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Cuisine japonaise, tremblement de terre et bouillon dashi

Ce n’est que lorsque l’on a finalement réussi à joindre mes parents pour leur dire que l’on était sain et sauf, que l’on a pris toute la mesure des événements : l’accident nucléaire, les ravages causés par le tsunami et tout le reste.
Photo via Flickr user Laura Tomàs Avellana

Mon amour pour les bouillons japonais est infini — il remonte à l'époque où j'habitais avec ma femme au Japon, en 2011.

Le 11 mars de la même année, aux alentours de 14h45, on a ressenti les premières secousses de ce qui allait être à l'origine d'un tsunami et de l'accident nucléaire de Fukushima : un violent séisme de magnitude 9. J'étais encore chez moi à cette heure-là car une gueule de bois monumentale m'avait dissuadé d'aller faire le touriste en bord de mer, comme prévu à l'origine.

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Les jours précédents, une série de petits tremblements de terre de quelques secondes à peine s'étaient déjà fait ressentir dans les environs. Mais cette fois-ci, tout semblait interminable. Cet après-midi-là, les secousses, d'une violence inouïe, augmentaient de manière exponentielle. Je me rappelle avoir tout de suite couru hors de chez moi, vers un espace à découvert. J'ai aussitôt aperçu un groupe uniforme constitué de plusieurs dizaines de personnes en état de panique avancée. Je les ai instinctivement rejoints pour attendre avec eux que la violence des secousses diminue.

À l'époque on vivait à Sendai, dans un studio avec des shōji, ces cloisons en papier de riz comme on en voit dans les films. Pour aider à chauffer la maison les jours où il faisait très froid, je cuisinais du dashi tout au long de la journée. Je commençais à préparer le bouillon dès l'heure du déjeuner et je le laissais mijoter jusqu'au dîner pour qu'il soit bien concentré en saveurs. Pour le dîner, on se nourrissait principalement de nabe, un plat traditionnel japonais très réconfortant à base d'un bouillon très riche.

Les jours qui ont suivi la catastrophe, on n'a pas vraiment pris conscience de la gravité du tremblement de terre. Il nous paraissait normal de surmonter cette épreuve en restant sur place. Chaque jour, on écoutait les infos à la radio japonaise en attendant que nos téléphones finissent de charger depuis un groupe électrogène. Malgré tous nos efforts pour saisir le sens des mots qui s'échappaient du poste, ce n'est que lorsque l'on a finalement réussi à joindre mes parents pour leur dire que l'on était sain et sauf, que l'on a pris toute la mesure des événements : l'accident nucléaire, les ravages causés par le tsunami et tout le reste.

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FAITES-LE : La recette de bouillon dashi de Kyle Itani

On était logé dans le gymnase de l'université locale, transformé en abris de fortune et on survivait en se nourrissant quotidiennement d'une moitié de pomme Fuji et de quelques crackers. On était un peu gêné car on avait l'impression de voler de précieuses ressources à la population locale qui en avait plus besoin que nous.

Une semaine après les évènements, on décidait finalement de quitter le Japon pour aller s'installer en Californie, à Oakland, là où j'ai ouvert mon premier restaurant de cuisine japonaise sur le sol américain.

Sur le plan gastronomique, la ville d'Oakland s'est considérablement dynamisée ces dernières années grâce à quelques très bons cuisiniers qui ont fait le choix d'ouvrir des établissements ici plutôt qu'à San Francisco. Je prévois d'ailleurs bientôt d'ouvrir un second restaurant monoproduit, spécialisé dans les ramen.

Car si vous voulez manger des ramen à Oakland ou à San Francisco, le choix est plutôt limité. Il y a quelques endroits à San Mateo et dans le Sud de la Baie, mais très peu à l'Est de la Baie. Les meilleures ramen du coin ne sont servies que le midi au Iyasare, à Berkeley. On y mange aussi un bon porc Char siu dans son bouillon. La clé pour réussir des ramen selon moi c'est de faire super-attention à chaque ingrédient que tu fous dans le plat.

Beaucoup de personnes pensent que la cuisine japonaise se limite aux sushis et aux ramen, mais il faut savoir que chaque région du Japon possède sa propre manière de les préparer. Quand je traîne avec d'autres chefs californiens et que je leur dis que je fais de la cuisine japonaise, ils s'imaginent d'ailleurs que ma carte n'est composée que de sushis. Je pense que si ma cuisine était italienne, par exemple, ce serait différent et ils me demanderaient plutôt quelle région d'Italie en particulier a influencé ma façon de cuisiner.

La cuisine régionale japonaise est encore trop peu méconnue en occident. Avec mon nouveau projet, j'ai envie d'explorer cette diversité culinaire : j'aimerais, par exemple, changer régulièrement la base des bouillons de mes ramen comme certains pubs changent la carte des bières. J'ai envie de mettre en avant ces bouillons clairs et consistants à base de poisson ou de poulet que je préfère aux bouillons tonkotsu aux os de porc que l'on trouve un peu partout.

Quand on pense aux ramen, on imagine un plat très copieux et hyper-réconfortant. Mais tous les ramen n'ont pas vocation à défoncer le bide de celui qui le mange. En fait, ça peut même être un plat léger et sain, qui ne met pas obligatoire K.O pour le reste de la journée. J'ose espérer qu'avec un peu de chance dans les années à venir, les ramen deviendront aussi populaires que les sushis.

Depuis l'épisode assez traumatisant du tremblement de terre, on retourne à Sendai chaque année avec ma femme. Il y a un tel pouvoir de résilience à l'œuvre chez les habitants de la région que pour nous c'est — et cela restera toujours — une vraie source d'inspiration.

Propos recueillis par Javier Cabral.