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LE NUMÉRO 4-ACO-DMT

Shintaro Kago transforme la merde en or

Chaque jour, des tonnes de mangas de toutes formes, genres et couleurs sont exportés du Japon. On a trouvé ça sympa un moment, mais on commence à s’en lasser. Et les hentaï, ce sous-genre porno-snuffo-scato-morbido-dégueu, finissent par nous ennuyer...

  Chaque jour, des tonnes de mangas de toutes formes, genres et couleurs sont exportés du Japon. On a trouvé ça sympa un moment, mais on commence à s’en lasser. Et les hentaï, ce sous-genre porno-snuffo-scato-morbido-dégueu, finissent par nous ennuyer sérieusement. Cette forme d’art a besoin d’un sérieux coup de jeune, et on pense avoir trouvé l’artiste qui convient : Shintaro Kago.

Kago s’approprie le manga comique pour en faire des petites planches bizarres, bourrées d’autoréférences et d’expérimentations formelles trippées. Il se présente comme un

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kisou mangaka

(« dessinateur de mangas bizarre »—on ne peut pas faire plus littéral) et ses nombreuses activités comprennent la réalisation de films indépendants et la création de jouets : il fabrique, peint et vend des figurines en forme de crotte, des cadavres mutilés, des personnages sans bras et sans jambes et des bébés déformés. Et vous savez quoi ? Ils sont plutôt mignons.

Mais les mangas de Kago sont encore plus barrés que le reste, et c’est surtout là-dessus qu’on voulait l’interviewer. Voici la conversation qu’on a eue avec lui récemment, dans son atelier à Tokyo, suivie d’un manga inédit spécialement réalisé pour

Vice

.

Vice : Ton travail est rempli de merde, il y en a plein tes mangas et tes jouets.

Shintaro Kago :

Je me sers de la merde comme d’un leitmotiv pour mes histoires. J’ai choisi ce thème parce que personne d’autre dans le milieu ne le faisait quand j’ai commencé. J’essaye aussi de m’adapter à l’esprit des magazines pour lesquels je travaille. Mes histoires de caca sont nées quand j’ai commencé à dessiner une série pour un magazine spécialisé dans le manga scato.

On m’a dit que tu t’es remis à travailler pour un de ces magazines il n’y a pas longtemps.

Pour être honnête, c’est assez dur de trouver constamment des histoires autour de la merde. Et surtout de les rendre érotiques.

