MONTRÉAL – 2e PARTIE – GRUESOMANIA


Deuxième partie de la rencontre canadienne entre le leader des Breastfeeders et son groupe garage fétiche, les Gruesomes. C’est Vice Québec qui a eu la brillante idée d’organiser l’interview, d’une part parce que du coup ils n’ont absolument rien eu à faire, et de l’autre parce que les Breastfeeders ont fait la première partie du groupe culte jeudi dernier. C’est aussi parce que Luc des Breastfeeders est 100 000 fois plus au courant que tout le monde sur ce genre de petits détails inutiles tels que “J’ai lu quelque part que la scène hollandaise vous intéressait” (C’est un vrai exemple même pas inventé en plus.) L’entretien a été divisé en trois parties et a été laissé tel quel, parce qu’on ne pouvait pas couper ce genre de passage nerd indispensable. Et le reste est du même tonneau.

Est-ce que c’est à cette époque que débutent les légendaires
Voodoo B-B-Q avec entre autres Déjà Voodoo et Ray Condo dont le
Tout-Montréal parle encore?

BB : Oui, il y en a eu de 1985 à 1989.

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Ça avait lieu dans quel genre d’endroits?


JD : Dans des endroits de 1000-1200 personnes, à la salle paroissiale St-Denis, au Palladium et même au Spectrum.

BB : Gérard et Tony (Déjà Voodoo) voulaient que les gens arrivent
tôt pour voir tous les bands et que personne ne sorte pour aller
manger, alors ils achetaient des quantités phénoménales de hot-dogs, de
steaks, d’ailes de poulet, etc. Et tout le monde arrivait et bouffait
comme des cochons et restait toute la soirée.

JD : Des gars dansaient devant la scène avec des ailes de poulet!

Est-ce à l’époque du premier album que vous commencez à jouer au Canada, d’un océan à l’autre, et aux États-Unis?

JD : Ontario, New York, Portland, mais à part ça, c’est plutôt au deuxième album qu’on a commencé les longues tournées.

Est-ce que c’est le fait d’avoir fait paraître un clip avec la pièce Way Down Below (extrait du deuxième album, Gruesomania, paru en 1987) qui vous a ouvert plus de portes?

JD : Oui, même si LE clip qui nous a fait connaître c’est le clip de Hey!.
Mais même avant d’avoir un premier album, toutes les fois qu’on allait
jouer à Toronto, Much Music nous invitait pour faire des interviews;
les Torontois et Much Music tripaient vraiment sur nous.

BB : En 1986, c’était le début de Much Music et c’était donc le
début de l’image, l’image qui devenait presque aussi importante que la
musique. Et nous, contrairement aux autres artistes canadiens, on avait
un look, on avait une image, notre gimmick était un bon visuel, et on
répondait toujours aux questions en blaguant, sans se prendre au
sérieux, en grossissant tout, on faisait tout un show! Y avait des
critiques qui nous accusaient d’être rétrogrades et de sonner comme les
13th Floor Elevators (comme si c’était négatif!), mais nous au moins,
on avait un look, on proposait une image et dans le fond on était en
avance. Much Music avait besoin de bands comme nous!


C’est avec Gruesomania qu’on voit l’arrivée de John Knoll. Pourquoi un nouveau batteur?


JD : Après un an de concerts et de tournées, Éric a décidé de
quitter le groupe, il commençait à trouver que ça devenait too much et
trop compliqué. Et puis John Knoll, lui, il était bon, il avait joué
avec plein de groupes de différents styles.

BB : Oui mais il jouait trop parfaitement. On lui disait « non, plus
simple! Plus carré! Moins de kick! » et il répondait « Quoi? Vous
voulez vraiment que je fasse seulement bang-bang-bang? » et on criait «
That’s it! Comme ça! Bang-bang-bang! »

JD : Ça a changé notre son. Pour le mieux. Avec lui on pouvait se
permettre de faire des trucs plus harmonieux, plus rock, plus R’n’B.
BB : Ouais, on tripait vraiment R’n’B. En tournée, dans la van, on
écoutait toujours du R’n’B, presque pas de garage : Ray Charles, les
chanteurs louisianais, ceux de Stax aussi. Avec John Knoll, on est
devenus plus éclectiques.

C’est aussi sur Gruesomania que nous entendrons, avec votre reprise de Je cherche (des Lutins), les Gruesomes chanter en français pour une unique fois. Écoutiez-vous beaucoup de yéyé à l’époque?

JD : Oh, oui! Tous les bands : les Misérables, les Hou-Lops,
les Sultans, les Sinners, etc. On avait un ami qui avait toute une
collection de garage québécois et qui nous faisait des cassettes… Je cherche, c’est LA réussite québécoise des sixties!

BB : Moi, j’en ai beaucoup joué, plus tard dans les années 90, avec Platon et les Caves… Misérablement vôtre, Antoine et les Problèmes…

Lors de vos tournées, avez-vous joué avec des groupes garage cultes?

