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La ligue de hockey reconnue pour avoir la mèche courte tente d’évoluer

Un dimanche après-midi neigeux à Trois-Rivières, des guerriers s'affrontent pour imposer leur suprématie.

Un dimanche après-midi neigeux à Trois-Rivières, des guerriers s'affrontent pour imposer leur suprématie. À la deuxième minute d'un match qui vire en hostilités, Joël « l'Animal » Thériault de l'Assurancia de Thetford et Francis Lessard du Blizzard de Trois-Rivières s'entendent sur une chose : c'est l'heure de régler les comptes à leur manière. Pas de numéro d'acteur pour annoncer le combat, juste une intensité viscérale qui déclenche l'accélération des rythmes cardiaques : ce sont les hommes forts alpha de la Ligue nord-américaine de hockey. Un climat de violence règne sur la mise au jeu.

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Dès que la rondelle touche la glace, ils se dirigent vers le point à la gauche du gardien du Blizzard, où Lessard — un ancien homme fort de la LNH qui a déjà eu le dessus sur Zdeno Chara — empoigne Thériault, toujours en train d'essayer d'enlever son casque. Ils se tiraillent un peu avant que « l'Animal » dégage son bras gauche et décoche sans pitié une rafale de coups de poing au visage de Lessard. Sonné, ce dernier vacille et tombe, Thériault se jette dessus.

Les juges de ligne interviennent, mais Thériault — en colère qu'on ne lui a pas laisser le temps d'enlever son casque, une violation des règles encadrant les bagarres — lutte sous les corps emmêlés pour se dégager, patine vers le banc du Blizzard et, tout son corps transpirant la furie, s'élance pour frapper Chris Cloutier mais tombe, ce qui provoque les rires de la foule. Sa rage finit par retomber et l'incident est clos.

Regardez notre documentaire Avec pas gants sur la Ligue nord-américaine de hockey

Malgré sa relative décence, la bagarre a été montrée dans les médias comme énième exemple de la bouffonnerie qui est depuis longtemps la spécialité de la LNAH. C'est un problème dont les joueurs sont bien conscients. « Chaque fois qu'ils parlent de notre ligue, c'est toujours des bagarres ou des choses comme ça », proteste Marco Charpentier, un vétéran de huit saisons qui a terminé deuxième du classement des marqueurs cette saison. « Ils ne montrent jamais un beau but ou un beau jeu. »

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Cette parodie de hockey des dernières années de la LNAH, quand la ligue était sans conteste la plus agressive au monde, a été remplacée par un mélange d'habileté et de robustesse. Mais, si cette évolution semble être un progrès, beaucoup des témoins de l'évolution de la ligue assurent que la baisse de violence a entraîné une baisse de popularité. Un résultat qu'on ne peut comprendre sans se pencher sur les traditions sur lesquelles repose l'existence de la LNAH et sur l'importance de la bagarre pour ceux qui y sont accros.

La Ligue nord-américaine de hockey est la troisième version d'un projet de ligue semi-pro né en 1996. Fusion de deux ligues senior, elle avait alors été baptisée Ligue de hockey semi-professionnelle du Québec (LHSPQ). Selon sa mission rédigée à l'époque, on avait formé la LHSPQ pour donner aux joueurs québécois une occasion de jouer chez eux et pour redonner aux spectateurs nostalgiques du « hockey comme dans le temps », un style qui est encore aujourd'hui l'âme de la ligue.

Le nombre de bagarres a augmenté chaque année jusqu'à une moyenne de 4,45 par match pendant la saison 2006-2007, selon Drop Your Gloves, et le nombre annuel de bagarres des joueurs était sans précédent. Ce qui a commencé comme une ligue de hockey semi-pro pour les Québécois s'est métamorphosé en une dangereuse compétition de fiers-à-bras.

