Mort de Zyed et Bouna : relaxe définitive pour les deux policiers

Ce lundi 18 mai, le tribunal de Rennes a relaxé les deux policiers poursuivis pour « non-assistance à personne en danger » après la mort en 2005 de deux adolescents originaires de Clichy-sous-Bois, en région parisienne. Ils étaient montés sur un transformateur électrique pour échapper à la police. Au coeur de l’affaire, la responsabilité des deux membres des forces de l’ordre dans le drame. La question posée était celle de savoir s’ils auraient pu prévenir les adolescents à l’abri du danger.

Dix ans après les faits, les deux gardiens de la paix, Sébastien Gaillemin et Stéphanie Klein, risquaient jusqu’à 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende, alors que les familles réclamaient 1,6 million d’euros de dommages et intérêts. Le tribunal ayant prononcé la relaxe, comme cela avait été réclamé par la défense et le parquet. Aucun appel ne serait techniquement possible.

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Un des avocats des familles, Maître Jean-Pierre Mignard a qualifié la décision du tribunal de « choquante pour les parties civiles. » 

Le syndicat SGP-Police a accueilli avec une « grande satisfaction » la relaxe des deux policiers comme l’a exprimé son porte-parole, Nicolas Comte.

Le 27 octobre 2005, Zyed Benna et Bouna Traoré, respectivement 17 et 15 ans, sont morts électrocutés dans un générateur EDF, où ils avaient trouvé refuge, alors que des policiers les avaient mis en fuite alors qu’ils jouaient sur un chantier.

À lire : Il y a dix ans, deux jeunes se cachaient sur un transformateur électrique

La mort des deux adolescents avait lancé une vague d’émeutes de trois semaines dans des centaines de villes françaises.

La décision de ce lundi met un terme à près de 10 ans de bataille judiciaire. Après un appel perdu en 2011, la Cour de cassation donne en novembre 2012, un dernier espoir aux familles des deux jeunes adolescents et dépayse le procès à Rennes.

Cet ultime chapitre breton devait permettre de déterminer si les policiers jugés avaient conscience du danger que courraient Zyed et Bouna lorsqu’ils se sont introduits dans le générateur EDF et si les policiers avaient consciemment omis de prévenir les secours en amont de l’accident. Les deux versions qui s’opposaient lors de ce procès se sont cristallisées autour d’un échange radio entre Sébastien Gaillemin et Stéphanie Klein, ce 27 octobre 2005. Lors du procès le contenu de cet échange a été donné :

« Je pense qu’ils sont en train de s’introduire sur le site EDF… Il faudrait ramener du monde, qu’on puisse cerner le quartier quoi… Ils vont bien ressortir… En même temps, s’ils entrent sur le site EDF, je ne donne pas cher de leur peau…» lance Gaillemin dans son talkie-walkie à l’adresse de sa jeune collègue, stagiaire à l’époque des faits.

Pour les parties civiles, cet extrait des communications radio de la police prouve que les policiers étaient conscients du danger qu’encourraient les jeunes et que Gaillemin aurait dû les alerter. Pour Maitre Tordjman, un des avocats des familles, « C’est le minimum d’humanité qu’on peut attendre d’un policier. Mais le problème, c’est que, jusqu’au bout, ce qui a prévalu chez lui, c’est une logique d’interpellation, » déclare-t-il lors du procès.

Du côté de la défense et du parquet, cet échange radiophonique ne prouve rien. Gaillemin assure lors de son audition avoir été certain que les jeunes n’étaient pas sur le site EDF. Pour la procureur adjointe, Delphine Dewailly, « N’ayant pas conscience du danger, il ne peut pas lui [Gaillemin] être reproché de ne pas avoir agi pour y remédier. » Quant à Stéphanie Klein, elle n’a « aucune raison » de prévenir la centrale EDF « dans la mesure où 14 fonctionnaires plus expérimentés qu’elle, n’en manifestent pas le besoin depuis le terrain, » toujours selon Dewailly.

L’attention médiatique portée au procès révèle le poids politique de celui-ci. Il ne s’agissait pas seulement du jugement de deux policiers mais du retour au centre de l’attention médiatique, d’un épisode de violences urbaines qui a montré une fracture entre la classe politique et une partie de la jeunesse française il y a dix ans. Maître Jean-Pierre Mignard, l’autre avocat des parties civiles, en précisait les contours pendant le procès, « Les familles eurent à subir le mensonge. [La police judiciaire de Seine-Saint-Denis] est allée jusqu’à fournir de faux éléments […] pour insinuer que les jeunes avaient commis un vol et n’étaient pas poursuivis. » Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, avait affirmé au lendemain des faits que « la police ne poursuivait pas physiquement » les jeunes, au moment où il musclait son discours sur la lutte contre l’insécurité. Deux jours avant le drame, il était en visite à Argenteuil, dans un quartier réputé difficile le ministre s’adresse à un riverain : « Vous en avez assez de cette bande de racaille ? On va vous en débarrasser ! »

Ce sont notamment les conditions de la mort des deux adolescents qui ont déclenché une vague d’émeutes à l’automne 2005. Les émeutiers imputent à la poursuite de la police la mort de Zyed et Bouna, qui n’avaient rien à se reprocher selon les rapports de l’enquête.

Ce jeudi 27 octobre 2005, Zyed et Bouna rentrent du stade de Livry-Gargan (une ville voisine de Clichy-sous-Bois) et font un crochet par un chantier de construction. Un riverain pense que les jeunes Clichois veulent dérober du matériel et alerte la police. Ils n’ont cependant rien à se reprocher, aucune dégradation n’a été observée sur le chantier, mais Zyed et Bouna, accompagnés de leur ami Muhittin Altun, filent à grandes enjambées à l’arrivée de la police et finissent par trouver refuge dans une centrale EDF. Ils grimpent tous les trois sur un transformateur. Zyed et Bouna meurent électrocutés alors que Muhittin est gravement brûlé.

Dans la soirée du 27 octobre 2005, Clichy sous-Bois s’embrase après avoir appris la nouvelle. Rapidement le mouvement va se propager à près de 300 communes en France. Le 8 novembre, le Premier ministre, Dominique de Villepin, déclare l’état d’urgence, pour un retour au calme le 17 novembre 2005. 9 000 véhicules incendiés, 3000 personnes interpellées pendant 21 nuits de crise. Les émeutes restent dix ans après, le symbole d’un malaise profond dans les « cités », l’expression de fossés économiques et sociaux.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter @PLongeray 

Photo via le site 18 mai – Zyed et Bouna