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Interviews

À la rencontre des communistes des beaux quartiers

Les gens du stand PC du 16ème arrondissement de la fête de l'Huma m'ont parlé de leur cohabitation – parfois difficile – avec leurs voisins bourgeois.

Le stand 16ème du Parti Communiste Français à la fête de l'Huma. Toutes les photos sont de Côme Laguarigue

J'ai toujours éprouvé une tendresse particulière pour les communistes français. D'abord, parce qu'il y en a dans ma famille. Mon grand-oncle Rémi notamment, qui selon ma grand-mère, pesait 37 kilos à son retour des camps de concentration. Ou encore ma mère, encartée dans les années 1970, à une époque où les militants FN pilaient du verre dans la colle de leurs affiches pour que les jeunes du Parti Comuniste se déchirent les doigts en les arrachant. Je trouve aussi que ce sont les meilleurs interlocuteurs pour un bon débat politique à l'ancienne qui, avec eux, comprendra inévitablement 45 minutes d'engueulade sur le conflit israélo-palestinien et se conclura sans doute par un « point Chavez », l'équivalent du point Godwin chez les mecs d'extrême gauche – à égalité avec les « un à deux millions » de personnes ayant péri sous le règne de Staline. En 2015, alors qu'ils ne font plus que 0,54 % aux élections, leur engagement pour la libération des peuples en dépit de la victoire du libéralisme international continue de m'émouvoir.

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C'est pour discuter avec ces gens et écouter de mauvais groupes dans la boue que le week-end dernier, je suis allée braver la pluie pour me rendre à la 80e édition de la Fête de l'Huma.

Au détour de l'avenue Salvador Allende, je suis tombée sur le stand de la section PC du 16 ème arrondissement de Paris. Désireuse de savoir ce que ça faisait d'être communiste dans le coin de Paris qui possède le plus de bourgeoises et le moins de logements sociaux, j'ai posé quelques questions aux personnes présentes sur le stand.

Louise, 55 ans, prof de yoga, habite au métro Kléber

Bonjour Louise, pas trop dur d'être membre du PC dans le 16ème ?
Je viens de Colmar, une ville où la droite fait 85 % aux élections présidentielles. En Alsace, le PC fait autour de 2 % des voix. Du coup, quand j'ai adhéré à la section du 16 ème, où je vis aujourd'hui, je n'ai pas été surprise : je suis habituée à être ultra-minoritaire ! Parfois, je rêve de vivre dans une municipalité communiste, notamment pour avoir plus de moyens, de stimulation, et puis je me dis après tout, je reste à ma place. Je ne suis peut-être qu'une goutte d'eau dans le 16 ème, mais au moins, j'existe.

Tes voisins savent que tu es communiste ?
Non. Je ne les connais pas trop… Ils sont tous propriétaires, alors que je suis locataire. Je tracte leurs boîtes aux lettres mais je ne vais pas leur dire que je suis au PC, déjà que quand j'en parle avec des amis, il me disent : « T'es un peu tarée »… [rires]

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Et avec les gens du quartier, ça se passe comment ?
On distribue des tracts sur des sujets d'actualité à Porte de Saint-Cloud ou au métro Victor Hugo. On vend l'Huma sur le marché, aussi. Souvent, on nous dit « Tiens, vous existez encore ? ». Il y a les grenouilles de bénitier qui nous font des remarques en sortant de la messe, par anticommunisme primaire. La semaine dernière, un monsieur m'a simplement dit en passant : « Le goulag ! Le goulag ! ». Ça ne me touche pas vraiment. Bien sûr qu'il faut parler des goulags, mais le PCF, ça n'est pas ça ! On croise aussi des gens des pays de l'Est qui ont souffert et qui nous interpellent. Eux, je comprends leur histoire. Heureusement, il y a aussi tout ceux qui nous félicitent, même des bourgeois de droite, parce que contrairement aux autres partis, ils voient qu'on est là toute l'année – pas que pour les élections.

Charles, 64 ans, adjoint à l'animation de la ville de Paris, habite au métro Passy.

