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Mon enfance à l’école des millionnaires français

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Lors de mon premier jour de rentrée, un hélicoptère se pose sur la pelouse du stade de l’école, le fils d’un grand producteur de cinéma français débarque comme s’il avait fait ça toute sa vie. Quelques instants plus tard, un Hummer H2 jaune fluo fait son apparition, cette fois ce sont des Turcs, la famille d’un magnat de l’hôtellerie.

Moi, je viens tout droit d’un village d’Ile-de-France. Ma mère m’a emmené aux Roches en Clio et mes chemises d’uniformes flambant neuves ont été achetées à C&A. Après une année de sixième chaotique dans un collège public médiocre, mes parents avaient décidé de m’envoyer dans cette école pour enfant BCBG. Venant de la classe moyenne supérieure française, m’inscrire dans cet établissement représentait un énorme coût pour mes parents. Ils hésitaient, pensant que c’était avant tout pour mon bien. J’étais dans un collège de banlieue et clairement j’étais une victime. Ils voulaient me mettre dans un lieu où rien ne pourrait m’arriver, en gros.

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Aller aux Roches c’était faire le grand écart. Je n’oublierais jamais ce sentiment tenace des premiers jours à l’internat : j’étais Jacquouille La Fripouille propulsé dans une annexe du XVIe arrondissement de Paris. Il faut dire que le décor est impressionnant. L’école est située dans un écrin de nature normande, entouré de champs à perte de vue. Les quelque 300 élèves sont logés dans de vieilles bâtisses réparties sur 60 hectares. Elles portent des noms « bucoliques » : la colline, le moulin ou encore les pins. Tout le monde porte fièrement le blason de sa maison sur le revers de sa veste de blazer. Le campus est tellement vaste que certains élèves doivent prendre un bus le matin et le soir pour se rendre en cours. On y trouve des terrains de tennis, une piscine, un théâtre, une piste de karting et des cours d’équitation ou d’aviation sont même proposés. Au départ, je pensais avoir atterri dans un Club-Med de luxe encadré par des G.O coincés du cul.

Au premier abord, je me suis dit : « c’est l’école de l’élite mondiale ». On y croise des jeunes du monde entier venu goûter à l’éducation et la culture française. Dans les salles de cours, on y entend le chinois, l’arabe, le russe. Il y a plus de brassage ethnique qu’à Roissy. C’est génial d’appartenir à ce monde multiculturel, ouvert…classe.

On se rend ensuite compte que sans surprise, c’est l’école des “fils et filles de ». Tes camarades te demandent ce que font tes parents avant même de prendre la peine de connaître ton prénom. Avec un père petit commerçant de quartier et une mère médecin dans les Yvelines, je suis nettement moins intéressant que la fille Taittinger ou Azzaro. Alors comme les autres enfants qui ont des parents banals, j’invente des histoires pour ceux qui ne me connaissent pas. En quelques mois, une légende est née. Je suis devenu le fils d’un grand couturier, certains gosses habitués à la compagnie de stars ont tout gobé. Pour s’intégrer, d’autres sont allés beaucoup plus loin dans les mythos.

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Petit à petit, j’apprends les codes de ce monde. Les marques qu’il faut porter, les stations de ski à la mode, et les cafés où tu payes 10 balles ton coca. Au fil des mois, je fais la connaissance d’enfants de dictateurs, de proxénètes ou d’acteurs dans l’air du temps. Au milieu de ma quatrième, le fils d’un dictateur africain qui vivait dans ma maison disparaît. Une tentative de coup d’État était en cours dans son pays. Le soir, on suivait au JT l’évolution du massacre. Après un an, je n’étais plus surpris de voir certains enfants, venant de ces pays au bord de l’effondrement, une nouvelle valise Louis Vuitton à la main. L’oseille était partout. Un soir, nos « chefs de maisons » nous ont convoqués, une liasse de plusieurs milliers d’euros a été retrouvée. On avait 13 ans et tout ça me paraissait presque normal.