C'était l'heure de gloire des joueurs qui aiment se donner en spectacle. « Je n'ai jamais été plus près d'être une bête de cirque », admet Kevin Bolduc, ancien bagarreur qui a joué dans plusieurs équipes et ligues pendant sa carrière. « C'était le fun, mais ça ressemblait à un cirque. »

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La bagarre était un spectacle en soi, séparé des objectifs principaux de l'équipe. Bryan Richardson, attaquant qui a joué à Laval, se rappelle les chocs encaissés à sa première partie. « Il y a eu sept bagarres dans la première minute et demie du match », raconte-t-il, avant d'admettre la logique financière derrière. « Pour être honnête avec vous, c'est ça qui attirait les foules. »

Présenter un spectacle divertissant a toujours été un élément central de la mission de la ligue. Richardson évoque une publicité radio diffusée à Verdun, qui attirait les amateurs avec une promesse : « Première mise au jeu à 8 h et première bagarre à 8 h 05. » Des publicités explicites comme celle-là sont les vestiges d'une époque révolue, quand on offrait fièrement un produit agressif aux amateurs qui remplissaient les gradins pour assister à des matchs qui pouvaient à tout moment virer en mêlée générale.

Cloutier, qui a fait son entrée dans la ligue avec les Chiefs de Laval et joue maintenant à Trois-Rivières, illustre la différence : « Aujourd'hui, si je les jette deux fois, une fois à l'extérieur, une fois à domicile, je suis content. Avant, on devait jeter les gants quatre fois par fin de semaine. C'était comme ça, on n'avait pas le choix. »

Sur la glace, on se faisait justice soi-même et, autour, un mythe a commencé à prendre racine : selon des rumeurs, le crime organisé était impliqué dans la LNAH et des gangsters l'utilisaient pour blanchir de l'argent, ce qui a aussi contribué à lui donner une image de ligue sans foi ni loi, en particulier auprès des amateurs de hockey anglophones. Aucune des recherches pour ce reportage n'a pourtant permis de mettre la main sur des preuves ni même des témoins de ces activités illicites. En fait, dans ses premières années, on a créé l'impression que la ligue était une citadelle de la culture criminelle, et cette impression, pour une raison ou une autre, persiste.

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Ce ne sont pas que les rumeurs qui forgent les réputations, et il y a bien eu plusieurs incidents : des joueurs de la LNAH ont été les auteurs présumés et victimes d'activités criminelles. Des joueurs actuels ont même passé du temps derrière les barreaux ou attendent un verdict, dans certains cas pour des crimes graves. La LNAH représente pour eux une seconde chance, une occasion de monnayer leur talent et reconstruire leur vie dans un quasi-anonymat. De cette façon, la ligue sert parfois de refuge pour les persona non grata du hockey.

Aujourd'hui, la LNAH comprend huit équipes réparties sur un territoire qui s'étend de Cornwall, dans l'est de l'Ontario, à Rivière-du-Loup et Jonquière, dans l'est du Québec. La plupart jouent dans des arénas dont la capacité ne dépasse pas quelques milliers de places, imprégnés de l'odeur traditionnelle de pop-corn, de hot-dog et de poutine, où public masculin se réunit pour socialiser et boire de la bière. Le Blizzard et l'Assurancia jouent dans de superbes arénas, vieux, mais bien entretenus, tandis qu'à Jonquière, de jolies femmes avec des chandails d'arbitre distribuent l'alcool avec des chariots roulants.

La LNAH compte de très bons joueurs dans ses rangs, comme Bruno Saint-Jacques, l'excellent défenseur du Blizzard qui a joué 67 matchs dans la LNH. Anthony Stewart, un ex-joueur de la LNH bien connu qui s'est joint à Jonquière en janvier dernier, affirme que la qualité de la ligne dépasse ses attentes. « C'est vraiment un bon rythme, plus rapide que je pensais. Quand on est de Toronto, on a entendu des histoires. Mais les joueurs prennent le hockey au sérieux. »

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Pierre-Olivier Beaulieu, un défenseur du Blizzard, compare le style de la LNAH avec celui de la East Coast Hockey League, dans laquelle il a joué. « Pour ce qui est du talent, cette ligue ressemble à l'ECHL. La grosse différence, c'est la forme des joueurs. Dans l'East Coast, on patinait tous les jours, on s'entraînait et on mangeait bien. Dans la LNAH, on joue le vendredi soir après avoir travaillé de 8 à 5 toute la semaine, et on mange un sandwich chez Tim Hortons avant le match. »

La structure de la ligue ne permet pas de présenter le meilleur hockey, mais en l'absence de gros budgets — pour offrir aux joueurs ce dont ils ont besoin pour pratiquer pendant la semaine et adopter un style de vie complètement axé sur le hockey —, l'état actuel des choses est le seul possible. Ce qui rend la qualité du jeu encore plus impressionnante : en grande partie, c'est un style de hockey rapide, fluide et précis avec des passes vives.

