MAD Exhibition VIEWS A visual dialogue about the canal zone
Culture

Comment ces designers interprètent la zone du canal à travers leurs oeuvres

Jusqu'au 29 septembre, l'expo VIEWS au MAD invite 19 artistes à interpréter la zone du canal.

S’il y a bien un endroit qui reflète parfaitement l’ambiguïté propre à Bruxelles, c’est sans aucun doute la zone du canal, où les boutiques de luxe se mêlent aux kebabs et autres nightshops. Riche de sa mixité, ce quartier bruxellois regorge d’innombrables possibilités socio-économiques susceptibles d’attirer le public. Il est toutefois impossible de nier la gentrification qui sévit dans cette zone, et qui atteint de plus en plus Molenbeek, juste de l’autre côté du canal.

Publicité

Mais comment interpréter le caractère ambivalent de cet endroit plein de vie ? La quête de la mixité transforme-t-elle la population de ces quartiers ? Ce sont les questions que le MAD a posées aux dix-neuf designers et graphistes sélectionnés dans le but de créer un dialogue visuel autour de la zone du canal.

Nos quartiers généraux étant implantés dans cette zone, VICE est allé à la rencontre de quatre d’entre elleux, afin de comprendre en quoi leurs projets et leurs oeuvres incarnent l’esprit de cette partie de la ville.

PAM & JENNY, Nathalie (51 ans)

Pam-and-Jenny-MAD

VICE : Salut Nathalie, tu pourrais nous en dire un peu plus sur cette oeuvre ?
Nathalie : Ça fait 50 ans que je vois Bruxelles évoluer dans tous les sens. Il y a beaucoup de positif mais aussi du négatif, comme dans toutes les villes. J’ai donc inscrit sur un tapis mes impressions sur Bruxelles à travers des mots et des phrases, positives comme négatives donc. Ça partait d'un truc assez personnel, d’un travail de réflexion : « Qu'est qui me rend fière à Bruxelles ? Qu’est-ce qui m’excite ? Qu’est-ce qui me rend confuse dans le centre ? ».

Ça a été difficile de trouver tous ces points positifs et négatifs à Bruxelles ?
Les idées venaient par-ci, par-là. Puis, c'est vrai qu'il y a eu un moment où j'étais perdue et je ne trouvais pas les bons mots. J'ai donc été aidée par une éditrice, Jessica Gysel, qui est venue avec des idées un peu plus revendicatrices et un volet moins personnel. J’y ai ensuite ajouté quelques petits décalages et des notes d'humour. Je voulais que ça reste léger, tout en abordant des sujets plus importants qui, finalement, forment notre ville.

Publicité

Pourquoi le marché de Noël se trouve du côté négatif ?
Parce que je déteste le Marché de Noël. Qui ne déteste pas ça ?! Quand on oublie que ça a lieu, on débarque au centre et on se dit : « Merde, c'est aujourd'hui ». Je trouve que le Marché de Noël est emblématique de la politique à Bruxelles : on veut tout développer en fonction du tourisme et du grand public. On essaye de faire de Bruxelles une ville musée très ancrée sur le tourisme, en dépit de ses habitants.

« Je déteste le Marché de Noël. Qui ne déteste pas ça ?! »

Et le communautarisme alors ?
Alors oui, ce sujet était d'office du côté négatif pour moi. Je vise là autant les communautés belgo-belges, francophones et néerlandophones, que les communautés d'origine étrangère. Ça se trouve du côté négatif parce qu’on a tendance à rester chacun dans son coin, dans sa petite communauté. Ainsi, il y a des ghettos qui se développent, même si ce n'est pas qu'uniquement à Bruxelles.

Du côté positif on retrouve la phrase « Poor but sexy ». Tu peux développer ?
La Région de Bruxelles manque de moyens à cause du système des impôts, de la mauvaise répartition des budgets, etc. Ce manque se reflète au niveau de la sécurité et de la propreté, par exemple. Évidemment, il y a plein de bonne volonté, mais pas assez de moyens. Bruxelles est donc, selon moi, une ville pauvre mais quand même sexy ! Sexy parce que malgré tout, Bruxelles on l'aime, on y vit bien et elle attire du monde.

Publicité

FACE TO FACE, Delphine (40 ans) et Flore (45)

VICE : Hello Delphine et Flor, quelle est l’idée derrière cette oeuvre ?
Delphine : On a voulu mettre en lumière le terrain de basket qui se trouve à côté du canal, à la place du Nouveau Marché aux Grains. Il y a beaucoup de passage à cet endroit mais, à certaines heures, ça devient un peu glauque. On avait donc envie de reproduire les traits de ce terrain avec des lumières, pour que ce soit justement un peu plus lumineux. Puis, on y a ajouté des termes typiquement issus du basketball comme ‘cross over’ ou ‘lay back’ et ainsi les mélanger à la vie culturelle de la zone du canal.

