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Modern Warfare 2 doit être un chef d’œuvre, il n’a pas le choix

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Chier sur Call of Duty c’est un peu comme chier sur le foot (« Des millionnaires qui tapent dans un ballon…») ou la Saint-Valentin (« C’est une fête commerciale…») : les chieurs pensent démontrer ainsi leur bon goût, leur élégance, leur préférence pour les choses nobles de la vie comme Orelsan ou Tarantino. Souvent, ces gens sont aussi persuadés plus ou moins consciemment qu’un être humain vaut autant que ses préférences artistiques et culturelles. (On les détecte aisément quand ils utilisent l’expression « plaisir coupable ».) Aficionados prétentieux de platformers indépendants et de Disco Elysium, écoutez et jugez-moi : je trépigne d’impatience à l’idée de mettre des centaines d’heures dans Modern Warfare 2.

La bande-annonce de gameplay dévoilée le 6 juin dernier laisse peu de place au doute. Modern Warfare 2 proposera selon toute vraisemblance la même chose que son illustre prédécesseur Modern Warfare, en mieux : des animations encore plus réalistes, des armes encore plus percutantes, des mouvements toujours plus variés. Autrement dit, une énième variation sur le thème de « cliquer sur des têtes ». Pas de velléité de révolution ou de choses fatigantes de ce genre. Tant mieux. Je fête bientôt mes 31 ans, je n’ai pas assez d’énergie pour apprendre de nouveaux tours. Comme un saumon, je vais bientôt être appelé à répandre ma laitance dans les courants froids et puis mourir. Je veux m’amuser, vite.

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Je vous sanglote dans les bras comme ça car je me sens souvent triste et fatigué devant mon ordinateur. Il me semble que beaucoup de jeux font peser le poids de leurs « innovations » sur leur public. Prenons Doom Eternal, qui gonfle son gameplay au synthol en forçant les joueurs à tronçonner, glacer ou incinérer les mobs toutes les 15 secondes pour de la santé. Résultat : on a vite la sensation de se faire tasser les vertèbres par un train fantôme dirigiste et emmerdant. D’autres jeux semblent partir du principe que nous avons tous des plages de loisir de quatre heures minimum. C’est faux, et la perspective de ne pas avoir le temps de boucler une seule petite quête secondaire me retient souvent de lancer Cyberpunk 2077 ou Red Dead Redemption. Heureusement, COD est là.

De par le torrent sensoriel qu’il entraîne, un deathmatch au fusil à pompe sur Shipment sera toujours une excellente façon de calmer les passions.

Comme ses dix-neufs prédécesseurs et un certain nombre de drogues dures, Modern Warfare 2 sera sans doute conçu pour apporter une satisfaction quasiment instantanée et inconditionnelle aux joueurs. Certains critiques de jeux vidéo à la grille de lecture sociologique décrieront probablement cette approche comme un symptôme de notre époque obsédée par la rapidité et la performance. Sans leur donner tout à fait tort, je préfère la percevoir comme un élan de magnanimité : Call of Duty prend acte de nos vies frénétiques et nous permet de nous amuser vite-fait-bien-fait pendant les quelques dizaines de minutes de liberté qui surnagent dans nos journées bouffies de travail et d’emmerdements.

Avec son gameplay conçu pour être frénétique mais pas trop (Quake est trop rapide pour intéresser qui que ce soit d’autre que les tarés), Call of Duty combat le feu par le feu. Cette observation vaut autant pour les salariés rendus fous par le manque de loisirs que pour les lycéens débordants de jus : de par le torrent sensoriel qu’il entraîne, un deathmatch au fusil à pompe sur Shipment sera toujours une excellente façon de calmer les passions. Ce remède demeure alors que passe le temps et tombent les cheveux. Normal que les développeurs de Modern Warfare 2 semblent avoir à cœur de rendre leur jeu encore plus intense (comme indiqué par cette flashbang au bruit absolument ridicule) : un tel foutoir fait forcément oublier un peu la réalité.