Aussi talentueuse soit-elle, la LNAH se décrit avant tout comme une expérience viscérale. Sa devise, « Du hockey qui carbure à l'émotion », laisse supposer de l'agressivité. D'ailleurs, des bagarres surviennent huit fois plus souvent que dans la LNH. Une fréquence toutefois inférieure à l'époque où elle était ridiculement élevée. Bien que la ligue admette avoir perdu les amateurs qui ne se déplaçaient que pour les bagarres, elle croit que pour beaucoup d'autres, cette facette du jeu n'est qu'un extra de cette version robuste du hockey.

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Cindy Simard, copropriétaire du 3L de Rivière-du-Loup, les champions de la saison 2015-2016, estime que les partisans ne demandent pas de violence et l'équipe mise sur un style à la fois robuste et rapide. « Il y aura toujours des amateurs qui aiment les bagarres et en demanderont toujours plus. Mais ce n'est pas ce que veut la majorité de nos partisans. La ligue a beaucoup évolué, cette époque-là est terminée. » Ironiquement, son équipe a terminé deuxième cette saison au chapitre des bagarres.

La ligue affirme qu'elle a réduit le nombre de bagarres planifiées, mais on en voit toujours dans la plupart des matchs et elles ont un grand effet sur les finances.

« Beaucoup des bagarres sont planifiées, affirme un juge de ligne. Les spectateurs qui veulent voir des bagarres, de la violence, voient des bagarres — deux ou trois par match pour les attirer — et les autres, qui sont là pour voir du hockey, voient du hockey. »

Curtis Tidball, vétéran de douze saisons dans la LNAH, estime que le nombre de bagarres diminue, ainsi que la popularité, un constat qu'on fait la majorité des personnes interrogées. « Les partisans exigent un spectacle, affirme Cloutier. S'ils veulent voir du hockey olympique, ils regardent du hockey olympique. La plupart des partisans achètent des billets pour voir du jeu robuste. »

Sans les bagarres, la LNAH survivrait-elle? Deviendrait-elle juste du hockey de moins haut niveau que la LNH, avec pour seuls éléments distinctifs sa langue et son territoire? La majorité des joueurs sont catégoriques : elles doivent rester. Christophe Losier, attaquant à Thetford Mines, croit que la santé de la ligue dépend des bagarres, tout en reconnaissant le changement de nature en cours. « C'est un spectacle. Il y a en de moins en moins chaque année, mais ça fait toujours partie de la ligue. S'il n'y a plus ça, il n'y a plus de ligue. »

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Un aspect de notre culture favoriserait ces démonstrations de force et de virilité : la ligue répond autant à cette demande qu'elle l'alimente. Elle est la manifestation d'une forme assumée de machisme, esclave de rien ni personne.

« Tous les Québécois de mon équipe, sans exception, sont prêts à se battre. Ils n'hésitent pas une seule seconde, ils jettent les gants et foncent », assure Ryan hand, un solide et fiable défenseur de l'Assurancia. « J'ai joué avec des Anglais, j'ai joué avec des Américains, j'ai joué avec des Européens, et cette mentalité n'est pas aussi répandue. »

En plus de la théorie des racines culturelles, il y aurait une utilité. « Si on enlève les bagarres, ce sera très mauvais, il y aura des coups bas », prévoit Losier, reprenant une des éternelles maximes des amateurs de bagarres.

Les observations empiriques confirment la théorie. L'un des aspects intéressants de la LNAH, c'est que, malgré la brutalité pour laquelle elle est à juste titre réputée, les coups salauds sont plutôt rares. On peut présumer que c'est que les joueurs savent ce qui les attend s'ils osent.

