Drogue

Les fumeurs de weed à l'épreuve du confinement

La France est le plus gros pays consommateur de cannabis en Europe. À l’heure du confinement généralisé, les fumeurs font face.
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Photo de Oskar Malm 

Si le confinement est nécessaire pour endiguer l'épidémie de coronavirus qui ronge notre planète, certains souffrent un peu plus que d'autres. Muni de mon attestation de sortie lors de mes courses alimentaires, je fais un détour par le four du quartier et je constate que la file d’attente, bien que respectant les distances de sécurité en vigueur, ne désemplit pas et ferait presque de l'ombre à celle de Franprix. Aux quatre coins du pays, j’ai contacté mes amis d’abord pour prendre des nouvelles, puis pour leur poser la question « et sinon tu réussis à pécho ? » Si pour les fumeurs des grandes métropoles les livraisons continuent, ceux des plus petites villes commencent à finir leurs pochons avec inquiétude.

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Clara, 24 ans, vendeuse – Lille

« Mon dealer me répond plus ! C’est une vieille connaissance qui fait pousser lui-même ou importe d’Amsterdam. Elle est bonne, pas chère et livrée en voiture. Quand j’étais en dépression je fumais à haute dose, au moins un gramme par jour. Aujourd’hui c’est un joint tous les soirs pour dormir en tant que grosse insomniaque chronique et parfois aussi quand j’ai des douleurs menstruelles. Malheureusement j’ai fini ce que j’avais ramené de Paris il y a deux jours et du coup… je n’arrive plus à m’endormir.

Personnellement je ne risquerai pas d’aller dans un four, j’ai du mal à me faire à l’idée de me faire servir par un gamin de quinze ans, mais aussi parce que je suis confinée chez ma mère qui fait partie de la population à risque : je ne mettrai pas sa santé en jeu pour ça. Après si ça continue les soirs où je n’arrive pas à dormir plus de 3 heures par nuit, je commanderai du CBD sur les sites légaux en ligne… Ça me saoule éthiquement de faire bosser le circuit de livraison, ça fait une semaine que je gueule sur les gens qui se font livrer de la bouffe et Amazon. Mais faire un confinement de plus d’un mois sans dormir je pense que c’est une très mauvaise idée aussi… C’est quand même hautement addictif cette « douce fleur » j’avoue avoir un peu peur de retomber dedans par trop fort manque… »

Louis, 24 ans, étudiant, Paris XXe

« Avec le confinement, j'ai essayé de me procurer de la weed, bien sûr, et j'essaye toujours. J'ai contacté mes dealers habituels : soit pas de réponse, soit des réponses me disant que l'activité était suspendue à cause des contrôles. Je suis donc allé sur Twitter pour en trouver via le hashtag #weed ou #beuh mais les vendeurs étaient beaucoup trop louches dans leurs manières de s'exprimer, ils voulaient aussi que je paye en code neosurf avant la livraison… Bref, je n’avais pas envie de me faire arnaquer, donc j'ai renoncé.

« Ces derniers jours j’ai grave envie de fumer mais je pense aussi aux dealers, dont la situation n’est pas simple, comme celle des caissières ou des livreurs Deliveroo »

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J'ai aussi essayé Snapchat, je me suis créé un compte pour l'occasion, mais là aussi les réponses étaient similaires à celles de Twitter. Je pense que des mecs se sont dit que c'était le bon moment pour arnaquer des gens en manque. Dernière solution : aller directement chez les vendeurs, dans les points de vente, ce que je ne fais plus depuis le lycée. Ces derniers jours j’ai grave envie de fumer mais je pense aussi aux dealers, dont la situation n’est pas simple, comme celle des caissières ou des livreurs Deliveroo. C'est souvent des gens en situation précaire, et le confinement accentue cette précarité. »

Jean, 21 ans, artiste, Toulouse

« Je n’ai pas fait de provisions avant le confinement. Je n’ai pas eu le temps de pecho assez pour être tranquille. Je suis donc parti chez ma mère avec 10-12g, donc pas assez pour 45 jours de confinement. Et c’est la première fois de ma vie que je suis dans une situation où je ne suis pas certain de pouvoir fumer comme je le souhaite. Alors j’essaie de trouver un dealer ici, mais c’est compliqué. Pas grand monde fume ici, ce n’est pas dans la culture. Donc pas de demande égale pas d’offre.

Alors je tape dans mes réserves en espérant que cette merde ne dure pas trop longtemps. J’essaie de me limiter d’en profiter pour essayer de réduire encore, mais c’est des mécanismes que crée mon cerveau pour me rassurer. La vérité c’est que je suis en panique de ne plus avoir de cons au bout d’un moment. Le sevrage n’a donc pas encore commencé, mais je le redoute. Je le redoute largement plus que le virus d’ailleurs. »

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Lucas, 25 ans, employé de distribution et livreur, Pau

« J’étais censé faire des provisions avant le confinement. J’avais anticipé en prenant vingt grammes, ce que je fume habituellement en un mois : eh bien ça m’a fait dix jours. Ici c’est une petite ville, donc en tant que consommateur tu connais toujours deux trois plans, mais pas plus. Et en général quand l’un d’entre eux est en dèche, le second l’est souvent aussi…

« La peur de transmettre le virus aux autres est là, ce n’est pas simple »

Je suis confiné à la maison en permanence avec ma copine mais je le vis comme la continuité de mon quotidien, vu que je bosse de nuit la majeure partie du temps comme livreur. Quand tu es enfermé chez toi, ta consommation augmente forcément et ça, je le ressens. A côté de ça, il y a aussi le stress lié au boulot, vu que je travaille aussi dans la grande distribution certains jours. Donc la peur de transmettre le virus aux autres est là, ce n’est pas simple, même si on doit continuer à bosser. »

Alexis Peschard, addictologue, GAE Conseil

« Dans le cas d’un arrêt brutal, voulu ou "subi " dans le cadre par exemple des difficultés actuelles d’approvisionnement lié au confinement, les consommateurs peuvent vivre un syndrome de sevrage caractérisé par une irritabilité, une perturbation du rythme de sommeil, une humeur dépressive, une perte d’appétit ou encore une transpiration importante. La plupart des signes de sevrages disparaissent en général entre 1 semaine à 1 mois, les troubles du sommeil étant les plus long à se dissiper.

Concernant le sevrage, il est recommandé aux consommateurs quels que soit les cas particuliers et la spécificité actuelle du confinement, de ne pas rester seuls et de solliciter l’aide des professionnels comme Drogues Info Service et/ou Tabac Info Service. Il existe également aujourd’hui différents forums et chats spécialisés, comme le groupe Facebook « Ensemble on est plus fort ».

Pour des consommateurs occasionnels de cannabis, le risque est d’augmenter outre les effets négatifs leur dépendance psychique et physique et de rester post-confinement des consommateurs réguliers. À long terme, les effets d’une augmentation de la consommation et d’une consommation régulière seront notamment : des troubles cognitifs et de la mémoire à court terme, des difficultés de concentration, une baisse de la motivation et une apparition de symptômes dépressifs, une apparition ou augmentation de troubles anxieux. »

Louis est sur Twitter.

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