très connu mais il n'y avait rien à lire sur lui. Ou 13th Floor Elevators. Mais plus j'en savais sur les groupes, plus je les aimais. Ces choses sont donc intéressantes, c'est même amusant que des gens s'intéressent à ta vie.

Y compris quand c'est très personnel ?
Tu peux demander ce que tu veux, ce sera à moi de décider de la réponse. Tu peux me demander la taille de ma bite, je te répondrai « bon, tu sais… ». Ce n'est pas un tribunal, je peux répondre ce que je veux et ne pas dire la vérité, quelque chose de divertissant, ce n'est pas un souci. Même si la vérité me parait plus intéressante, je n'ai rien à cacher et ne donnerais pas d'interviews si ça ne me plaisait pas.

Tu y as dit cette phrase merveilleuse : « Vers 40 et 50 ans, j'étais inquiet de vieillir. Et puis une nuit, saoul, je me suis dit : « laisse tomber, tu es déjà vieux, alors arrête de te soucier de ton âge ! » Et toutes ces inquiétudes se sont envolées. »
Ha ha. Là, je disais la pure vérité. Ce serait stupide de passer son temps à s'inquiéter alors que tout va bien, que de super trucs arrivent toujours. S'amuser reste essentiel. Souvent, t'es avec des gens qui veulent que tu les fasses marrer mais eux-mêmes ont l'air super mal. Je n'ai pas envie d'être comme ça. Donc merci de m'avoir fait marrer. Car quand tu vieillis, tu regardes autour de toi et tu te dis que quelque chose va t'arriver. Les gens vieillissent, tu t'inquiètes aussi pour eux. Moi, j'ai arrêté. De toute façon, je suis déjà vieux. Ça a été une grande délivrance de ne plus penser à la mort. Ça a changé mon relation au bonheur autant que mon niveau d'inquiétude. Maintenant, je l'ai presque oubliée. Je vois des gars bien plus jeunes très anxieux. J'ai donc de la chance. Plus jeune, mes frères ainés étaient accros aux drogues. Ça m'a suffisamment inquiété et je n'ai jamais voulu que ça m'arrive. La musique et l'art devaient être plus importants. Etre vieux, ce n'est plus être vieux, c'est juste avoir plus d'expérience. Merci, c'était cool de parler de ça.

Pascal Bertin aime aussi Miley Cyrus, il est sur Twitter