À partir d’aujourd’hui et, jusqu’au 26 octobre, quelques jours seulement après le premier anniversaire du tragique naufrage de Lampedusa, le Conseil de l’Europe (dont la présidence tournante est actuellement occupée par l’Italie) mène une opération de contrôle accru des migrants illégaux sur le territoire européen, pour collecter pendant ces quinze jours un maximum d’informations sur les réseaux de l’immigration clandestine.
En écho à l’opération « Mare Nostrum », qui désigne le programme de sauvetage des migrants illégaux en mer méditerranée, celle ci prend le nom latin de « Mos Maiorum »,« la coutume des anciens », autrement dit un ensemble de règles non écrites qui fixe une tradition. Par extension, « Mos Maiorum » désignait ce qui faisait l’unité culturelle de l’ensemble romain, par opposition au monde barbare et décadent.
Videos by VICE
C’est l’organisation Statewatch qui a révélé les tenants et les aboutissants de Mos Maiorum en publiant sur Internet il y a quelques jours la lettre de la Présidence du Conseil à destination de tous les pays de l’Union Européenne qui se porteraient volontaires pour l’opération. Statewatch a été créée au début des années 1990 pour suivre les questions des libertés civiques dans l’Union européenne. VICE News s’est entretenu avec son directeur,Tony Bunyan, qui explique pourquoi ils ont choisi de publier le document:
« Nous l’avons obtenu, il n’a pas « fuité ». Et en tant que journaliste je ne peux pas vous révéler nos sources. Nous l’avons mis en ligne parce que cela nous semble aller dans le sens de l’intérêt public, parce que lors d’opérations similaires des milliers de personnes on été « détenues » ou « appréhendées » et nous n’avons pas d’informations sur ce qu’il leur arrive ensuite. C’était important de mettre ce document sur la place publique pour que les citoyens, la société civile, les parlements nationaux et européen sachent ce qui est engagé et à partir de là puissent entamer un débat qui dégage une opinion sur ces problèmes. »
Le document, daté du 10 juillet dernier à Bruxelles (Belgique) est signé de la « Présidence du conseil de l’Union Européenne » et adressé aux délégations des États membres. Il annonce que dans la continuité d’autres opérations du même type, Mos Maiorum aura les objectifs suivants : appréhender des migrants illégaux et s’en servir pour obtenir des informations. Ces éléments doivent donner une vision plus précise des modes de fonctionnement (circuits, zones d’opérations, structures) des organisations criminelles qui monnayent leurs services de passeurs, identifier les zones stratégiques à mieux surveiller et documenter un phénomène de migration illégale encore peu connu que le document désigne sous le nom de « secondary movement », une forme d’utilisation détournée du droit d’asile.
Un besoin d’information sur les points stratégiques qui fait écho à une manifestation qui s’est tenue ce lundi à Calais, point de passage de prédilection des candidats à la migration illégale entre la France et l’Angleterre. Agriculteurs et policiers ont dénoncé des manques de moyens et appelé à un grossissement des effectifs de police. Entre 200 et 500 personnes, en majorité des policiers, ont mis en place une opération escargot avec le renfort d’une trentaine de tracteurs et d’une dizaine de camion dans les environs de Calais où la population des migrants a été multipliée par quatre depuis le début 2014 pour atteindre 1 500 personnes selon la préfecture.
L’opération Mos Maiorum est gérée par le ministère italien de l’Intérieur avec l’appui de l’agence européenne de surveillance des frontières Frontex. Le document donne deux adresses emails auxquelles les pays devaient répondre avant le 5 septembre s’ils étaient partants pour Mos Maiorum.
L’information essentielle qui manque au document publié par Statewatch, c’est la liste des pays qui ont répondu à l’appel de la Présidence pour rejoindre les rangs des volontaires prenant part à Mos Maiorum. Tony Bunyan a dit à VICE NEWS manquer d’informations sur ce point. On sait que l’opération concerne les pays membres de l’espace Schengen (une zone d’échange transfrontalière de l’U.E.) mais Statewatch n’aura la liste des participants qu’après la fin de l’opération.
Gipsy Beley est chargée des questions européennes àLa Cimade, association française qui vient en aide aux étrangers, jointe par VICE News elle explique que les contours de Mos Maiorum sont flous. « L’implication des États membres dans ce genre d’opération n’est pas claire. L’Espagne a annoncé sa participation mais on ne sait pas ce que cela implique concrètement. Est-ce qu’ils mettent leur personnel à disposition, est-ce qu’il va y avoir un renforcement du contrôle dans certains points stratégiques, quels moyens vont être employés ? C’est assez opaque ».
Contactés par VICE News, les interlocuteurs officiels sont de fait muets. En France, le ministère de l’Intérieur nous a renvoyés de bureau en bureau, n’infirmant ni ne confirmant sa participation. Le ministère italien de l’Intérieur n’a pas donné suite à nos demandes. Jointe par téléphone Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières, nous renvoie vers uncommuniqué publié sur son site: « L’autorité qui coordonne l’opération [Mos Maiorum], c’est le ministère italien de l’Intérieur. Frontex tient à souligner que l’agence n’est pas à l’origine du projet, et qu’elle n’a pas participé à sa mise en ?”uvre”. L’agence continue en précisant que son aide auprès de la Présidence italienne se cantonnera à la mise à disposition des statistiques et bases de données dont elle dispose sur l’immigration, et termine en disant que d’après ce que l’on en sait, Mos Maiorum relève plus de l’opération de police inter-européenne que de la surveillance aux frontières.
Gipsy Beley de La Cimade a étudié les ordres du jour du Conseil européen « Justice et Affaires intérieures », qui se réunit trois fois par an et qui devrait logiquement étudier un tel projet ; l’opération Mos Maiorum n’y est pas mentionnée. Dès qu’elle a eu vent du document, La Cimade a tenté de contacter plusieurs parlementaires français pour qu’ils interpellent les ministres sur cette mission lors des questions au gouvernement, sans succès. Les parlementaires européens n’ont pas pu apporter plus de réponses à la Cimade.
Ce genre de mission n’est pas une première en Europe, le document précise ainsi qu’il s’agit d’une continuation d’autres opérations pilotées par les précédentes présidences du Conseil de l’Union Européenne, comme l’opération« Aerodromos » en mai 2014, sous la présidence grecque, qui a traqué les migrants dans 39 aéroports européens.
Les premiers résultats de Mos Maiorum seront présentés devant une commission européenne le 11 décembre.
Suivez Mélodie Bouchaud sur Twitter: @meloboucho
Photo via Flickr