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Un temple mormon... sous acides !

Une journée avec les Saints des derniers jours et mon plus beau costume du dimanche.

Chaque religion a sa part de mystère : le catholicisme a son Immaculée Conception, l'Église de Scientologie a son « Thétan opérant » et le bouddhisme a son nirvana. Les Mormons, eux, croient qu'ils peuvent devenir des Dieux et se voir confier une planète au moment d'atteindre l'un des trois royaumes de gloire. Ils pensent aussi que Jésus est venu faire un tour aux États-Unis et, jusqu’à la fin des années 1970, ils pensaient que les Noirs n'étaient pas dignes d’accéder à la prêtrise.

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En raison de leur mystère et de leur obsession à construire de gigantesques temples à travers le monde, ils font parfois frémir les non-croyants.

Les Mormons organisent des messes dominicales dans les églises ouvertes au public, auxquelles les types comme vous et moi peuvent assister. Mais, à moins d’être un membre ultra fidèle et obéissant, vous ne pourrez pas rentrer dans un temple – cette « maison du Seigneur » réservée à la prière, au jeûne, au mariage, au baptême et aux « ordonnances » ou contrats passés avec le Tout-Puissant.

Cependant, à chaque nouvelle ouverture de temple, les Mormons organisent des portes ouvertes et invitent les gens à visiter leur nouveau sanctuaire. Ensuite, ils le consacrent et le commun des mortels s’en voit refuser l’accès.

Bien entendu, de nombreuses rumeurs circulent. Pour certains, les temples seraient dirigés par les francs-maçons. Selon d'autres, on vous y donnerait un nom secret. Il se murmure aussi que les couples y seraient scellés pour l'éternité dans un « mariage céleste » et que, dans l’Au-delà, les femmes donneront pour toujours naissance à des « enfants spirituels ». Je pourrais énumérer des dizaines d'autres rumeurs aussi étranges qu'étonnantes qu’Internet ne référence pas – par exemple, après une journée portes ouvertes, l'église serait entièrement rénovée et les tapis remplacés.

Alors, malgré ce que dit Dieu le Seigneur dans la section 132, verset 8 du livre des Doctrine et Alliances (« Voici, ma maison est une maison d'ordre et non une maison de confusion »), l'Église est sujette à beaucoup d'ambiguïté. Selon les Mormons, quand Jésus reviendra pour son règne de 1 000 ans, il ira se détendre dans l'un de ces temples. Avec 29 de ces « maisons du Seigneur » en cours de construction et 142 déjà érigées à travers le globe, il n'aura que l'embarras du choix.

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Peut-être que le Christ choisira le temple de la ville de Gilbert, dans la banlieue de Phoenix en Arizona, qui vient tout juste d'être construit. Gilbert, anciennement connue comme la capitale mondiale de l'exportation de foin, est un endroit fascinant. Non seulement son plus monument le plus élevé est un château d'eau, mais chaque année s’y tient un grand événement rodéo.

Le mois dernier, à l'occasion des portes ouvertes de ce nouveau temple, j'ai décidé de revêtir mon plus beau costume, de gober deux buvards d'acide et d'aller jeter un coup d'œil à l'édifice.

À mon arrivée, toutes les branches de l'arbre généalogique, des nouveau-nés aux arrière-grands-parents, patientaient en file indienne tout autour de l'église du temple. Bien qu'ils souriaient, la plupart étaient revêtus de costumes sombres. Nous sommes entrés un par un. Quand tout le monde a été assis, les lumières se sont éteintes et une vidéo a commencé.

J'ai eu du mal à me retenir de rire. Non pas parce que c'était drôle, mais à cause de ce que j'avais gobé juste avant. J'ai mordu ma langue à plusieurs reprises et essayé de me concentrer en fixant le portrait de Jésus dessiné au dos d'une brochure que j'avais trouvée. Je voyais le Christ en trois dimensions. Il me regardait avec des yeux de chien battu.

La vidéo a résumé l'histoire du temple et énuméré les faits qui le rendaient unique – spoiler : pas grand-chose. Ce quatrième temple érigé en Arizona est situé à une vingtaine de kilomètres au sud du temple « type Salomon » de Mesa. Étant donné que les deux autres ont été érigés dans les villes de Snowflake – fondée par des mormons à la fin du 19e siècle – et de Central – qui compte une population de 645 personnes –, on peut à juste titre affirmer que les Mormons ont choisi les villes les plus tristes d'Arizona pour y construire leurs temples.

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Sans vouloir vous dévoiler toute l’intrigue du film, je vais juste préciser qu'il faisait aussi l'éloge des Mormons pionniers des terres arides de l'Arizona. En revanche, il n’a pas mentionné le fait que le bâtiment dans lequel nous nous trouvions avait jadis appartenu aux indigènes. Le massacre de Mountain Meadows, quand des miliciens mormons habillés comme des Indiens d'Amérique ont ôté la vie d’environ 140 colons dans l'Utah en 1857, n'a pas non plus été abordé. Cela n’avait peut-être pas d’importance.