Charles, tu as un nom de famille à particule, tu viens de quel milieu ?
Mon père était magistrat, ma mère était issue de la bourgeoisie. Mais la question, ce n'est pas l'origine, c'est ce qu'on en fait. Personnellement, j'ai fait mai 68 à Versailles puis j'ai adhéré au Parti en 1969.

La Mairie de Paris veut agrandir le parc HLM du 16ème, qui n'en possède que 3,7 % au lieu des 20 % réglementaires. Les habitants sont prêts à ça ?
Mais ils n'ont pas à être prêts ! Les décisions prises collectivement et par les élus de la République doivent s'appliquer partout. Le 16 ème, ce n'est pas un enclos coupé du monde… La solidarité est un problème de fond, dans cet arrondissement comme ailleurs.

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Ça t'arrive de te friter avec ceux qui ne sont pas d'accord avec toi ?
En tant que militants PC, ça nous arrive de nous faire agresser physiquement par des habitants qui ne supportent pas qu'un communiste ou un syndicaliste existe dans leur environnement. Généralement des types avec des profils de petits patrons, ou des cadres qui bavent et te lancent leurs glaviots dans la rue quand tu rentres chez toi. Mais ce qui est spécifique du 16 ème, c'est surtout une espèce de laisser-faire. Par exemple, tu croises une jolie bourgeoise avec un œil au beurre noir, mais comme il n'y a pas de conscience féministe ici, il ne se passera rien. Ou bien tu vas vers la rue de Passy, il y a un tag raciste très visible sur un mur, avec le mot négro dedans. Eh bien, il n'a jamais été effacé.

Éliane, 77 ans, prof retraitée, habite au métro Michel-Ange - Auteuil.

Bonjour Éliane, il paraît que tu vis au même endroit que Carla Bruni…
Oui, elle s'est installée au bout de ma rue, puis Sarko a emménagé là aussi. Ça ne m'a pas dérangée. Il faut bien qu'il habite quelque part ! Par contre, quand il était Président, ça coupait la circulation du pont de Garigliano jusqu'à la Porte de Passy… Je m'en fichais, mais chez le coiffeur, j'entendais les bourgeoises qui avaient voté pour lui se plaindre : « On lui offre un hôtel particulier et lui, il vient nous bloquer tout le quartier ! ».

Tes voisins savent que tu es au PC ?
Je suis abonnée à l'Huma et parfois, le journal arrive dans la mauvaise boîte aux lettres, alors ils sont au courant. Eux sont à mon avis tous de droite : je vois beaucoup de Figaro qui dépassent de leurs boîtes… Mais tout le monde reste très poli.

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Tu n'es jamais en colère contre eux ?
Je n'en veux pas aux gens, même si je pense que certains dans le quartier sont contents de savoir que des communistes se font trucider dans le monde. J'en veux à un système. Dans le 16 ème, il y a des zones que j'appelle des « Richistan » : des îlots où il n'y a que des milliardaires comme Bolloré. Je sais que nous ne sommes pas du même monde, on ne peut même pas accéder aux coins où ils habitent. Mais je m'énerve surtout quand je lis les infos, pas au quotidien. Ce qui me manque par contre, c'est que je ne ressens pas de sympathie pour les gens d'ici. Je n'irais pas engager la conversation au café, par exemple. Dans le 16 ème, il y a du respect, de la discrétion, mais pas de convivialité.

Tu as parfois des remarques à propos de tes idées politiques dans le quartier ?
Un jour, mon horloger a appris que j'étais communiste. Il a dit : « Non, pas vous ! ». Je lui ai répondu que si. Il m'a regardée et m'a lancé « Je n'aurais jamais cru, vous êtes si bien coiffée… ».

Bernard, 59 ans, retraité de l'EDF, travaillait à la station Trocadéro et vit à Argenteuil.

