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Ne dites surtout pas à Nosaj Thing qu’il fait de la musique pour clubs

À chacun de ses albums, Nosaj Thing a toujours réussi à multiplier les pistes sans chercher vraiment à uniformiser un son, et sans tomber non plus dans le piège des disques fourre-tout où l’ambiance change si souvent qu’on en vient à craindre que l’artiste lui-même ne sait pas exactement où il va. Chez le Californien, aucun problème de ce genre : c’est un producteur habile, un artiste capable de concocter des beats pour le gratin de la scène hip-hop (Chance The Rapper, Kendrick Lamar, Kid Cudi) tout en balançant des albums exigeants, qu’on réécoute régulièrement afin d’en percevoir les multiples nuances. Le quatrième, Parallels, sorti le 8 septembre, ne déroge pas à la règle : un disque immersif, profond et riche de mille détails.

Mais plutôt que de tomber dans une chronique trop courte et donc légèrement vaine, laissons la parole au principal intéressé. Après tout, ce bon vieux Jason Chung a un tas de choses à dire, sur le hip-hop, sur les téléphones portables, sur le cambriolage de son studio et même sur Björk.

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Noisey : En 2013, tu as fondé ton propre label, Timetable. Pourtant, tu sors une nouvelle fois ton nouvel album sur Innovative Leisure. Pourquoi ça ?
Jason Chung : Parce qu’il me fallait un label pour diffuser ma musique à plus grande échelle. Timetable a avant tout été crée pour me permettre de mettre en lumière la musique des autres, celles de mes amis. Il me permet aussi d’explorer d’autres choses artistiquement, de mettre en place des shows visuels grâce aux différents gars que je côtoie à Los Angeles. C’est en cela que Timetable est important, et je compte bien continuer à le développer. Si Innovative Leisure n’avait pas accepté de gérer le catalogue du label, la situation aurait d’ailleurs été différente aujourd’hui.

Parallels marque une certaine évolution dans ton son. Un peu comme si tu ne pouvais pas concevoir un nouvel album sans tout remettre en cause…
C’est vrai que, ces dernières années, j’ai beaucoup changé de styles. Quand j’ai commencé, j’étais plus ancré dans le hip-hop, puis j’ai évolué vers quelque chose de plus pop, porté par davantage de vocalises et d’influences venant de l’indie-rock… Le troisième album, en revanche, ressemble davantage à un mélange de tout ça, dans le sens où je l’avais composé sans arrières pensées, simplement au feeling. Pour Parallels, c’était encore différent. Lors de la tournée de Fated, je me suis fait voler tout ce qui était dans mon studio, y compris les morceaux sur lesquels j’étais en train de travailler. Et, crois-moi, il y avait de la matière pour au moins deux albums…. Forcément, ça m’a mis un coup, mais ça m’a également permis de recentrer mon propos. À partir de cet instant, j’ai vu la composition comme une thérapie, comme un moyen de me sentir mieux.

Le fait que chaque album corresponde à une période de ta vie, tu as bien conscience que ça sonne un peu cliché, non ?
[Rires] C’est pourtant vrai ! À l’époque de Fated, par exemple, je n’avais pas de lieu spécifique pour composer et je pense que ça se ressentait. Je n’arrivais pas à me concentrer facilement, et c’est sans doute ce qui explique pourquoi les chansons sont si courtes sur ce disque. Cette évolution d’un disque à l’autre n’est pas forcément voulue, mais elle reflète à chaque fois des changements personnels.

Ça s’est passé comment pour Parallels, dans ce cas ?
Ça été très étrange parce que ça correspondait à un moment où je travaillais un peu plus en tant que musicien de studio. Un jour, je bossais sur le titre hip-hop de quelqu’un d’autre, puis je me remettais à composer mon album avant de mettre tout ça de côté pour mettre au point les différents DJ’s set que j’avais à donner. J’ai vraiment aimé cette façon de varier les plaisirs, mais je pense aussi que ça reflète un peu la structure de l’album. Parallels, c’est sans doute le disque le plus varié que j’ai pu faire. Et là encore, ça donne une vision de ce que j’écoute. Quand je suis chez moi, par exemple, j’aime écouter du jazz et du R&B, alors que, lorsque je suis en voiture, je n’écoute que du hip-hop. Pareil, quand je suis en club, je veux surtout entendre des gros sons techno. Je voulais donc un disque qui illustre toutes ces envies tout en proposant quelque chose de cohérent.