Puis, quelques anciens – et notamment Thomas S. Monson, président de l'Église mormone – ont, les larmes aux yeux, expliqué pourquoi les temples étaient si importants pour la foi. Avec tous ces vieillards aux joues tremblantes, il était très difficile de se concentrer.

Enfin, les lumières se sont rallumées. Nous nous sommes dirigés vers la sortie, avant d'être conduits dans l'enceinte du temple, afin d’en parcourir les cinq étages. Avant d'être autorisés à entrer, on nous a donné des protections en plastique à enfiler sur nos chaussures.

Tout le monde s'est mis à discuter avec enthousiasme. Certains faisaient même des selfies avec le temple en arrière-plan, même si les photos n'étaient pas autorisées à l'intérieur du bâtiment. C'est à ce moment que j'ai réalisé à quel point cet événement était important pour les familles, dans la mesure où le temple allait bientôt prendre une place primordiale dans leur vie. La brochure annonçait même que les « Saints des Derniers Jours considéraient le temple comme un centre spirituel dans lequel quiconque peut se sentir en proximité avec Dieu » et que « ce que nous apprenons dans le temple donne un sens et une direction à notre vie ». Contrairement aux deux buvards, leurs affirmations étaient difficiles à avaler.

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Plus nous approchions de l'entrée, plus les effets de l'acide se faisaient ressentir. J'ai enfilé les sortes de sacs en plastique qui me serviraient de chaussons et j'ai prié pour que personne ne remarque mon regard exorbité et mon sourire de branleur. Tout le monde semblait enchanté, mais j'avais peur de l'être un peu trop.

Enfin, on a pu entrer. Le seul mot permettant de décrire l'endroit est « splendide ». Le hall était joliment carrelé et garni de meubles victoriens qui en jetaient. Le grand lustre accroché au plafond était lui aussi resplendissant.

Les grandes peintures à l'huile ornant la pièce semblaient respirer et se mouvoir. J’ai ressenti le besoin de contempler chacune des toiles, jusqu’à ce que mes yeux se mettent à saigner. Sur l'une d'elles était représenté Jésus, torse nu, baptisant ses disciples. D'autres représentaient un apôtre à genoux, tenu par les mains du Seigneur, ou encore le retour du Messie, vrombissant à travers les nuages, entouré d'anges claironnant dans leurs trompettes.

Il se peut que je les aie ratés, mais je n'ai vu ni crucifix, ni de Jésus sur la croix occupé à racheter tous les maux de l'humanité. Il n'y avait pas non plus de portraits de Joseph Smith – fondateur de l'Église – ou de symboles maçonniques – dont j'avais pourtant tant entendu parler. Je me suis dit qu'ils les installeraient peut-être plus tard mais, qu'à moins de me convertir, je ne le saurai jamais.

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Les caméras et les appareils photo n’étaient pas autorisés à l’intérieur. Les images ci-dessus datent de 2012 et ont été prises dans un temple mormon de Kansas City par la chaîne CNN.

Après avoir vu les fonts baptismaux, qui représentaient les douze tribus d'Israël, on est montés à l'étage. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser à Baal et au veau d'or. Ici, les Saints des Derniers Jours baptisent non seulement leurs adeptes, mais aussi des morts par procuration. Ils ne déterrent pas le corps mais prononcent le baptême sur un représentant vivant du mort. Cette pratique existe depuis 1840 et, récemment, une polémique a éclaté quand la communauté juive a appris que les Mormons « baptisaient » des victimes de la Shoah. Oups !

Désormais, dans la foi mormone, personne – peu importe la ferveur avec laquelle il invoque le Sang du Christ – ne peut entrer dans le Royaume de Dieu sans être baptisé. Étant donné que les seules options sont de vivre au paradis de Dieu pour l'éternité ou de pourrir en enfer, je n'ai jamais vraiment compris la polémique autour des baptêmes de morts. N'est-il pas généreux de la part de l'Église mormone de leur permettre un accès à leur paradis (l’unique en son genre) ? Si vous n’adhérez pas à leur foi, est-ce que cette action change vraiment quelque chose ? Et, si jamais les Mormons avaient raison, vous seriez bien contents qu’ils vous aient baptisé.

Non ? La pratique vous semble toujours immorale ? Rassurez-vous, l'Église des Saints des derniers jours ne pratique plus auprès des morts dont les proches pourraient ne pas apprécier l'idée.

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Peu après, on nous a conduits dans le vestiaire des hommes – là où les adeptes se revêtissent d'un tissu en lin blanc immaculé, mieux connu sous le nom de vêtements du temple ou « sous-vêtements mormons ». Ce costume symbolise la sainteté et représente une protection spirituelle contre la Tentation et le Mal. Malheureusement, ses pouvoirs n'ont pas pu m'être démontrés.

On a ensuite traversé un couloir dont les murs étaient recouverts de miroirs. J’ai éclaté d’un rire gras en me voyant reproduit à l'infini. Mes yeux ressemblaient à des boules disco. Merde. Pas étonnant qu'ils nous aient demandé de recouvrir nos pompes de chaussons et qu'ils aient recouvert les sols de plastique, ai-je pensé.

