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LE PREMIER NUMÉRO

Corsican connection

Rusterucci, c’est le nom de ma mère. J’ai choisi de le garder contre son gré parce c’est un nom corse et que je le trouve sexy. Quand j’étais petite, je comprenais pas trop pourquoi elle en avait honte. À chaque fois qu’elle le prononce, elle le...

L’arrière grand-père de Mélanie dans un bar de Marseille (deuxième en partant de la gauche).

Rusterucci, c’est le nom de ma mère. J’ai choisi de le garder contre son gré parce c’est un nom corse et que je le trouve sexy. Quand j’étais petite, je comprenais pas trop pourquoi elle en avait honte. À chaque fois qu’elle le prononce, elle le francise au maximum. Tout ce que je savais c’est que son père était mort. Jusqu’à ce qu’un soir où elle s’était mise à l’envers, la vérité est tombée en même temps que la bouteille de J.B. Mon grand-père a été liquidé. Je ne voulais pas lui en reparler quand elle était à jeun. Donc dès qu’elle était un peu raide, je revenais discrètement à la charge en essayant de lui soutirer des infos, mais c’était toujours hyper obscur. «Ton grand-père, on lui a filé des godasses en béton pour lui apprendre à nager». Il ne s’agissait que d’une expression, mais j’y ai cru. Pourquoi répétait-elle qu’on ne savait pas où était le corps alors qu’il «avait les deux pieds dans le ciment dans le port de Marseille». Je m’imaginais avec un masque et des bouteilles, écumant les squelettes pleins de varech à la recherche de mon grand-père, qui n’était pas capitaine mais une petite frappe de merde. Papy donnait dans le trafic d’armes, les putes, la drogue, et les petites arnaques foireuses. Le quotidien de ma grand-mère, c’était de payer les cautions pour le libérer de prison et de s’arranger avec les flics corses, véreux aussi. L’ambiance du couple, c’était pas vraiment Sailor et Lula, genre «Je t’aime à la folie baby, j’essaye d’échafauder des plans pour te tirer de ce merdier». C’était plutôt : «Ferme ta gueule, appelle Ange et magne-toi le cul pour me faire sortir de ce cafuccio». Après qu’on l’ait calmé—probablement parce qu’il avait voulu faire le mariole en doublant ses copains—ma mère a continué de recevoir des menaces de mort pendant des années. Mais elle ne sait toujours pas où se trouve le corps. J’ai bien essayé d’appeler dans les bars de Bastia, comme celui de la Brise de Mer. Dans ce rade, une dizaine de personnes avaient créé une association de malfaiteurs hyper puissante et pétée de thunes après avoir réussi le casse du siècle, le braquage d’une succursale de l’UBS à Genève en 1990. Butin: 125 millions de francs, jamais retrouvés. Si les Briseurs ne sont ni en cabane, ni en cavale, ni canés, c’est que leur pacte de solidarité est resté indéfectible. Alors quand j’ai téléphoné en demandant si quelqu’un savait où était passé mon grand-père, on m’a répondu: «C’est bien triste petite, mais nous on le connaît pas ton babbone et on n’a rien à te dire. À vedeci!» Mon arrière grand-mère, qui était grecque, ne pouvait pas saquer mon grand-père, elle disait toujours qu’en fait, on ne l’avait pas buté, qu’il s’était juste tiré en douce pour pas payer la redevance télé. Ça me fait rire de penser qu’il s’est fait la malle avec une valise pleine de pascals. Si c’est vrai, il aura bien baisé tout le monde.