JD : Oui, avec tout le monde : les Chesterfield Kings, les Pandoras,
les Fuzztones, les Vipers… les bands de la côte ouest aussi, les Tell
Tales Hearts, toute la bande de Mike Stax… Mais tu sais, ces
groupes-là, ça a peut-être l’air légendaire aujourd’hui, mais ils
n’avaient pas nécessairement de grosses foules à leurs shows…

BB : À Montréal, on a aussi fait plein de premières parties de
groupes qu’on appelait dans le temps « alternatifs » comme Jesus and
Mary Chain. Quand une grosse pointure « alternative » venait en ville,
c’était nous que les promoteurs appelaient en premier.

Y avait-il des bands parmi ceux-là avec qui vous vous entendiez particulièrement bien? C’était qui les cools? Les bad-ass?

BB : On s’entendait bien avec tout le monde, mais on a moins aimé
les Fuzztones… J’étais vraiment jeune et les Fuzztones, moi, ils me
faisaient peur! Ils ne riaient jamais, ils avaient vraiment la grosse
attitude « monstres sacrés du rock’n’roll », ils étaient vraiment «
sex, drugs and rock’n’roll »!

Vous n’étiez donc pas « sex, drugs and rock’n’roll » vous-même?

BB : Malgré nos airs de sortir tout droit des comic books, on
était vraiment sérieux. On travaillait très fort, on voulait faire des
bons shows, on montait pas très saouls sur scène. Shit! On était
presque des nerds! On buvait pas beaucoup, on était très jeunes, même
qu’on ne savait pas trop quoi faire avec toute la bière qu’ils nous
donnaient!

JD : Mais l’avantage de ça c’est que dans le reste du Canada, il n’y
a pas d’alcool dans les dépanneurs et les épiceries, seulement dans les
liquor stores, alors, quand on arrivait avec 4 caisses de 24 dans la
van, c’était vraiment facile de se faire inviter chez les gens! On
devenait quand même les rois du party!
C’est en 1988 que sort votre troisième album, Hey!. Le clip de
la pièce titre va jouer énormément à Much Music et à Musique Plus.

À cette époque, même les gens qui n’avaient jamais entendu parler de
sixties punk ou de garage ne peuvent plus ignorer votre existence…

JD : Avec le clip Hey!, c’était vraiment l’âge d’or des
Gruesomes. C’est à partir de ce moment-là qu’on jouait toujours dans
des concerts à guichets fermés partout au pays! Je me souviens que si
on se promenait dans une rue de Winnipeg, par exemple, toutes les
filles criaient « C’est les Gruesomes! C’est les Gruesomes! » et se
jetaient sur nous! En Saskatchewan, on créait presque des émeutes!

BB : GRUESOMANIA!

J’ai souvent lu que le clip Hey! avait été influencé par les Monkeys. Est-ce si vrai que ça?

BB : Bien sûr, on aimait vraiment ce qu’avaient fait les Monkeys à la
télé. Tout ce côté « comédie », cool et pas sérieux. Mais les Beatles
le faisaient avant eux… A Hard Day’s Night… les Beatles nous on influencé aussi.

À l’époque, aviez-vous des subventions pour faire des clips, des tournées?


JD : Non, on a fait Hey! en super 8, avec à peu près
2000 dollars. On n’avait pas de subventions comme les groupes
d’aujourd’hui. Pour les tournées et le reste, on a eu des gérants de
temps en temps qui nous aidaient un peu. On a eu aussi des amis qui
nous aidaient parfois pour conduire la van de tournée, mais c’était
pour le plaisir du voyage, il n’y avait pas de paye… On faisait pas mal
tout nous-mêmes. Booking, loading, conduite du truck…

Tiens, une petite question pour le plaisir : sur l’album Hey! , il y a un cover du groupe hollandais The Outsiders (Won’t you Listen). Dans un vieux fanzine de 1986 (Lost Mynds,
no.1), dans un « Fab Facts » où vous répondez à des questions sur ce
que vous aimez et détestez, Éric Davis écrit dans ce qu’il n’aime pas :
« John’s dutch music »… John, étais-tu réellement un gros fan de
groupes hollandais comme ces Outsiders ou les Golden Earring?

JD : Oui, un gros fan! Ils avaient vraiment un bon gros son! On faisait
beaucoup de covers hollandais au début, dont les Q 65 dont on a déjà
parlé. Dès l’âge de 15 ans, j’étais un fou de vinyles et j’en achetais
de bands de partout dans le monde.

Une partie de cette entrevue sera diffusée chaque jour jusqu’au
jour du spectacle. Les Breastfeeders seront en concert avec les
Gruesomes le 29 mai au Café Campus.

ENTREVUE RÉALISÉE PAR LUC BRIEN
PROPOS RECUEILLIS PAR ÉRIC LA BÊTE ROUGE