Parallels a beau être très varié, il doit bien avoir un son qui te rend plus fier qu’un autre ?
J’aime beaucoup l’idée de « Form », le troisième morceau de l’album. Les notes sont les mêmes pendant trois minutes, il n’y a pas beaucoup de variations, mais j’aime bien cette idée de répétition. La façon dont le morceau a été créé est particulière également : les voix sont en fait des conversations que j’ai enregistrées dans un musée à Los Angeles, tandis que les notes de synthés ont été jouées presque constamment pendant deux jours chez moi. Ce n’est pas une méthode de composition habituelle pour moi, mais j’ai trouvé ce processus très excitant. C’est aussi très important de changer constamment notre approche de la composition, surtout aujourd’hui, quand on sait comment la musique est consommée. Le fait que l’on en écoute sur son iPhone ou son ordi, ça doit être pris en compte.

Le format album ne te paraît plus pertinent aujourd’hui ?
Si, au contraire. Je pense qu’il permet de raconter une histoire et de montrer un certain éventail de son travail, mais c’est vrai aussi que les gens semblent moins intéressés par ce format aujourd’hui. L’époque ne permet plus de prendre son temps pour écouter encore et encore un même album. Il y a trop de morceaux qui sortent, trop de tentations extérieures pour se focaliser uniquement sur trois ou quatre albums. C’est dommage parce que ça nous pousse à simplement écouter une ou deux fois un disque, même quand il s’agit de celui d’un de nos artistes favoris…

Sur Parallels, tu collabores une nouvelle fois avec différents vocalistes : Steve Spacek, Zuri, la fille de Ziggy Marley, et Kazu Makino. Il y a des chanteurs ou des chanteuses avec qui tu aimerais travailler ?
Je cite souvent Björk quand on me pose cette question. Tout simplement parce qu’elle me fascine et qu’elle fait vraiment partie de ces artistes qui me donnent envie de réfléchir à mes morceaux en pensant à l’aspect songwriting. Je suis déjà en train de penser à mon prochain projet, et je peux te dire qu’il devrait y avoir encore plus de voix.

Tu l’as dit tout à l’heure, tu viens du hip-hop et tu voues un culte à J. Dilla, Timbaland et The Neptunes. J’imagine que travailler avec des chanteurs ou des rappeurs a toujours été ton ambition, non ?
Carrément ! Depuis que j’ai 13 ans, je m’amuse à composer et à remixer dans ma chambre. Au début, je m’amusais à recréer les sons de mes producteurs préférés, mais ça a vite évolué. Quand Napster et YouTube sont apparus, par exemple, ça a tout changé. Le fait d’être exposé à tout types de sons, ça m’a donné envie d’essayer plein de choses, de mêler mes influences hip-hop à des sons nettement plus étranges, venus de la noise ou de la musique expérimentale. Tout ça a fini par ressortir de façon naturelle, et je pense que c’est ce qui me caractérise un peu aujourd’hui.

Ça ne t’a jamais intéressé de courir après les tubes comme ont pu le faire Timbaland et The Neptunes ?
Si, totalement. J’adorerais faire des projets plus pop comme ils ont pu le faire. Cette capacité à composer des singles tout en étant exigeant et avant-gardiste, c’est vraiment l’un de mes objectifs. J’espère réussir à m’orienter dans cette direction sur mon prochain projet.

Il y a une différence entre le fait de travailler avec Kendrick Lamar et Kazu Makino ?
Ce n’est pas leur style qui rend la collaboration différente, mais leurs personnalités. D’un rappeur à l’autre, tout peut changer également. Et c’est pareil lorsqu’il s’agit de personnalités aussi différentes que Kendrick Lamar et Kazu. Après, ça n’est pas un problème pour moi. Je sais que je peux m’adapter à tout. Le fait de ne pas trop forcer les choses en studio, de ne pas trop chercher à diriger les artistes, je pense que c’est une force. Ça permet aux choses de se faire d’elles-mêmes.

Dans une interview, tu disais ne pas être branché clubs. Tu penses que ta musique doit s’écouter dans quel endroit ?
Je ne sais pas où j’ai dis ça, mais il y a dû avoir une incompréhension… J’aime aller en club, surtout lorsque je suis à l’extérieur de Los Angeles. Ici, il y a peu d’endroits qui me font rêver, cette ville est surtout importante à mes yeux parce qu’elle permet à quiconque de disparaître facilement, de s’isoler et de plonger dans son propre monde… Mais pour revenir à ta question, je suis assez d’accord sur le fait que ma musique n’est pas spécialement destinée aux boîtes de nuit. Ni aux salles de concert, d’ailleurs : il y a beaucoup trop de distraction au sein de ces endroits. Ma musique, à l’inverse, est faite pour des lieux spécifiques, des lieux où on pourrait oublier qui on est et où les téléphones portables seraient interdits.


Maxime Delcourt est sur Noisey.