Sans même être gelés, des conducteurs pourraient voir leur permis de conduire suspendu pour trois mois, en raison du THC présent dans leur salive.La loi québécoise prévoit la « tolérance zéro » en matière de cannabis au volant, une nouvelle infraction pénale au Code de la route. En vertu de cette loi, un conducteur sera sanctionné peu importe la quantité de THC dans son système. Les policiers l’appliqueront au moyen d’appareils de détection salivaire, dont la fiabilité est mise en doute.
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On a appris lundi soir que le gouvernement du Canada avait autorisé l’utilisation du Dräger DrugTest 5000, un appareil capable de détecter plusieurs drogues, dont le cannabis.
Il est pour l’instant impossible de confirmer s’il s’agit de l’appareil qu’on compte employer au Québec. La relationniste du ministère de la Sécurité publique a simplement indiqué qu’on emploierait un appareil « approuvé par le ministère de la Justice fédéral ».Or, l’emploi du Dräger DrugTest 5000 serait « une mauvaise idée » pour appliquer la tolérance zéro, parce qu’il n’est « absolument pas fiable », dénonce l’avocate Kyla Lee, spécialisée en défense de personnes accusées de conduite avec facultés affaiblies.Elle souligne que l’appareil est susceptible de créer des faux positifs, surtout lorsqu’il est utilisé à des températures plus basses que 4 degrés Celsius – ce qui, au Québec, est très courant au moins six mois par année.
Même dans des températures plus clémentes, l’appareil a de quoi inquiéter. Une étude publiée cette année dans le Journal of Analytical Toxicology, menée auprès de plus de 300 conducteurs norvégiens, indique que les faux positifs du Dräger DrugTest 5000 pour le cannabis s’élevaient à 14,5 %.Dans une autre étude réalisée auprès de consommateurs chroniques de cannabis, le Dräger DrugTest 5000 a détecté la présence de THC dans la salive de certains sujets jusqu’à trente heures après qu’ils eurent fumé un joint.
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Me Lee juge que la loi québécoise « va à l’encontre de la science ». L’avocate dénonce qu’en vertu de cette « tolérance zéro », des conducteurs pourraient se retrouver avec un dossier judiciaire, que leurs capacités de conduite aient été affaiblies par le cannabis ou non. « Ça peut avoir un très grand impact sur l’employabilité. Plusieurs emplois et postes bénévoles requièrent le dossier du conducteur. »Elle croit que la loi québécoise pourrait rapidement faire l’objet d’une contestation constitutionnelle.Sur ce dernier point, l’expert-conseil juridique de l’École nationale de police du Québec, Me Maxime Laroche, est d’accord. Il n’ose pas se prononcer sur la fiabilité des appareils; ce n’est pas son domaine. Mais celui qui est également procureur de la couronne dit qu’il est inutile de se mettre la tête dans le sable.« C’est sûr et certain qu’il va y avoir des contestations devant la Cour », comme cela s’est déjà observé dans d’autres pays qui utilisent ces appareils, rappelle-t-il.« Ce qui sera intéressant de voir au cours des prochaines années, c’est quelles sont les attaques qui seront faites par les avocats de la défense à l’égard de ces appareils – et comment les tribunaux, et éventuellement la Cour suprême, vont y répondre. »Pour sa part, le Code criminel ne prévoit aucune sanction si un conducteur affiche une concentration de moins de deux nanogrammes de THC par millilitre de sang. Cependant, selon la nouvelle loi adoptée par Ottawa, il ne sera plus obligatoire de démontrer qu’un conducteur a les facultés affaiblies pour l’accuser au criminel, il faut seulement y déceler une certaine quantité de cannabis.L’avocate Kyla Lee prévoit faire une contestation constitutionnelle de cette nouvelle loi.
Contestations à prévoir au fédéral
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Elle rappelle que le THC est stocké dans les cellules adipeuses, et se libère lentement dans le sang. Cela veut dire que le sang peut présenter un haut taux de THC longtemps après la consommation, même si la drogue n’affecte plus les facultés cognitives ou motrices du consommateur.« On crée des lois à partir d’une science qui n’est pas à terme. Vous ne pouvez pas même trouver de consensus dans la communauté scientifique, à savoir à quel niveau le cannabis affecte réellement la conduite. On crée des lois sans fondement scientifique », dénonce l’avocate.Elle n’attend qu’un client lui arrive avec un tel dossier pour prendre la voie des tribunaux et faire invalider la loi. Pour ce faire, elle va travailler de concert avec l’avocat criminaliste Paul Doroshenko.
Voici ce qui se passe quand un policier soupçonne un conducteur d'être gelé
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On n’arrive pas à faire la prise de sang en deux heures? La police peut opter pour une détermination que le conducteur a les facultés affaiblies. On fait alors appel à un agent-évaluateur, qui réalise une série de 12 tests, dont l’évaluation de la dilatation des pupilles et la prise du pouls. Il va généralement prélever un échantillon d’urine pour confirmer la présence de drogue dans l’organisme du suspect.
À noter qu’à partir du 18 décembre, date où certaines nouvelles applications de la loi fédérale vont entrer en vigueur, tous ces tests pourront être effectués en parallèle. C’est-à-dire qu’un policier pourra prendre l’échantillon salivaire, commander la prise de sang et faire appel à l’agent-évaluateur.Selon les résultats des tests, le conducteur pourrait alors se retrouver avec une infraction pénale en vertu de la tolérance zéro du Québec (si le test salivaire est positif), une infraction criminelle en vertu des taux de THC dans le sang (si le test sanguin révèle une quantité suffisante de THC), et une infraction criminelle en vertu de la conduite avec facultés affaiblies (si l’évaluateur en fait la détermination).Dans tous les cas, Me Kyla Lee conseille de faire appel à un avocat.Pour plus d’articles comme celui-ci, inscrivez-vous à notre infolettre.