« Les joueurs ont un code. Si quelqu'un a blessé un joueur étoile ou fait quelque chose de stupide dans un match précédent, ils s'en souviennent et le feront payer, explique un juge de ligne. Les bagarres forcent les joueurs à respecter le code. »

Si les bagarres ont pour but de donner des sensations fortes à la foule, les joueurs poids lourds peuvent aussi changer un match. Joël Thériault — féroce armoire à glace de 6 pieds 4 pouces, 250 livres et 39 ans — est le joueur le plus craint de la ligue : chaque fois qu'il saute sur la glace, on croirait voir un grizzly entrer sur un terrain de camping. « Nous avons joué sans Joël au début de la saison et les autres équipes étaient agressives contre nous », se rappelle Matthew Medley, un de ses coéquipiers. Mais quand Joël est revenu dans l'alignement, ils se tenaient tous tranquilles sur la glace. »

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Hand connaît la valeur des bagarres et de l'intimidation. « Je pense que l'équipe la plus robuste gagne. Surtout dans les séries. J'en ai été témoin. On tabasse leurs joueurs robustes, ça les démolit complètement. »

Kevin Cormier, homme fort du Cool FM de Saint-Georges qui compte 36 bagarres à son actif cette année, se voit comme une partie essentielle d'un grand ensemble. « C'est un rôle. Une équipe de hockey est un casse-tête, et chaque pièce est importante. Le gardien, le tireur, le bagarreur, et je suis content d'en faire partie. »

Que pensent les fiers-à-bras de la LNAH de leur rôle? Dans la littérature, les combattants sont dépeints comme de sombres héros masquant une tristesse métaphysique, mais la réalité n'est pas si cinématographique. Certains abordent leur travail de façon pragmatique, se donnent un rôle bien établi, alors que d'autres évoquent des raisons plus primaires. Pour Thériault, c'est une source de sensations fortes auquel il est accro. « C'est une drogue… le temps s'arrête. Il y a juste toi et l'autre, ça dépasse la force ou l'entraînement. Ça dépend de toi : jusqu'où tu peux repousser tes limites? »

Et l'angoisse qui précède un combat à mains nues? Certains disent que la tension diminue avec l'expérience ou qu'elle est atténuée par l'adrénaline, mais Tidball et Sean McMorrow, qui se sont plus battus que quiconque, admettent être encore nerveux avant une bagarre. « Si t'es pas nerveux, quelque chose ne va pas avec toi », tranche Tidball.

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Cette angoisse, c'est la peur de l'inconnu, des terribles conséquences possibles, comme être mis K.O. et savoir que cette humiliation sera visible pour l'éternité sur YouTube.

Comment vaincre cette peur? « C'est souvent un moment inconfortable, explique McMorrow, mais je ne le vois pas comme une simple bagarre. Je représente mon équipe, j'essaie de nous donner du momentum, de lancer un message à l'adversaire ou de prendre la défense d'un coéquipier. »

Thériault, dont la férocité est sans égale dans le hockey, pense qu'il peut jouer avec autant d'intensité parce qu'il accepte avant le match la possibilité de se retrouver à l'hôpital. Cette compréhension de l'enjeu et l'acceptation de la pire conséquence imaginable lui permettent de frapper et de se battre avec un maximum d'agressivité.

Si les bagarres sont une drogue, elle n'est pas sans conséquence grave. Aujourd'hui, on ne peut aborder les bagarres sans évoquer les mises en garde de la médecine. L'encéphalopathie traumatique chronique, une affection cérébrale progressive — des protéines tau envahissent et éventuellement détruisent les neurones, entraînant des troubles cognitifs, comportementaux et psychomoteurs — causée par les coups répétés à la tête est un nuage noir planant au-dessus de tous les athlètes qui pratiquent des sports de contacts.

Bien que la plupart des bagarreurs connaissent les risques, ils s'efforcent surtout d'atténuer les effets à court terme, comme prendre des pauses quand ils ont des maux de tête, plutôt que de penser aux conséquences potentielles à long terme. Mais Thériault ne les ignore pas pour autant : « Je connais des joueurs qui ont cinq, six ans de plus que moi et qui ont des problèmes de concentration, des troubles du sommeil, de l'anxiété. Il y a un mauvais côté, j'en suis sûr. J'espère que mon fils ne passera pas par là. Il y a un prix à payer. »

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Il y a sans aucun doute un prix à payer, mais avec les traumatismes cérébraux, la gravité des conséquences et le moment de leur apparition sont imprévisibles. Martin Larivière, un coéquipier de Thériault, est catégorique : s'il doit souffrir de problèmes plus tard, personne ne doit s'en désoler.