Salut Bernard, pourquoi adhérer au PC dans le 16ème ?
Je suis rentré à l'EDF en 1979, j'ai adhéré en 1980. Quand tu es exploité, tu adhères, et comme je travaillais dans ce quartier… Autour de nous, il y avait beaucoup de salariés, de jeunes qui vivaient dans des chambres de bonnes, d'étrangers… Militer ici, ça avait du sens à l'époque et ça en a toujours aujourd'hui. Certains habitants voudraient que le 16 ème soit réservé à une seule classe, ils pensent qu'ils sont chez eux, mais on ne va pas s'exiler à deux heures de transport de notre lieu de travail ! Et puis même si ce qui les intéresse, c'est faire de l'argent, c'est une population qui subit comme les autres.

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Tu penses qu'un jour les bourges du 16ème lutteront avec vous ?
C'est déjà arrivé. Il y a plusieurs années, on a mené une bataille contre la suppression d'une grande surface vers la rue de Passy qui devait être remplacée par un centre commercial haut de gamme. On a fait une pétition et on s'est retrouvé avec 2 000 signatures : les gens du quartier signaient. Ils sont contradictoires, mais eux aussi ont besoin de commerces de proximité. Une autre fois, on a organisé une manif pour le maintien de l'hôpital Henry Dunant. Les élus de droite, qui sentaient le vent tourner sur le sujet, sont descendus avec nous dans la rue. On n'a pas cherché à les y mettre, mais on a bien rigolé.

Beaucoup de gens voient la Fête de l'Huma comme un rassemblement de vieux idéalistes armés de guitares sèches. Tu en penses quoi ?
C'est une image ringarde, qui date du temps où on te suivait dans les allées pour que tu adhères. Aujourd'hui, on discute, on débat, et puis il y a l'aspect festif avec les concerts. C'est le plus grand rassemblement populaire de France, accessible à tous. Regarde les resto : tu as des menus variés et il y en a pour tous, quels que soient tes revenus.

Sur le stand du 16ème, vous vendez du couscous et de la paëlla. Par volonté internationaliste ?
Non, c'est juste ce qui part le mieux. Dans une fête, les gens ont envie de manger du couscous et de la paëlla, ou bien de la raclette. Une année, on a essayé de vendre du colombo, mais le copain qui cuisinait ne vendait rien.

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Walid, 59 ans, juriste, vit au métro Porte de Saint-Cloud.

Salut Walid, comment es-tu rentré au PC du 16ème ?
Au PC, par héritage familial. Mes parents libanais ne m'ont jamais forcé à le devenir, ils voulaient simplement que je choisisse. Mon père me disait : « La politique choisira ton avenir, alors autant que tu choisisses toi ». J'ai aussi été élevé par des femmes rebelles et pacifistes, comme ma tante Joséphine qui était couturière et qui fabriquait des colombes avec les chutes de tissus un fois son atelier fermé. Et puis arrivé en France, je me sentais de cœur avec les gens au chômage, que j'ai moi-même connu ensuite. Le 16 ème, c'est parce que je m'y suis installé avec ma femme, c'était pratique pour son travail.

Tu as parfois des problèmes en tant que communiste des beaux quartiers ?
Je fais de l'aide juridique aux Prud'hommes. Une fois, à Bobigny, une avocate a appris que je venais de la CGT du 16 ème. Elle a essayé de m'effrayer en me disant « Vous ne savez pas comme c'est dangereux, ici ! ». Comme si Bobigny, c'était le Texas… On avait aussi des remarques à l'époque où on avait un stand juste à côté de la grande scène à la fête de l'Huma. Les gens disaient : « Comment ça, le 16 ème est près de la scène ?». En plus, on était à côté du stand Champigny et là-bas, c'est beaucoup plus populaire…

Comment fait-on pour rester communiste en 2015 ?
Au Liban, j'ai connu le traumatisme de la guerre et j'ai vu ce que l'impérialisme peut créer comme conflit. En France, j'ai vu ce que le chômage faisait aux gens. Aujourd'hui, je veux la paix et je pense que le communisme est le système économique qui peut la ramener. J'ai espoir en les femmes, les hommes et les peuples pour changer ce système qui de toute façon ne peut pas durer.

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