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LE NUMÉRO DU GRAND PLONGEON

The Boys Are Bakken Town

Dans les champs pétroliers du Dakota du Nord, les gays se cherchent une communauté.

Mon seul lien avec les champs pétroliers du Dakota du Nord, c'était un jeune camionneur de 23 ans. Notre rencontre s'est faite via Grindr, l'application mobile pour gays. Il m'a envoyé une photo, nous avons échangé quelques détails sur nos vies et, quelques heures plus tard, je le retrouvais dans la chambre d'un hôtel bon marché de Williston.

Après notre rendez-vous, tandis que les températures chutaient à dix degrés sous le zéro, nous nous sommes réfugiés dans sa voiture pour fumer des clopes. Il ne me restait que 48 heures à passer dans la région, mais nous essayâmes tout de même de planifier une séance de tir pour le lendemain. Pour cela, il avait simplement besoin de savoir s'il pouvait s'absenter de son travail – ce qui n'est pas chose aisée pour quelqu'un habitué à des roulements de 16 heures, six jours par semaine.

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Je ne saurai jamais s'il fut autorisé ou non à se libérer, mais quand il m'annonça qu'il devait travailler, j'ai trouvé cela plausible. C'est un sacrifice auquel consent la quasi-totalité de ceux qui affluent dans le Dakota du Nord pour y trouver un job dans l'exploitation des gisements de schiste de la formation Bakken, le plus grand champ d'hydrocarbures encore inexploité des États-Unis. Lorsque vous travaillez dans l'industrie pétrolière, les cadences infernales et la fatigue laissent peu de place pour les romances.

« Ici, vous faites votre blé puis vous vous barrez », m'a dit un jour un autre gay de 23 ans qui travaillait pour une boîte de location de moteurs pour foreuses. « Ça a tendance à freiner les relations. »

Et ça laisse aussi peu de temps aux gays pour se construire une communauté. Les mentalités évoluent, mais l'héritage conservateur de l'État continue de peser sur les mœurs. Les relations entre homosexuels demeurent cantonnées à la sphère privée, tandis que les événements et les lieux LGBT sont d'une désespérante rareté. Les plateformes en ligne de type Grindr donnent donc un moyen à certains travailleurs gay de la région de se rencontrer. Mais ces interactions ne sont parfois pas suffisantes pour enrayer le sentiment général de solitude.

Car ici, l'homophobie n'est jamais bien loin. « J'étais dans un bar l'autre soir, lorsqu'un type m'a traité de "putain de pédé" », m'a raconté Jon Kelly, un robuste promoteur immobilier de 29 ans basé à Williston depuis quatre ans. Bien sûr, les sarcasmes alcoolisés ne se sont pas arrêtés. « Je l'ai frappé au visage et foutu au sol », se souvient Kelly. « Et je lui ai dit : "tu viens de te faire botter le cul par un putain de pédé." »

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À l'Outlaw Bar & Grill, une steak house de Williston, j'ai rencontré Jim, un natif du Wisconsin qui, à 52 ans, a deux fils et deux divorces derrière lui. Jim dirigeait son agence de pub lorsque tout s'est effondré en 2008 avec la récession. Il décida donc de s'installer au Dakota du Nord pour travailler dans l'élimination des eaux salées, un euphémisme qui désigne le processus de pompage des eaux usées que rejettent les différentes techniques de fracturation hydraulique.

« Je suis encore dans le placard, m'a confié Jim. La seule question que je me pose, c'est comment rencontrer l'homme idéal. Si je le rencontre, là je serai plus ouvert. »

Le placard reste la solution favorite des mecs de Bakken. Au cours de ma semaine dans le Dakota du Nord, j'ai parlé à une douzaine de travailleurs dans la même situation. Certains ne disent rien de peur de perdre leur emploi. D'autres refusent de créer des tensions sur leur lieu de travail.

Comme la grande majorité des salariés de la région, la plupart des compagnies dans le secteur pétrolier ne fournissent aucune protection contre les discriminations envers les travailleurs gays. Cela signifie que si vous assumez votre orientation sexuelle sur votre lieu de travail, en tant qu'ouvrier de forage ou conducteur de camion, votre boss a le droit de vous virer pour ça. Des protections existent pourtant dans certaines des plus grandes multinationales du secteur – chez Halliburton par exemple, ou le géant pétrolier Statoil. Mais à partir du moment où cette industrie s'appuie fortement sur la sous-traitance, cela n'a que très peu d'effets concrets. « Vous travaillez peut-être pour Statoil, mais vous êtes en réalité employé par une autre société, de sorte que ces protections peuvent ne pas s'étendre à l'autre employeur » explique Joshua Boschee, un législateur du Dakota du Nord qui tente de faire passer une loi interdisant les discriminations envers les LGBT dans l'accès à l'emploi et au logement.