« Je sais que ce n'est pas vraiment bon pour mon cerveau, mais je le fais parce que, comme Joël l'a dit, c'est une drogue. Même si je sais que j'aurai des maux de tête ou quelque chose d'autre pour le reste de mes jours, honnêtement je m'en fous. Je m'en fous parce que je fais ce que j'aime le plus. »

Bob Probert, le légendaire bagarreur des Red Wings, l'un des héros de Thériault, est décédé à 45 ans des suites d'une encéphalopathie traumatique chronique. Il comptait 355 bagarres en carrière, un nombre extrêmement élevé, mais inférieur à celui de beaucoup de joueurs de la LNAH, qui sont bien moins payés et n'ont aucun espoir d'atteindre un plus haut niveau professionnel. Au-delà de leur passion pour le hockey et l'attrait de la popularité dans de petites villes, qu'est-ce qui les motive?

Bolduc estime que c'est être fidèle à lui-même. « J'ai plus de 300 bagarres. Quelques-unes de plus sur un ring et dans l'octogone. J'ai reçu des coups qui pourraient tuer un homme. Je n'ai eu aucune commotion cérébrale. Ma tête va très bien. Oui, après un combat, je peux avoir un léger mal de tête, mais quand t'aimes vraiment ça, quand tu le fais pour les bonnes raisons, c'est pas important. C'est un état d'esprit. Je suis un bagarreur, je ne vais jamais le regretter et je vais l'assumer complètement. Toujours. »

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Pour Thériault, qui a aussi essayé la boxe et les arts martiaux mixtes, les combats sont l'expression de son identité, ce qui le stimule. Et sa dépendance le force à prendre toujours plus de risques.

« Bien sûr, il y a l'argent, admet l'électricien de formation, mais il y a plus que ça. C'est un mode de vie. Comme ces gars de l'Ultimate Fighting Championship qui font quelques milliers de dollars par combat. Les gens disent : "Je ne comprends pas, il a un bon boulot." C'est trop fort. C'est une drogue. C'est une drogue. C'est une drogue. »

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Ils demandent plus d'émotion, plus de solides mises en échec. Ils nous demandent de laisser passer les petits accrochages, de ne pas arrêter le jeu », explique un juge de ligne.

Le « hockey qui carbure à l'émotion » est moins un clin d'œil au passé de la ligue qu'une culture que la LNAH a mise en place. Une culture qui offre à des joueurs comme Thériault une arène où en mettre plein la vue.

Qu'est-ce que cette version contemporaine offre à la foule? La LNAH présente aux spectateurs des idéaux traditionnels de force et de courage sans le politiquement correct. Laval compte sur les partisans les plus enflammés, dont un homme particulièrement expressif qui, du début à la fin d'un match, a crié des insultes incompréhensibles sans arrêt. Quand un joueur a refusé de se battre, il s'est éloigné encore plus du bon goût en aboyant, cette fois en anglais : « You're a fucking faggot! »

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C'est décidément une version moins politiquement correcte du hockey, qui n'a pas subi le sort de la LNH, édulcorée par le corporatisme. L'un des charmes de la LNAH, c'est l'interaction fréquente entre les joueurs et les partisans. À Trois-Rivières, Thériault a été hué après avoir déjoué un adversaire en zone neutre. En réponse, il a retiré son gant et sorti le majeur. Expulsion immédiate.

Malgré tout, la LNAH reste un divertissement acceptable pour une activité familiale et on voit beaucoup d'enfants à chaque match. Les grossièretés partisanes s'échangent principalement entre les intéressés. Et si les interactions entre la foule et les joueurs sont parfois enflammées, elles peuvent aussi être très amicales : des joueurs comme McMorrow échangent cordialement avec des spectateurs et la plupart acceptent leurs demandes. Ils sont accessibles et reconnaissants que l'attention soit dirigée vers autre chose que les aspects les plus disgracieux qui plombent la réputation de la ligue.

