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Culture

Speedrunner : rencontre avec un olympien de la console

On roulait sur la 20 ou la 40 (je ne conduis pas alors elles sont toutes pareilles pour moi, les autoroutes), mon chum JeanJean et moi, en direction de chez Bismuth, alias Gabriel Girard, à Notre-Dame-de-l’Île-Perrot.
Crédit photo: Jeanbart

– C'est cliché, mais je te gage un 10 $ qu'il habite chez ses parents.
– Probablement, sinon pourquoi il habiterait dans ce coin-là? Tu l'interviewes pourquoi?
– C'est un speedrunner.
– …
– C'est un gars qui joue au même jeu des millions de fois en essayant de le finir le plus rapidement possible. Un genre d'olympien de la console. Lui, sa discipline principale, c'est Donkey Kong 64 et il est le sixième au monde.
– Wow, très fou!

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Si je me souviens bien, la première fois que je suis entré en contact avec le speedrun, c'est avec cette vidéo, que je dois avoir vue en 2004, 2005. Elle montre un japonais nommé Morimoto qui finit Super Mario 3 en un peu plus de 11 minutes.

Ça m'a pris longtemps par la suite avant de découvrir qu'il s'agissait d'un TAS, un « Tool-Assisted Speedrun », chose dont j'ignorais l'existence jusque-là. J'me suis senti trahi.

En arrivant chez Bismuth, on s'est retrouvés devant un gars terre à terre de 24 ans, qui nous a parlé de ses études en mathématiques, de sa job dans un écocentre et de la connotation péjorative du mot gamer.

« D'habitude, j'évite un peu de parler que je fais du speedrun. Y a déjà des préjugés quand tu dis que t'es un gamer, les gens pensent que tu fais juste ça de ta vie. Si en plus je dis que j'essaye de finir des jeux le plus rapidement possible, les gens s'imaginent que je porte des couches », explique-t-il.

Bismuth nous raconte ses débuts lointains dans l'univers du jeu vidéo et du speedrun : « Je joue depuis que j'ai deux ans. Mon père est programmeur et il jouait à Donkey Kong 64 pour se relaxer. Il avait fini le jeu à 101 % en 13 h 42 min sans vouloir le faire rapidement. J'avais huit ou neuf ans et j'essayais de finir le jeu plus rapidement que lui. J'ai réussi à 11 ans en 12 h environ. Ensuite, je suis tombé sur The Elite, le site de speedrun de Golden Eye et sur la page de Super Mario 64 de Curtis Bright. Je l'ai ajouté sur MSN, on a jasé et j'ai essayé de battre les records. J'ai réussi à égaler le record de la glissade de Peach, on devait être cinq avec le même temps. Les autres étaient tous des speedrunners populaires de l'époque. »

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Aucun doute, l'internet a joué un rôle majeur dans la popularité grandissante du phénomène. Parce qu'il y a une différence entre être le meilleur dans ses amis et pouvoir se comparer au reste du monde. Et apprendre avec des experts mondiaux a fait toute une différence.

« J'aime voir un speedrun d'un jeu devenir de plus en plus optimal, même si je n'y ai pas participé. On est une communauté assez tissée serré. Je dirais que 90, 95% des gens s'entraident et le but global, c'est de faire descendre le temps », raconte Bismuth.

Évidemment, avec la popularité grandissante du eSports et des plateformes de streaming comme Twitch, on ne peut pas négliger les facteurs comme l'argent et la fame.

« Il y a quatre facteurs qui peuvent faire que tu gagnes ta vie avec ça. Ça prend du charisme, un jeu populaire, être un des meilleurs et streamer régulièrement. C'est possible de faire de l'argent sans avoir les quatre, mais ceux qui ont les quatre sont au top. Il doit y avoir entre 5000 et 10 000 speedrunners actifs, là-dessus, il y en a environ 400, 500 qui sont partenaires Twitch et seulement 30, 40 qui peuvent en vivre », affirme-t-il.

Pour sa part, Bismuth ne pense pas avoir le charisme nécessaire. Il se concentre donc à être constant. Il fait une run dès qu'il en a envie. Mais pour le « 101 % » de DK64, ça prend 6 h, donc c'est différent, il doit y penser quelques jours d'avance.

« Il faut que je me lève tôt, que je mange et que j'aille à la toilette pour être prêt à passer six heures d'affilée sans bouger. La plupart des runs de six heures et plus sont des RPGs, qui sont des jeux avec plusieurs cinématiques de quelques minutes, et tu peux te lever dans ces moments-là. Dans DK64, la plus longue pause avant la dernière demi-heure est de 44 secondes. En plus, la toilette est en haut et j'ai déjà fait le test, je n'ai pas le temps d'y aller. Au niveau où je suis rendu, c'est fatigant parce que mon temps est assez bon que si je fais une grosse erreur, ça vaut plus la peine de continuer », dit-il.

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Bismuth a beau être modeste, il a quand même eu ses heures de gloire lors du marathon Awesome Game Done Quick de 2014 :

« Personne n'avait pensé à speedrunner Minecraft à l'époque. Moi, je le faisais, et j'avais développé de nouveaux trucs que j'ai réussi à mettre en pratique là-bas. J'ai donc fait le record du monde devant une audience record, soit 110 000 personnes qui regardaient via Twitch. Encore aujourd'hui, je me fais reconnaître assez fréquemment dans presque tous les chatrooms de Twitch. »

J'ai demandé à Bismuth s'il avait des conseils à donner à ceux qui voudraient se lancer dans le speedrun de façon sérieuse.

Il m'a expliqué qu'avant de s'attaquer à une speedrun pour un nouveau jeu, il regarde d'abord les tutoriels. Ensuite, il divise la run en sections et les pratique chacune leur tour. « Mais surtout, soyez patient, c'est l'essentiel. Faut être prêt à vivre l'échec parce que plus t'approches la perfection, plus tu échoues », observe-t-il.

Bismuth au piano

Quand on a quitté Bismuth, il était installé à l'un des deux pianos du salon familial, jouant la douce mélodie de Saria's Song, qui m'a rappelé les nombreuses heures passées dans Zelda: Ocarina of Time il y a de ça plusieurs années.

Jeanbart est sur Instagram.