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Abstraction faite des accès de rage qu’il est susceptible de déclencher, Call of Duty peut ainsi être décrit comme un doudou pour beaucoup de gens. Une portion non-négligeable de « millennials » ont grandi avec cette licence. Pendant la crise économique mondiale de 2008 (« Quand le K/D était plus important que le prochain repas chaud. ») avec le premier Modern Warfare 2 comme pendant les années COVID avec Warzone, elle a semé un peu de bonheur et de fraternité dans le cœur des mâles soi-disant toxiques et désœuvrés de notre époque. Pas d’études, pas de travail, pas de futur, pas de thunes… Mais même au milieu de la pire tempête, il reste les lobbies ultra-vulgaires et agressifs de Call of Duty. Par hasard, Modern Warfare 2 devrait arriver juste à temps pour la prochaine grande récession.

Les fans veulent toujours la même chose, certes, mais en mieux.

Le souci, c’est que ce mélange de circonstances propices au gaming, de nostalgie extrême (le Modern Warfare 2 de 2022 est un remake du Modern Warfare 2 de 2009, qui est largement considéré comme le meilleur opus de la licence) et de public de plus en plus exigeant peut engendrer un miracle comme une catastrophe… Et à peu près n’importe quoi entre les deux.

Examinons les scénarios envisageables. Le prochain Call of Duty peut nous faire une Battlefield 2042 en sortant trop tôt, ce qui ruinerait probablement la réputation de la licence. Il peut aussi être une réussite éclatante, une œuvre fignolée à laquelle personne ne trouvera rien à redire, ce qui est fort peu probable. (On n’oublie pas la première semaine de Modern Warfare avec le 725 et les claymores ultra-puissants.) Il peut aussi se transformer en Overwatch 2 en ne proposant qu’une pâle resucée de son illustre prédécesseur. Trois ans après sa sortie, Modern Warfare profite encore des animations et du sound design parmi les plus avancés de l’industrie. Marcher derrière un tel géant inspire nécessairement une certaine peur d’innover.

Les fans veulent toujours la même chose, certes, mais en mieux. Alors que les années défilent et que le futur noircit comme une banane qui pourrit, c’est ainsi qu’ils réclament les émotions de leur jeunesse en dissolution. C’est tout le drame de Modern Warfare 2 et de tous ces futurs descendants : le réalisme des graphismes et le bruit des grenades a moins d’importance que les souvenirs de rigolade dans ces fameux lobbies ultra-vulgaires et agressifs de Call of Duty. Faire un « bon » épisode dans la licence est une affaire autrement plus délicate qu’une série de questions techniques. Les jeux indépendants peuvent marquer eux aussi, certes, mais pas comme ça, pas autant. Il faut bien le souligner : leurs fans ont toujours l’air d’avoir moins de potes et de moins s’amuser que les amateurs de Call of.

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En attendant, j’ai quand même quelques demandes à transmettre aux développeurs de Modern Warfare 2 :

  • Plus de skins militaires et policiers réalistes pour les personnages et moins de costumes clignotants ou fumants débiles. Je me fais un devoir de bolosser les gens qui utilisent le skin Scream.
  • Un Desert Eagle au moins aussi réussi que celui de Modern Warfare. Les headshots sont bien trop agréables avec ce terrible engin. 
  • Vous pouvez mettre un MP5 et un fusil de chasse mais équilibrez-les avant la sortie, pas six mois après, ce serait vraiment sympa de votre part. 
  • Plus de mires ouvertes et limpides comme celles du Desert Eagle, justement, ou celle du canon Archangel pour la GRAU. 
  • Un mode coopératif un peu mieux considéré que celui de Modern Warfare.
  • Le retour du mode escarmouche. 
  • Aucune map multijoueur aussi pourrie que Hackney Yard. Ce truc est une véritable torture. OK pour proposer autre chose que les trois lignes, mais pas pour faire un truc insensé à la place. 
  • Par pitié, faites que Warzone 2 reste exclusif à Modern Warfare 2. L’intégration avec Cold War puis Vanguard ont ruiné Warzone et (un temps) Modern Warfare, ne répétez pas cette erreur.

Note : si vous êtes blessé ou fâché de quelque façon que ce soit par cet article, ajoutez-moi sur Modern Warfare : Pissoffcake#2669. Je serais ravi de vous détruire à l’AX-50 en 1v1 sur Rust ou Shipment.

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