C'est une ligue où le style de jeu et les attentes des partisans se renforcent l'un l'autre. Du hockey de cols bleus où les démonstrations de virilité représentent un idéal et les applaudissements de la foule récompensent les joueurs à la hauteur de leur courage. C'est un spectacle, qui commence avec des bouffonneries à l'échauffement, continue dans les rituels avant et après les combats, s'amplifie grâce à la participation de la foule et donne à la LNAH ce dont manquent cruellement beaucoup de matchs de la LNH : du fun.

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Quel est l'avenir de LNAH? Aussi particulière soit-elle, la ligue n'est pas épargnée par l'évolution du hockey. Les ligues juniors ne forment plus autant de bagarreurs, les Joël Thériault se feront de plus en plus rares et les autres joueurs hériteront de leur rôle.

La question des bagarres au hockey a brièvement refait surface quand l'ancien joueur de la LNH Brian McGrattan a perdu connaissance au cours d'un match de la AHL en janvier dernier. Les images de McGrattan inconscient, face contre la glace, ont montré combien mince est la ligne entre le divertissement et le drame. Évidemment, la LNAH aussi a eu droit à son lot de scènes qui donnent froid dans le dos. Le 5 février, pendant une bagarre avec Maxime Vachon des River Kings de Cornwall, Sébastien Courcelles de l'Assurancia s'est retrouvé étendu sur la glace, inconscient. Ses jambes inertes tremblaient quand ses coéquipiers l'ont porté jusqu'à la sortie.

Naturellement, les médias ont à peine parlé de l'incident, survenu dans un match qui n'était pas télévisé et dans une ligue où les bagarres sont la norme. Tant que les joueurs continueront de se battre, il y a aura des traumatismes comme celui qu'a subi Courcelles en plus de tous les dommages cérébraux moins visibles pour l'instant. Mais personne ne veut que ça s'arrête, même pas ceux pour qui les bagarres ne sont qu'un extra. Si on les bannit, LNAH risque de voir sa popularité diminuer davantage et pourrait faire face à une crise d'identité. Elles restent une variable à contrôler, source à la fois de revenus et d'attention non souhaitée. L'équilibre est fragile, mais les dirigeants de la ligue ont intérêt à le préserver.

Peut-être que la LNAH a avantage à rester dans la marge. Avec une plus grande popularité viennent une plus grande attention et l'inévitable grandiloquence des bien-pensants impatients de poser un jugement moral sur les bagarres au hockey et de demander si elles sont toujours acceptables à la lumière des récentes découvertes médicales. Mais pour ceux qui ne peuvent vivre autrement qu'au bord du gouffre, qu'est-ce qu'une vie sans risque? Les sociétés humaines continuent d'évoluer, mais la nature humaine reste la même. Des spectacles comme les matchs de la LNAH expriment une vérité simple : la force physique hiérarchise les hommes. Si la ligue continue de mettre de l'avant cette approche, elle conservera ses partisans.

Et si les sports représentent une occasion de s'évader de la réalité quotidienne et de vivre des sensations fortes par procuration, peu d'organisations rivalisent avec la LNAH. L'un des avantages qui distinguent la ligue, c'est le sentiment de liberté qu'elle offre. Les partisans savent qu'à tout moment la situation peut dégénérer, ce qui est très attrayant pour la majorité des gens qui vivent des vies plutôt normales, exemptes de tout ce qui est primaire, gouvernées par des institutions qui condamnent tout comportement fougueux.

La ligue a annoncé dans les derniers jours son plan d'ajouter deux équipes dans les quatre prochaines années. Son vice-président aux communications, Denis Boisvert, affirme que la ligue reçoit fréquemment des propositions de nouvelles franchises. Le défi des dirigeants de la LNAH est de corriger l'écart entre la perception des partisans et la réalité de son produit. Des offensives marketing convaincantes seront requises pour présenter la ligue comme un amalgame de valeurs traditionnelles, d'instinct primaire et de hockey de bon niveau. Bien que ce soit l'essence du message actuel, la LNAH doit accroître son prosélytisme.

Comme toute entité dont la stabilité est précédée d'une transformation intempestive, il semble que les forces en opposition soient équilibrées. Le style actuel est assez brutal pour plaire aux amateurs de bagarres, mais les partisans n'ont pas l'impression d'assister à une caricature de hockey. Comblés par le talent ou la force, tous y trouvent leur dose.