Est-ce qu’il y a un cahier des charges à remplir ? Par exemple, est-ce qu’il y a un quota de merde à respecter par manga ? Non, c’est juste… de la merde. En gros, la question est de savoir combien de variations sur les thèmes de la merde et du sexe je peux créer. C’est vraiment dur. Je voulais arrêter au bout des deux ou trois premières histoires. La merde et le sexe sont juste des points de départ, il faut savoir les dépasser pour élaborer un récit. Et j’essaye d’avoir des jolies jeunes filles comme personnages principaux. C’est tout. En fait, les mecs qui achètent ce type de magazines n’aiment pas vraiment ce que je dessine. Et tu n’es pas attiré sexuellement par ces trucs-là ? Non, je ne fais pas dans ça. Ce n’est même pas un fantasme. C’est juste un thème que j’utilise. Mais j’adore l’humour gore. Robert Crumb a déclaré qu’il se branlait devant ses propres dessins. Est-ce que tu prends ton pied quand tu dessines des scènes de sexe ? En vérité, je n’aime pas vraiment dessiner des scènes de sexe, et si j’avais le choix, j’aimerais mieux ne pas le faire. Mais quand on travaille pour un magazine érotique, on est un peu obligé. De toute façon, mes sujets sont assez extrêmes, et les gens pensent souvent que je fais ce genre de trucs dans ma vie privée. Moi j’essaye juste de me frayer une voie, dans les limites du genre et des exigences fixées. Quand est-ce que tu t’es mis à te surnommer kisou mangaka ? Comment ça t’est venu ? Juste comme ça, un jour, simplement parce que personne d’autre ne le disait. Je m’étais dit que je devrais passer de « dessinateur » à « dessinateur plus quelque chose d’autre ». Si tu dis que tu es dessinateur, les gens te perçoivent uniquement comme tel, alors si tu te mets à clamer que tu fais quelque chose de différent, ils te demandent : « Mais tu es dessinateur, pourquoi tu fais ça ? » Pourtant tu ne veux pas t’autoproclamer artiste, pas vrai ? Effectivement. Je pense que c’est au lecteur et non au créateur de décider si son travail est de l’art. En même temps, j’aime trouver des moyens de dépasser les conventions du manga et de faire évoluer le genre, en intégrant des collages de photos aux dessins, par exemple. Quand as-tu commencé à dessiner dans ton style actuel ? Probablement quand j’étais au lycée. Je faisais partie du club manga. À l’époque, je faisais pas mal de trucs avec un humour assez noir. Ce n’était pas très sain. Quand j’y repense, il y avait un type de mon année qui faisait des mangas avec des gags vraiment niais ; je suis parti dans la direction opposée pour prendre le contrepied de ce mec. Dans le manga que tu as dessiné pour nous, toutes les cases font la même taille, et c’est le cas pour tous tes autres travaux. Pourquoi ? Beaucoup de mangas utilisent des cases de tailles différentes. C’est pour traiter chaque scène sur un pied d’égalité. Parfois, les gags fonctionnent mieux s’il y a un nombre limité de cases, comme dans les comics traditionnels à quatre vignettes. Je n’aime pas être trop direct, et pour moi, les grosses cases sont une espèce de maniérisme. Mais il n’y a rien de mal à ça.

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Tu trouves que c’est difficile de faire du neuf ? Oui. Si c’est une série, il y a un certain mouvement naturel, on peut se laisser porter, mais j’ai plutôt tendance à dessiner des histoires indépendantes. C’est dur. Avant, c’était plus facile, mais ces temps-ci j’ai du mal à avoir des idées. J’ai même réutilisé des vieux trucs qu’avant je rejetais. Mais c’est vrai qu’il y a aussi de moins en moins de magazines qui m’autorisent à dessiner ce que je veux. C’est encore plus dur de proposer quelque chose aux gros magazines, parce qu’ils posent énormément de contraintes. Je suis vraiment dégoûté que Cotton Comic, un magazine de mangas érotiques, n’existe plus, parce que je pouvais me lâcher complètement avec eux. Mais j’imagine que ce type de magazines est en voie d’extinction. Comme cette revue érotique bizarroïde, Flamingo—ce genre de publications softcore va sûrement disparaître, à la longue. Ça va devenir de plus en plus dur pour les dessinateurs comme moi. Mais qu’est-ce que tu ferais si on te laissait dessiner tout ce que tu veux ? En fait, ça serait peut-être encore plus difficile. Quand on obéit à des thèmes et règles définis, on sait vraiment où on va. Si on est libre à cent pour cent, étrangement, ça a tendance à brider la créativité. On dispose d’une palette d’expression plus large quand on a des contraintes. Et puis les scènes de sexe prennent beaucoup de place, ça sert bien quand on n’a pas beaucoup d’idées. Souvent, quand je dois remplir des pages et que je n’ai pas d’inspiration, j’insère des scènes de sexe idiotes au milieu d’une histoire. Tu ressemblais à quoi quand tu étais en primaire ? C’est la question suivante ? Je ne l’avais pas vue venir, celle-là ! Mes parents sont morts quand j’avais 1 an et la première fois que j’ai volé, j’avais 5 ans. J’ai perdu ma virginité à 6 ans et je me suis brièvement mis à la zoophilie mais ça m’est passé, vers les 7 ans. Les pires, c’était les chevaux. C’est vrai. Et tes jeux préférés, c’était quoi ? Faire le con avec un couteau papillon. Je cassais des vitrines, je volais des radis. Ouais, mec, j’ai tout fait.