À Paris, dans le passage des Petites Écuries du dixième arrondissement, se trouve un objet bizarre, dans un recoin, près d’une boutique de charcuterie corse. Une plaque en tôle ondulée surmontée d’une sorte de mur végétal. Le tout est plutôt moche, et on n’avait aucune idée de son utilité jusqu’à ce qu’un commerçant du coin nous dise qu’il s’agissait en réalité d’un « mur antipisse ».
Celui-ci est donc censé dissuader les gens de venir uriner en pleine rue, dans ce petit recoin intimiste qui s’y prêtait bien. Ça a été un succès, a priori, vu que le coin ne sent pas l’urine. Le principe de ce mur est celui de l’arroseur arrosé : quand on urine dessus, le jet de pisse est censé vous revenir dessus.
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Le concepteur du truc s’appelle Étienne Vanderpooten. Il nous a reçus au siège de la direction des espaces verts et de l’environnement, vers Bercy, pour nous parler de son amour des sanisettes et de sa volonté d’essaimer ses inventions contre la salissure des rues de Paris.
Étienne Vanderpooten, devant une vue Google Maps de son invention
VICE : Comment vous êtes-vous retrouvé à concevoir des murs antipisse ?
Étienne Vanderpooten : Je suis architecte-voyer en chef à la mairie de Paris. Je travaille à la direction des espaces verts et de l’environnement depuis 1988. Je traite des questions d’urbanisme, en particulier dans le domaine de l’équipement des jardins, des kiosques et des toilettes publiques : c’est l’un de mes sujets favoris.
Je peux vous demander pourquoi ?
Parce que notre mission, c’est la réalisation de jardins. Les toilettes publiques, c’est aussi un élément d’équipement et de confort pour les visiteurs des jardins, et je suis content de leur offrir ce confort.
Et quand vous ne faites pas de toilettes publiques, vous construisez aussi des murs antipisse ?
Ah ah ! On a eu, enfin j’ai eu, du mal à trouver un terme à la fois significatif et qui sonne bien. Mur antipipi ça sonne très mal mais ça veut bien dire ce que ça veut dire. Mais bon, on n’est pas allés jusqu’au bout dans la recherche d’un nom parfait. Parce qu’en fait, il s’agit d’un prototype. Il y a un autre aménagement qu’on a fait et qui avait la même vocation. Tout près de celui du passage des Petites Écuries, il y a celui de la rue de Mazagran : on a fait un aménagement paysager avec un plan incliné. Pour celui-ci, la recherche de la solution tenait dans le relief du sol qui rendait très inconfortable la position debout.
Le fameux plan incliné antipisse de la rue de Mazagran
Les gens ont des lieux privilégiés pour s’épancher dans la rue, c’est ça ?
Ce sont toujours des espaces en creux, en niche dans l’alignement de la rue, donc plutôt des angles rentrants. Ça donne un creux dans le tissu urbain favorable à l’urination. Ah, ah.
Tout ceci a l’air de vous faire rire.
Énormément. On prend ces questions très au sérieux – résoudre des problèmes de pipi-caca c’est très sérieux, c’est la vie des gens, et en même temps oui, je le fais en riant. Y’a pas mort d’homme.
Concrètement, comment ça s’est passé quand vous avez présenté l’idée de l’arroseur arrosé ? Vous étiez genre, en réunion ?
Oui, il y a eu une réunion en mairie d’arrondissement au cours de laquelle j’ai présenté une esquisse et le concept général. Je me souviens, j’avais fait une coupe sur le principe du mur. Ça a tout de suite beaucoup plu.
C’est tout de même une idée tordue. Comment ça vous est venu ?
En regardant les gens faire ! Ce genre de projet ne vient pas tout seul, c’est souvent des demandes de mairies d’arrondissement. Ils identifient ces questions et nous demandent de les aider à les résoudre. Donc on se rend sur les lieux. Je me souviens à Mazagran on était 5 ou 6, et on s’est postés quelques mètres plus loin pour regarder. On s’est reculés très vite, l’odeur était infectieuse. On s’est reculés d’une dizaine de mètres et là, on a vu les gens venir uriner. Il était quinze heures, seize heures. On a compté au moins 3 personnes en 25 minutes. Les gens sont totalement décomplexés, et on sent vraiment que ce sont des habitués, un peu comme des chiens qui vont toujours au même endroit. C’est devenu leurs toilettes.
Vous-même avez testé vos murs ?
Il y a des gens qui l’ont testé. Des collègues, notamment. Les résultats sont mitigés. Il faut un jet d’urine puissant pour arriver à l’effet d’arroseur arrosé. Un pipi de petit garçon ça ne marche pas. Il faut y aller de tout son cœur.
Vous êtes déçu ? Parce que c’est quand même l’effet que vous cherchiez avec cette tôle ondulée.
Oui, tout à fait. Quand on voit les gens en question, on n’a quand même pas tellement de scrupules par rapport à leur pantalon. C’est quand même pas des gens très propres sur eux, et ce sont eux qui salissent la voie publique.
Vous voulez dire que c’est une population de sans-abri, majoritairement ?
Pas forcément. C’est juste des gens pas propres sur eux. Quand on s’approche, ils puent.
Et là, ces deux murs, ce sont les seuls qui existent à Paris ? Y’en a pas d’autres ?
Ces aménagements ont fait suite à un inventaire des coins de malpropreté à Paris : on en a relevé à peu près 500. On a été en charge d’imaginer des solutions. Les murs antipipi faisaient partie de ces solutions. On a fait d’autres aménagements aussi : aménagement végétal, minéral, etc.
Le mur végétalisé au-dessus de cette plaque en tôle ondulée, c’est fait pour être joli ou pour dissuader encore plus les gens ?
On a commencé par vouloir faire un mur végétalisé. La demande venait de la mairie du 10e arrondissement. Ce qui est embêtant dans cette idée, c’est que si les gens font pipi dans les végétaux, les végétaux crèvent. Mais bon, on peut les remplacer. C’est aussi une manière esthétique de masquer un pignon disgracieux, un vieux mur.
Et vous avez d’autres idées dans le genre ?
C’est pas vraiment une autre idée, mais j’ai envie de tester des dimensions différentes ; c’est-à-dire d’utiliser ce profil en Z, peut-être avec des plus grandes faces, des dimensions et des matières différentes, d’autres textures et d’autres matériaux.
Vous aimeriez bien en faire d’autres, donc ?
Absolument – c’est tout de même un problème récurrent à Paris. Cela vient du fait que la ville a vécu des aménagements urbains différents selon les périodes. Depuis les années 1960 – où l’on cherchait à élargir les voies de circulation avec différents retraits de construction – aux années 1980 – avec le plan d’occupation des sols où on est revenus à des configurations plus classiques de tissu urbain – l’urbanisme de Paris a créé des paysages de rue avec des creux, des alignements différents. D’où les sanisettes, et mon prototype. J’ai regardé un petit peu partout sur Internet et dans diverses publications, et dans les autres grandes villes du monde entier, je n’ai pas trouvé d’équivalent.
Ce que vous êtes en train de me dire, c’est qu’il n’existe que deux murs antipisse dans le monde entier, et qu’ils sont parisiens ?
Voilà. Enfin, d’après mes recherches.
OK. Je comprends que vous ayez envie de les essaimer.
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