« Un de ces soirs déprimant, une élève a fait un coma éthylique à quelques mètres du point de rendez-vous, avenue Foch. Je l’ai seulement revu des années plus tard, à la télé, quand elle a participé à Secret Story »

À la longue, le déballage obscène de fric me donnait la gerbe. L’argent, l’argent, l’argent. C’est ce qui va déterminer en partie avec qui tu vas devenir pote, qui tu vas pécho. Une forme de darwinisme social en somme. Difficile de brouiller les pistes, les autres n’hésitent pas à retourner le t-shirt que tu portes pour regarder l’étiquette de tes fringues du jour, et s’assurer que c’est de la marque.

Je suis resté trois ans dans cette bulle de luxe et de mauvais goût. En grandissant, j’ai compris que la plupart des enfants ont été envoyés là, car leurs parents étaient trop importants pour s’occuper de leurs progénitures. Un pote à moi passait carrément ses vacances en famille d’accueil, comme si c’était un enfant de la DDASS. Au fond, pas grand-chose ne sépare ces gosses de riches des plus pauvres de France. Ils ont à peu près les mêmes problèmes : parents démissionnaires, drogues en tout genre, déprime. Ils ont juste le compte en banque pour compenser. D’ailleurs, les profs ou intervenants s’en rendaient vite compte, on était des sales gosses, et en cours on foutait parfois un bordel digne d’un lycée public.

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Plus on grandissait, plus l’ambiance devenait malsaine. En troisième, plusieurs potes frôlent l’overdose après avoir gobé une dizaine d’antidépresseurs chacun. Ils se sont fait griller quand l’un d’entre eux s’est écroulé en cours, inanimé. Quelques heures de plus avec cette merde dans le ventre et ils y passaient tous. Mais le moment le plus sinistre de la semaine, c’était clairement le dimanche soir pour le retour aux Roches. Pas un bruit dans le bus, les gens tiraient des gueules sinistres. Cette impression de retourner au bagne. Le poppers tournait au fond du véhicule. Un de ces soirs déprimant, une élève a fait un coma éthylique à quelques mètres du point de rendez-vous, avenue Foch. Je l’ai seulement revu des années plus tard, à la télé, quand elle a participé à Secret Story.

De manière générale, l’ennui, l’autorité et les règles absurdes nous poussaient à redoubler d’imagination en termes de conneries. Un de mes potes, s’était fait une spécialité de chier par la fenêtre de notre chambre, ou d’écrire son nom sur les murs avec un petit bout de crotte qu’il avait minutieusement ramassé. Je garde un souvenir tendre de ces quelques moments où on pétait un peu les plombs. Les premières séances de chope, interminables, dans les champs au printemps sont gravées dans mon cœur, tout comme les premières cigarettes fumées en cachette sur le toit de notre maison au milieu de la nuit.

Mais jamais je n’enverrai ma marmaille dans cet endroit. À force de tremper dans cette thune en vase clos, dès le plus jeune âge, on grandit avec la vague impression que la notion même d’argent n’existe plus tellement elle est omniprésente. Après quelques années, on finit par penser qu’être pauvre c’est ne pas avoir de Gucci au pied, sans même imaginer que ça représente le salaire mensuel de beaucoup de gens. Cette école nous rend complètement inaptes à vivre dans le monde extérieur. Comme des animaux en captivité, on ne sait pas se démerder tout seul, la confrontation avec le monde extérieur est violente. Il n’y a finalement qu’une échappatoire pour une bonne partie de cette jeunesse dorée : que leur famille subvienne à leurs besoins. Parmi mes anciens camarades, l’un s’est enrôlé dans l’armée Israélienne, un autre a ouvert un golfe de luxe avec l’argent de ses parents ou encore obtenu un rôle dans La Vérité si je mens 4. Pour le moment ça vaut aussi pour moi.

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