Comment la start-up nation monétise vos cuites
Photo : Yedihael Canat  

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Comment la start-up nation monétise vos cuites

Bientôt, un drone viendra vous déposer un gin tonic directement dans la main.

La consommation d’alcool est presque aussi ancienne que l’humanité. Les historiens en situent l’apparition au début du néolithique, soit au moment où l’Homme a arrêté de voyager, pour aller aux champs tous les matins et se coucher tous les soirs dans le même lit. Chacun en tirera les conclusions qui s’imposent.

Bref, de tout temps, les humains installés dans une routine ont consommé de l’alcool. Et de tout temps, certains d’entre eux ont fait du fric avec. Le marché s’est longtemps distingué par une simplicité qui inspire le respect : production ⇒ vente ⇒ consommation. Même le capitalisme et les petits génies du marketing n’ont fait qu’en changer un peu l’organisation - poussant les sociétés à créer des trusts et concentrant les vignobles dans toujours moins de mains. Mais globalement, le modèle est resté le même. Jusqu’à ce que la start-up nation vienne disrupter tout ça.

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Inspirée par l’ubérisation du moindre secteur économique encore rentable, une nouvelle génération d’entrepreneurs s’attelle en effet à monétiser vos cuites. Et le premier marché qu’ils ont investi est votre approvisionnement – quasi permanent - en jaja.

Face à l’immensité de cette tâche, des boîtes comme Vesper ou KOL rivalisent d’innovation pour que votre accès à l’alcool soit le plus simple possible. Applis à l’UX ultra-travaillée, géolocalisation, cartes bleues enregistrées, partage d’addition et livraisons en un temps record… Tout l’arsenal technologique moderne est mis au service de votre passion pour le Moscow Mule. Et ça marche. Car s’ils sont les héritiers des Mister Apéro, Allo Alcool et autres Apéro Night - qui livraient des bières, des clopes et des feuilles OCB longues aux étudiants des années 2000 – ces startuppers ont une tout autre ambition.

D’abord, exit les prix ultra-prohibitifs, pratiqués par les pionniers du secteur qui n’hésitaient pas vendre une 8.6 au prix d’un Dom Pérignon – au motif qu’ils avaient la gentillesse de vous la livrer à domicile. Tellement 2000, cette façon de penser ! Chez KOL, la première bouteille de vodka, de la Wyborowa, est à 16,90 €. Quant à la marque développée par l’entreprise, elle vous reviendra à 24,90 €. « Et c’est une vodka de la qualité de Grey Goose. C’est le même blé français et le même processus de distillation. Sauf qu’il y a deux intermédiaires en moins », se félicite Martin Gunther, 28 ans, président cofondateur de KOL. Et la verticalisation de l’activité ne s’arrête pas là puisque cette entreprise fondée en 2015 prévoit prochainement d’élargir son offre au pinard. Voilà comment on génère plusieurs millions de chiffre d’affaires – avec seulement une vingtaine de collaborateurs.

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Chez Vesper, on assume d’être un poil plus cher, mais on mise sur la qualité du service. « Les anciens services fonctionnaient mal. Les commandes par téléphone étaient compliquées. Aujourd’hui personne n’a envie de faire ça ! Là, tu choisis sur l’appli, c’est prépayé et on peut même diviser l’addition entre les personnes présentes », déroule Julian Guillen, 30 ans, gérant et fondateur de la société lyonnaise. Tout est dit. Par essence, ces entreprises de service reposent sur la simplicité de la consommation, plus personne ne veut d’un service difficile d’usage.

« Nos clients sont des urbains de 27 ans et + qui n’ont pas envie de faire la queue chez Carrefour » - Julian Guillen, 30 ans, fondateur de Vesper

Le grand paradoxe de ce joli business, c’est que pour demeurer rentable, il doit s’adresser à des gens vivant dans le même secteur géographique. Des gens qui, justement, ont un supermarché à moins de 300 mètres de chez eux. « Nos clients sont des urbains de 27 ans et + qui n’ont pas envie de faire la queue chez Carrefour », résume-t-on chez Vesper.

C’est l’une des règles de base de la start-up nation : viser un public dont la principale caractéristique est de ne pas vouloir se faire chier. Or, aucun humain ayant du pognon n’aime se faire chier. Ni chez Leclerc, ni chez un dealer. C’est d’ailleurs pour ça que les deux jeunes patrons se disent prêts à réfléchir à la vente de weed si celle-ci devenait légale en France. Ça change tout de suite notre regard sur la tech, non ? Personne ne se plaindrait d’un drone capable de nous livrer un gin tonic dans une main et un joint pré-roulé dans l’autre.

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« On ne livre pas d’alcools de mauvaise qualité, qui sont dangereux pour la santé » – Martin Gunther, 28 ans, fondateur de KOL.

Autre règle fondamentale : un client mort est un mauvais client. Et parce que l’alcool est responsable du décès d’un jeune sur quatre, la start-up nation vous en facilite l’accès… tout en veillant sur vous mieux que ne l’a jamais fait un « capitaine de soirée ». Sur ce point, chacun à sa technique : « on ne livre pas d’alcools de mauvaise qualité, qui sont dangereux pour la santé », assure Martin Gunther, fondateur de KOL. Chez Vesper, on refuse de vendre des « wine & fruits », malgré les demandes des clients et l’insistance des fournisseurs, pour « encourager les jeunes à la surconsommation », explique Julian Guillen. L’autre argument, bien sûr, est la sécurité offerte par le service de livraison à domicile : « cela évite aux gens de sortir et de se confronter à la vie nocturne, qui peut être compliquée. On peut nous reprocher beaucoup de choses mais notre service augmente le niveau de sécurité des consommateurs de nuit. Ça a changé la vie de nombreux Parisiens ». Des bienfaiteurs, on vous dit.

Vous l’aurez compris, les entrepreneurs next gen sont tout de même bien différents de leurs prédécesseurs ultralibéraux. Eux revendiquent un certain sens de l’éthique. C’est pourquoi la French Tech est également présente de l’autre côté de la cuite, au moment où votre processus décisionnel est altéré par les neurotoxines. Des services allant de l’éthylotest connecté au reporting de datas et la mise en relation anonymisée avec un médecin, sont désormais disponibles sur le florissant marché des applis. Mais la plus intéressante de ces technologies est indéniablement le dépistage à distance avec reconnaissance faciale, qui certifie que la personne qui souffle est bien celle qui doit le faire. Soit l’utilisation pour une bonne raison d’une technologie dont tout le monde craint l’impact sur les libertés individuelles.

Car la start-up nation fournit aussi les armes du contrôle technologique. D’une main, on vend ; de l’autre, on contrôle. Ça vous rappelle une façon de gouverner ? C’est normal.