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Les Bretons n’ont pas de fromage — mais ils ont des oignons

Trois jeunes Bretons viennent de ressusciter la tradition des « Onion Johnnies », ces marchands itinérants du XIXe siècle qui partaient vendre leurs oignons à vélo sur les côtes anglaises.

Les premiers Bretons vendeurs d'oignons ont débarqué sur les côtes anglaises au début du XIXe siècle. Et pendant cent ans, il était fréquent de les croiser à vélo l'été, en train de vendre leur marchandise au détour des grandes rues commerciales. Ouvriers agricoles de profession, ces Bretons traversaient la mer à bord de voiliers ou de bateaux à vapeur dès que la récolte des oignons, généralement en août, était passée et que le travail dans les champs, en France, commençait à se faire rare.

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Ils parcouraient chaque année des centaines de kilomètres à travers les îles Britanniques, le Pays de Galles et jusqu'en Ecosse, en vendant leurs oignons à des pubs ou aux passants qu'ils rencontraient sur leur chemin. Ceux qu'on appelait les Johnnies, avec leurs marinières, leurs bérets et leurs nattes d'oignons accrochées à leurs vélos, ont fortement contribué à cette représentation stéréotypée du Français au sein de la population anglo-saxonne.

Mais les Johnnies appartiennent à une autre époque — ils étaient devenus les fantômes bulbés d'une ère depuis longtemps révolue.

Jusqu'au jour où trois jeunes Bretons décidèrent de ramener cette vieille tradition franco-britannique à la vie.

Sur un coup de tête, Clémence, Hans et Ronan ont levé les voiles à Roscoff, une petite ville bretonne, direction les Cornouailles. Ils ont navigué de port en port, vivant à bord du bateau, pêchant et chassant pour se nourrir. Ils partageaient tout l'argent récolté grâce à la vente des oignons roses qu'ils avaient embarqué avec eux.

Ils ont tenu un mois, puis le temps s'est couvert, le stock d'oignons s'est épuisé et ils sont retournés en France pour reprendre le cours de leur vie ordinaire.

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Crédit photo : Onion Johnnies Are Not Dead.

Les trois potes, qui se sont rencontrés à l'école de voile de Rostoff, cherchaient visiblement une excuse valable pour passer du temps en mer quand quelqu'un leur a parlé de la tradition des Johnnies — ils ont trouvé que c'était le meilleur prétexte possible. Depuis qu'ils se sont lancés dans l'aventure, ils n'ont pas cessé de vivre le truc à fond.

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« Depuis que l'on a fait notre voyage, on est encore plus persuadé qu'il faut faire revivre la tradition des Johnnies. On veut faire revivre les liens qui existent entre les Cornouailles et la Bretagne et pourquoi pas, créer une coopérative de Johnnies », expliquent-ils.

Coopérative qui n'existe pour l'instant que sous la forme d'un modeste groupe Facebook, qui recueille 135 likes à ce jour et que l'on vous invite à supporter : Onion Johnnies Are Not Dead.

Depuis cette première expérience concluante, ils sont d'ailleurs retournés tracer en Angleterre pour vendre leurs oignons roses et biologiques dans les rues et dans les pubs. Ils se sont même essayés au porte-à-porte de ville en ville et prévoient bientôt d'en vendre dans les festivals.

« Un Johnny c'est une personne simple avec des plaisirs simples [sic]. Il ou elle adore les poissons, cuisinés avec quelques oignons, aime manger une bonne soupe à l'oignon après une longue journée de boulot, partage tout ce qu'il ou elle gagne avec ses compagnons de galère et est heureux de donner quelques oignons gratuitement à quelqu'un qui est dans le besoin. »

Tous les bénéfices sont partagés équitablement entre chaque membre de l'équipage. Il y a aussi une enveloppe pour l'agriculteur qui leur fournit la matière première : « des échalotes délicieuses et de bons oignons, à la fois doux et beaux à voir ». Ils cherchent actuellement un petit morceau de terrain pour pouvoir produire eux-mêmes leurs oignons.

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Crédit photo : Onion Johnnies Are Not Dead.

La tradition s'est petit à petit raréfiée. Le premier des Johnnies, Henri Ollivier, a posé le pied sur le sol anglais en 1828. Ce commerce a ensuite rencontré un certain succès au cours du siècle suivant et a atteint son apogée dans les années 1920 alors que pas moins de 1 500 Johnnies prenaient d'assaut les côtes britanniques chaque année, embarquant plus de 9 000 tonnes d'oignons avec eux. Très présents dans les grandes rues commerçantes britanniques jusqu'en 1934, ils n'ont pas été épargnés par la Grande Dépression qui a décimé leurs rangs, ne laissant que 400 Johnnies derrière elle.

En 1973 il ne restait plus que 160 d'entre eux (et seulement 1100 tonnes d'oignons sur le marché). Le coup final qui devait marquer la fin de cette jolie coutume a été porté par la mécanisation de l'agriculture et l'avènement de moyens de distribution, beaucoup plus efficaces et rapides. Si bien qu'à l'aube de l'An 2000, ils n'étaient plus qu'une vingtaine de Johnnies à perpétuer la tradition.

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Et aujourd'hui ? Ils ne sont plus que trois.

Alors pourquoi ramener aujourd'hui à la vie une méthode de distribution d'un autre siècle, complètement obsolète ?

« Mais c'est toute la philosophie des Johnnies ! » répondent en cœur Clémence, Hans et Ronan. Comprendre, exhumer un mode de distribution ancestral qui a la particularité de garantir une traçabilité des aliments, le tout en favorisant le contact humain plutôt et en coupant la chaîne souvent infernale des intermédiaires foireux.

En insistant, ils nous donnent leur propre définition et on comprend mieux ce qui les anime désormais : « Un Johnny c'est une personne simple avec des plaisirs simples [sic]. Il ou elle adore les poissons cuisinés avec quelques oignons, aime manger une délicieuse soupe à l'oignon chaude après une longue journée, partage tout ce qu'il ou elle gagne et est heureux de donner quelques oignons gratuitement à quelqu'un qui est dans le besoin. On veut maintenir la tradition des Johnnies. Les Johnnies ne sont pas morts ! »

C'est l'histoire de 600 kg d'oignons, d'un bateau de 10 mètres et de trois Français.

C'est l'histoire des derniers Johnnies encore en activité.