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reportage

J’ai suivi un cours de la LAPD pour apprendre à tuer moins de gens

La police de Los Angeles organise désormais des jeux de rôles pour apprendre aux flics à faire preuve de « respect pour la vie humaine ».
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
cours LAPD
Photos : Nate Miller

Il y a trois ans débutait le mouvement national pour une réforme de la police, qui vise notamment à résorber les meurtres extrajudiciaires d'hommes noirs. Mais selon un rapport de l a police de Los Angeles, en 2015, les agents ont ouvert le feu sur 60 % de personnes de plus qu'en 2014, et 21 % de ces personnes étaient noires. Sur les 38 personnes sur qui la LAPD a tiré l'année dernière, 21 sont décédées.

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C'est pourquoi le mardi 21 juin, je me suis muni d'un faux pistolet et d'une bombe lacrymogène afin de participer à des exercices de jeu de rôle organisés par la LAPD. Le but est d'apprendre aux flics à désamorcer une situation potentiellement violente.

L'année dernière, avant même que ne paraissent les statistiques des meurtres, le nouveau président de la commission de la LAPD, Matthew Johnson, a demandé un réexamen de tous les recours à une force mortelle de la dernière décennie. Johnson a constaté que les directives du ministère exhortant les agents à faire preuve de « respect pour la vie humaine » étaient bien trop vagues. La commission a déclaré que le meurtre devait représenter un cas de force majeure pour être justifié.

Ce dernier changement de politique ne faisait pas partie de l'entraînement auquel j'ai pris part.

On m'a donné un ceinturon pour ranger mon pistolet orange et ma bombe lacrymo, ainsi qu'un gilet électrifié qui délivrerait une légère secousse si le pistolet orange de quelqu'un d'autre me touchait.

Luann Pannell, directeur de la formation de la LAPD, a dit à mon groupe – qui comptait des personnalités de la télévision locale comme John Cádiz Klemack de NBC et Oswaldo Borraez d'Univision – que nous allions vivre cinq situations « basées sur la réalité », chacune ayant sa propre narration.

Plus important encore, nous allions jouer chaque scène avec des armes non létales – à savoir, en plus des bombes lacrymogènes, des tasers et des projectiles en sachets.

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Pour la première scène, on nous a dit qu'un type essayait peut-être de cambrioler des voitures. On nous a envoyé sur un parking pour enquêter. J'ai commencé à stresser, me demandant quel pouvait bien être le piège. Aurait-il secrètement une tronçonneuse, ou quelque chose comme ça ? Lorsque nous l'avons finalement trouvé, ce n'était qu'un type avec une casquette de baseball bleue, qui rôdait autour des voitures et avait l'air ennuyé que les flics viennent l'embêter.

J'ai soigneusement fouillé le type et lui ai fait mettre ses mains derrière sa tête. Tout d'abord, était-il en train de faire quelque chose de mal ? Cette information n'était pas spécifiée dans mon script. Mais ensuite, on m'a demandé en quoi j'avais fait preuve de « respect pour la vie humaine » au cours de cette intervention. Je n'avais pas vraiment de ré ponse à cette question.

Deux situations sur cinq impliquaient la maladie mentale. Ce qui paraît logique compte tenu que, selon le r apport 2015 sur le recours à la force de la LAPD, « 14 des 38 suspects impliqués dans les incidents [où des policiers étaient mêlés], c'est-à-dire 37 %, présentaient des symptômes de maladie mentale ». Dans l'un des scénarios, un mec était seul dans sa chambre et menaçait de se tuer avec un couteau (et peu importe notre opinion personnelle sur le droit de mourir, c'était notre job en tant que flics d'empêcher son suicide).

Un autre scénario mettait en scène le roi Bob, qui portait une couronne en aluminium et se baladait en plein milieu de la route pour aller voir – si je me souviens bien – des spationautes à qui il devait parler.

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À un moment donné, n'arrivant pas à le stopper, je lui ai demandé de se mettre à genoux. « À genoux ? Pour faire un tour ? J'ai essayé la semaine dernière et je n'ai pas aimé la façon dont ça s'est terminé », m'a dit le roi Bob. J'ai eu l'impression que l'acteur qui interprétait le personnage n'avait pas une vision particulièrement empathique des malades mentaux.

Mais l'expérience la plus éprouvante de la journée s'est déroulée dans un appartement miteux (décoré d'une fausse télévision cassée) où l'on nous a signalé qu'un homme se bagarrait avec une femme enceinte. J'ai été chargé d'utiliser la force meurtrière dans cette situation, mais pas d'être le négociateur principal.

J'ai un peu dépassé les limites et ai essayé de prendre le contrôle de la situation.

Dès le départ, l'homme était irrationnel. Je lui ai intimé l'ordre de s'éloigner de nous et de mettre ses mains derrière sa tête, comme je le fais toujours avec les suspects indisciplinés, mais il n'a pas écouté et a continué de crier.

« J'aurais dû t'achever hier! », a-t-il lancé à sa compagne.

« Mettez-vous contre le mur et mettez vos mains en évidence ! », ai-je crié, surpris par l'intensité de ma propre colère.

Mais soudain, il a sorti un couteau. « Je vais t'achever dès maintenant », a-t-il dit en s'avançant vers elle, les yeux rivés sur son ventre rond.

Après avoir quelque peu lutté avec mon étui, j'ai saisi mon arme et ai tiré. Le tir a suffi à déclencher le gilet de l'homme – il est tombé entre la table basse et le canapé, sans vie. Je suis resté au-dessus de son corps, terrifié à l'idée d'avoir pris la mauvaise dé cision.

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Le débriefing post-scène s'est déroulé normalement. Une nouvelle fois, on m'a demandé en quoi j'avais fait preuve de « respect de la vie humaine » pendant la simulation. « Je n'ai pas tiré immédiatement », ai-je répondu.

L'organisateur de cette scène, l' agent Nathan Hooper, m'a fait remarquer que j'avais d'autres options. « Vous aviez les projectiles. Vous aviez le taser. Vous aviez la bombe lacrymogène. À aucun moment vous n'avez songé à les utiliser? »

Je n'y ai pas pensé. En y repensant, je me rends compte que j'avais certainement le temps d'utiliser des options moins létales, mais j'ai attendu que le suspect soit vraiment déterminé à utiliser la force mortelle pour agir en conséquence. Malgré le fait que j'ai attendu, mon acte représentait tout de même un ultime recours, et je pense que le commissaire Matt Johnson l'aurait reconnu.

Après ça, Hooper s'est approché de moi dans le couloir et m'a serré la main de manière rassurante. « Beau boulot », m'a-t-il dit. « Vous avez sauvé une vie. »

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