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Durant la journée, Jim navigue sur Grindr à la recherche d'autres mecs de type « viril ». Il n'y a pas pénurie de ce côté-là et l'on croise nombre d'hommes arborant barbes et tatouages qui se revendiquent ouvertement « mecs forts ». En plus des réseaux sociaux – surtout lorsque vous ne pouvez pas saquer les bavardages – il y a Craigslist. Autrement dit, pas beaucoup de moyens pour Jim de rencontrer l'homme idéal. Il n'y a aucun bar gay de tout l'État. Le plus proche se trouve à sept heures de route, à Winnipeg, au Canada. Les trois plus grandes villes de l'État – Bismarck Grand Forks et Fargo – offrent bien des shows transformistes de temps en temps ; mais là encore, ces villes sont à des heures de Bakken.

Minot est une ville de 46 000 habitants et en expansion, située à l'extrême est des champs pétroliers. C'est ici que se trouve La Mecque des gays de Bakken. Il y a quelques années, James Lowe, un natif de Minot, 36 ans, et son ami James Falcon, ont contribué à l'organisation de rencontres hebdomadaires et de soirées trimestrielles LGBT. Mais des désaccords internes les ont contraints d'arrêter. L'année passée, le groupe Pride Minot a tenu chaque semaine une projection collective de l'émission gay RuPaul's Drag Race et compte bien continuer de diffuser la prochaine saison. Aujourd'hui, on compte toujours deux ou trois bars à Minot réputés pour attirer une assez grande clientèle gay – un mélange d'autochtones, de voyageurs et de travailleurs pétroliers ayant fait le déplacement.

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The Starlite Club, l'un des seuls bars LGBT de la région

Comparé à Williston, The Magic City – c'est le sobriquet de Minot – dispose d'une atmosphère cosmopolite. Au Starlite Club, un bar karaoké d'une petite zone commerciale située à deux pas de l'aéroport, j'ai traîné avec plusieurs gays, une fille bi et une hétéro qui se revendique gay friendly. Un tout autre groupe d'hétéros, tiré à quatre épingles dans la plus pure esthétique cow-boy contemporaine, se remuait au son des hymnes country de Kellie Pickler, Alabama et du Zac Brown Band. À une heure, lorsque le bar fermait ses portes, on m'a présenté à Essy Parizek, l'une des propriétaires du Starlite qui fait aussi office d'animatrice du karaoké.

« On s'en fout », m'a répondu Parizek lorsque je lui ai demandé pourquoi son bar était devenu l'un des endroits incontournables des LGBT du Dakota. « On veut seulement que tout le monde s'amuse – c'est tout. »

À Williston, au cœur de l'industrie pétrolière, les prémisses d'une communauté gay se construisent également. John Kelly organise de temps en temps des fêtes pour ses potes queer. Les invités ne sont pas nombreux, mais Kelly considère cela comme le signe d'une évolution plus générale.

« C'est le début de quelque chose ici, prédit Kelly. Ces dernières années, de plus en plus de gens ont décidé de s'assumer. »

Jason Marshall, 36 ans, vient d'accepter un emploi qui donne à son partenaire Cody une assurance santé. L'un des rares avantages pour les couples LGBT installés dans le Dakota du Nord.

Jason Marshall, 36 ans, est homme à tout faire sur une plateforme pétrolière. Récemment, il a accepté un poste dans une usine d'exploitation de gaz naturel à Lignite, une petite ville tranquille de 150 habitants à deux pas de la frontière canadienne. Geste peu commun pour la région, son nouvel employeur lui a offert quelques avantages à lui et son partenaire, Cody, qui envisage d'affirmer plus ouvertement encore sa sexualité dans les années à venir. Cody a affirmé qu'il n'était pas trop inquiet quant à l'accueil que lui réserverait sa prochaine ville. « C'est aussi bien de ne pas parler de ce genre de trucs », m'a-t-il dit.

Les innombrables autres – pauvres, solitaires et libidineux – galèrent pour se sentir bien à Bakken. « Je ne sais simplement pas quoi penser de ces gens-là, » souffle un gay de 22 ans originaire de Las Vegas, installé à Williston depuis peu. « Mec, c'est une ville bizarre. S'il n'y avait pas de thunes à se faire ici, je n'y vivrais pas. »