Chaque porte était ornée d'une pancarte indiquant la capacité maximale de la pièce. De nombreux écriteaux servaient à désigner les issues de secours. Je me suis alors demandé si les pompiers devaient être mormons pour pouvoir inspecter l'endroit, si certains temples à travers le pays avaient déjà pris feu, à combien revenait la facture d'électricité, et d'autres choses dans le genre. Toutes ces pancartes et les questions qu’elles ont suscitées m'ont un peu fait sortir de la magie du lieu en le déparant de sa noblesse. Et j’avais tendance à bloquer sur le moindre détail.

On nous a fait entrer dans la chambre d'ordonnance, là où les membres du culte se rassemblent pour vénérer Dieu et suivre ses directives. Personne ne pipait mot. Ce silence soudain m’a autant détendu qu’énervé. Je me suis mis à claquer inexplicablement des dents. J'avais déjà senti la présence de Dieu – ou un truc dans le genre –, mais ça n’a pas été le cas dans ces lieux, même sous prod.

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Juste à côté se trouvait la chambre d’étanchéité, là où les mariages sont célébrés et les enfants « liés » à leurs parents pour l'éternité. Ensuite, on a visité la Chambre céleste, un lieu d’introspection. Un lustre en cristal de près de 6 mètres de haut et de près d’une tonne ornait le plafond. Des vitraux décoraient la pièce du sol au plafond. Tout semblait conçu pour ressembler à l’Au-delà. Je baignais dans l’harmonie. J'avais l'impression d'être au paradis.

Brusquement, on nous a fait sortir du temple. J’ai pris une grande bouffée d’air frais avant d’enlever mes chaussons d’hôpital. Près de moi, des familles se prenaient en photo avec des fontaines. À proximité était monté un chapiteau dans lequel il était possible de rencontrer des mormons et de leur poser des questions. J'ai alors rencontré John, un ancien de l'Église, mormon depuis la naissance.

« Combien ça coûte, tout ça ? » ai-je demandé. John a haussé les épaules et murmuré quelque chose comme : « Je ne sais pas, mais certainement plusieurs millions de dollars. » Selon lui, aucune des dépenses n'avait été épargnée, les œuvres d'art provenaient de généreux donateurs, bla bla bla…

« Le chandelier est orné de vrais diamants ? » ai-je continué. « Peut-être » a répondu John. Quand je lui ai demandé s’il venait souvent au temple, il a souri et s'est exclamé « Oh oui ! Très souvent ». Il a ensuite expliqué à quel point cet endroit était parfait pour trouver la paix et se détendre. Ça m'a rendu un peu jaloux. Moi aussi, j’aimerais avoir une échappatoire immaculée comme la sienne.

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J'ai ensuite demandé à John ce qu’il pensait des baptêmes pour les morts et s'il en avait déjà fait lui-même. « Oui, bien sûr, tout le temps », a-t-il répondu, avec la même nonchalance que si je lui avais demandé à quelle fréquence il se coupait les ongles de pied. Rien de surprenant là-dedans – tous les Mormons à qui j’avais posé la question semblaient trouver ça tout à fait normal.

John m’a brièvement expliqué que, par respect pour les autres cultures, les Mormons ne baptisaient pas les morts dont les proches pourraient leur causer des ennuis. Il m’a dit que le baptême pour les morts faisait partie intégrante de l'apprentissage de sa propre généalogie, qu'il renforçait les liens entre membres de la même famille et permettait de rester en contact avec ses ancêtres.

Je lui ai demandé si, avant les bases de données numériques, ils avaient déjà fait des erreurs et baptisé des gens sans l'aval de leur famille. John s'est mis à rire mais l'a bien évidemment admis. Encore récemment, de nombreux Mormons souhaitaient être baptisés pour George Washington, Socrate et John Lennon. Mais il m’a certifié que ce type de problème n’arriverait plus et que la base de données généalogiques était désormais très bien organisée. Alléluia.

Au bout d’un moment, je me suis demandé si John avait remarqué que j’étais défoncé, mais plutôt que de sombrer dans la paranoïa, je me suis mis à rire tout seul. J’ai pris sur moi pour me retenir, mais je suis certain que mes yeux injectés de sang ont achevé de me trahir.

Le regard fuyant, John a insisté sur la sacralité des temples, tout en précisant qu’il ne s’y cachait pas le moindre secret. Apparemment, les Mormons ne font aucun rituel chelou, ils ne pensent pas que Joseph Smith est l’usurpateur de Jésus Christ, et non, ils ne remplacent pas les tapis du temple après les portes ouvertes – mais ils les nettoient au shampoing, cela dit.

Je ne cherchais pas à piéger John, mais j’étais sincèrement curieux d’en savoir plus sur ses principes. Après quelques questions supplémentaires, je lui ai serré la main vigoureusement avant de me barrer.

Je me suis senti éclairé, d’une certaine façon. Mais je ne peux pas vraiment attribuer cette illumination à ma visite du temple –  le LSD, cette découverte merveilleuse d'Albert Hofmann, avait sans doute une plus grande part de responsabilité.

@filth_filler