Une journée entière dans le métro parisien

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reportage

Une journée entière dans le métro parisien

J'ai passé 9 heures d'affilée dans le métro pour prendre en photo ses usagers.

Toutes les photos sont de Félix Macherez.

Tous les usagers RATP le savent : le métro est à la fois le système de transport le plus efficace et le plus relou. Ça pue la pisse, l'air y est toxique, certains types se frottent aux femmes et les rames débordent aux heures de pointes. Pourtant, chaque année, un milliard et demi d'individus descendent au sous-sol de la capitale française pour se déplacer un peu partout dans Paris et sa (proche) banlieue. Le métro est, en somme, un lieu où se côtoient travailleurs, étudiants, touristes, retraités, clochards, musiciens, familles, crackheads sobres, et crackheads défoncés.

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Le métro parisien comporte seize lignes – essentiellement souterraines – qui s'étalent sur 205 kilomètres de rails, dispose de plus de 300 stations et compte plus de 4 millions de passagers en moyenne chaque jour. Afin de voir quel était l'agencement spatial et social du niveau -1 de Paris, j'ai erré de stations en stations pendant neuf heures, non-stop. De 10 heures à 19 heures, j'ai pris un maximum de lignes de métro, juste pour pouvoir photographier ses usagers.

Je voulais montrer la vie dans le métro, les gens qui s'y emmerdent de façon plus ou moins ostensible, et le changement d'ambiance, de vie et de comptes en banque d'une station à l'autre. Tout simplement, je voulais voir si on pouvait comprendre les différences sociales parisiennes de l'intérieur.

Car je suis persuadé que les émotions se forment à l'intérieur des individus, avant de s'incarner sur leurs visages. Pour moi, ce modèle peut s'appliquer à l'ensemble de la société. Et en ce sens, le métro est plus « vrai » que l'extérieur, dit plus de choses sur la société que le joli Paris que l'on voit à l'air libre. Il m'a d'ailleurs suffi de prendre la ligne principale de la ville de bout en bout – la célèbre ligne 4, qui part de la Porte de Clignancourt et descend dans le Sud en direction de Mairie de Montrouge – pour m'en persuader. J'ai vu passer tout Paris, par saccades.

Les heures passant, j'ai compris que ma première vision, simpliste, de fractions visibles entre quartiers riches et populaires, était en réalité assez juste. On peut assister à d'importantes différences entre chaque ligne de métro et chaque station – matériel plus ou moins récent, nombre de passagers dans les rames, différences de looks entre usagers, stations plus ou moins clean, etc. – simplement en regardant autour de soi.

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De fait, pour savoir dans quel quartier de Paris on se trouve, et sans jamais regarder le nom de la station, il suffit de mater la gueule des personnes qui attendent sur les quais. Ou celles de ceux qui montent. Ça marche (quasiment) à chaque fois. Les stations sont souvent à l'image du dynamisme économique du quartier. Les différences sociales sont marquées d'une ligne à l'autre, suivant la zone géographique que l'on traverse. Et comme je m'y attendais, les types et femmes qui sortent de la rame dans les quartiers aisés, d'affaires ou touristiques sont généralement des gens privilégiés. Leurs stations à eux sont propres, bien décorées.

Le matin, j'ai erré dans les rames, sans itinéraire précis. J'essayais de ne pas me préoccuper des correspondances. Puis j'ai décidé de me mettre à quadriller le réseau. J'étais à Place de Clichy (où l'on trouve un gros brassage socioculturel) à 14 heures. Puis j'ai opté pour un changement ligne 13 / ligne 1 à Champs-Élysées Clémenceau, en plein quartier de tourisme, uniquement habité par la grande bourgeoisie internationale. J'ai ensuite suivi l'itinéraire de la ligne jaune, la 1. Rien à voir avec la 13. Je suis passé d'une foule hyper dense, métissée et jeune, à des hommes d'affaires en attaché-case entourés de quelques touristes épars. Eux aussi attendaient leur train. Sans bruit.

Ailleurs, à partir de Gare de l'Est sur la 4, j'ai assisté à un phénomène marquant. Je suis tombé sur un nombre incalculable de personnes sans domicile fixe et/ou droguées. Tous se réfugient au fond des stations du Nord de Paris afin de dormir au chaud ou de fumer leur caillou à l'ombre. Les fumeurs de crack ne se cachent presque plus en 2016. Ils fument sous des bâches en polypropylène ou derrière les poubelles des stations, en feignant de fouiller dans leurs sacs. Le plus inquiétant, c'est que tout le monde s'en fout. Les Parisiens sont habitués à ces piliers du monde souterrain.

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Ces hommes et femmes qui passent leur journée entière sur les quais vivent dans une ambiance de casino – sans avoir la chance de gagner le moindre lot. Ils vivent loin du soleil, de la lumière du jour, sans repère de temps. Ce sont des vampires. Quand je passais devant eux, ils avaient l'air d'attendre que ça se passe. Ils mataient les voyageurs qui défilaient, impassibles. Ils doivent sans doute faire ça jusqu'à la fermeture des stations, vers une heure du matin.

Si vous prenez le métro pour aller bosser, il est probable que vous n'ayez jamais passé plus de deux heures et demie (aller et retour) dans un transport en commun – ce qui est déjà l'horreur. J'y suis resté près de 10 heures. Au bout de la sixième heure, j'ai basculé dans une sensation de nervosité extrême. Malgré tout, je m'emmerdais peut-être moins que les usagers habituels. Car il s'agit d'une constante : les gens se font profondément chier quand ils sont en transition – et ce, toutes stations confondues . Certains lisent des bouquins ou les messages sur le portable des autres, d'autres écoutent de la musique. Les jeunes jouent à des jeux débiles sur leurs téléphones.

À 19 heures, j'ai pris des photos des gens qui s'empilaient dans les rames à la sortie du bureau – le dernier stress après le stress quotidien. Et je me suis tiré.

En rentrant, j'ai revu un type d'une quarantaine d'années qui pionçait à la station Strasbourg Saint-Denis ; il était précisément dans la même position et au même endroit que quand je l'avais croisé neuf heures plus tôt. Je lui ai donné la monnaie qui me restait dans la poche après l'achat d'un paquet de M&M's. Et je suis remonté à la surface.

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