« Ce terrain de basket est un peu un ovni dans la Rue Dansaert. »

Pourquoi avoir spécifiquement choisi le terrain de basket de la Place du Nouveau Marché aux Grains comme modèle ?
Flore : Ce terrain de basket est un peu un ovni dans la Rue Dansaert. J'en connais pas beaucoup des terrains de baskets en plein milieu d'une rue commerçante. C'est un lieu atypique et ce projet pourrait peut-être lui donner plus d'importance qu'il en a pour l'instant. On pense que c’est important que ce terrain soit bien conservé, et qu’il ne soit pas transformé en parking par exemple.

Quelle est la fonction sociale d’un terrain de basket selon vous ?
Flore : C’est un lieu de rencontres. Dans tous les quartiers, il y a un endroit où les gens peuvent se rencontrer. Ici, dans la zone du canal, c'est ce terrain en plein milieu de la rue Dansaert. C'est un lieu où les gens se regroupent et qui est constamment occupé.

Publicité

Pourquoi illuminer les traits du terrain de basket ?
Flore : Comme l’a dit Delphine au début, le soir c'est peut-être un endroit qui devient un peu moins safe. Une personne du quartier nous a dit qu'elle ne traversait pas le terrain, mais le contournait. Elle n’avait pas envie de passer devant une bande de mecs qui allaient peut-être l'emmerder.
Delphine: C’est donc pour ça qu’on a reproduit les traits du terrain de basket en lumière, pour le rendre plus visible et que ça puisse donner envie d'y rester plus longtemps. Et en même temps, ça lui redonne un petit coup de neuf, vu que les traits actuels sont à peine visibles.

Est-ce que le projet sera réalisé dans le futur ?
Delphine : Pour l'instant il ne s'agit que d'une idée, mais on voudrait qu'il soit réalisé. C'est pour ça qu'on souhaite en parler aux institutions pour essayer de le mettre en place : illuminer tous les terrains de baskets de Bruxelles serait génial !

BUREAU WOLEWINSKI, Caroline (32 ans)

BUREAU-WOLEWINSKI

Photo : Alice Somogyi

VICE : Salut Caroline, que représente ton oeuvre ?
Caroline : Je voulais m’engager et parler de ce qui se passe réellement dans ce quartier. Je voulais que le projet ait un aspect social et, par là, tenter de communiquer avec les populations de la zone du canal, parce qu’il y a ici des sociétés émergentes, des shops, et un tas de lieux divers. Du coup, mon oeuvre représente la façade d’un kebab, comme ceux qu’on retrouve dans ce quartier. Ensuite j’y ai ajouté des mots.

Publicité

Pourquoi la zone du canal t’inspire cela ?
Et bien, dans ce quartier, on trouve des boutiques quasi de luxe et, en même temps, des populations ouvrières pour qui s'acheter une chaise design à 3000€ est inimaginable. Ces populations moins aisées ont aussi développé des petits commerces, comme les kebabs, par exemple. Pour moi, la cohabitation de ces commerces représentent parfaitement le quartier de la zone du canal.

« Le but final c'est quoi ? Ce n'est pas d'intégrer ces immigrés, mais plutôt de les éloigner. »

Le fait que ce soit une installation 3D a son importance ?
Oui. Avec cette façade, j’ai voulu recréer cette idée de porte. Qu'est-ce qu'une porte dans la ville ? Comment est-ce qu’elle s'ouvre et se ferme ? Quelles sont les fluxs ? Avec cette ‘porte’ de kebab, je fais allusion à l’entrée dans l’intimité et la sphère privée des habitants du quartier.

Du côté droit de ton oeuvre, on peut lire les mots ‘tensions’, ‘inconsistencies’ ou encore ‘class conflicts’. Tu fais référence à quoi ?
Ces termes font partie de ce qui se passe dans certains quartiers à Bruxelles. D’un côté, on permet aux investisseurs d'acheter de l'immobilier à bas prix pour faire augmenter le marché. De l’autre, on parle de réintégrer, réhabiliter ou revitaliser le quartier. Mais le but final c'est quoi ? Ce n'est pas d'intégrer ces immigrés, mais plutôt de les éloigner, parce qu'ils ne seront plus capables de payer ce genre de loyers.

Ne ratez plus jamais rien : inscrivez-vous à notre newsletter hebdomadaire et suivez VICE Belgique sur Instagram.