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Le vrai business des faux appareils électroniques pour magasins de meubles

Un article dédié à toutes les personnes qui ont été déçues par les ordinateurs en plastique d'Ikea.
Image : TurboProps

Cet article est initialement paru sur Tedium.


Le marketing est un exercice de faussaire, pour le meilleur et pour le pire. Vous n’essayez pas de vendre un gadget : vous essayez de vendre une expérience.

Avec le web, rien de plus facile : vous balancez quelques photos (voire une vidéo) du produit final sur un site au design léché et hop, vous êtes prêt à vendre une « vision ».

Dans la vraie vie, cet exercice de tromperie prend parfois une forme tangible. Imaginez que vous vous baladez dans un magasin de meubles à la recherche d'un nouveau bureau. Pour aiguiller votre choix, vous allez avoir besoin de savoir à quoi ressemblent ces bureaux en situation, c'est-à-dire lorsqu'ils accueillent un ordinateur.

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C'est ici que la « tromperie » se matérialise : l’ordinateur posé sur le bureau n’est pas un iMac, et la télévision qui orne le « meuble multimédia » n'a rien de véritable. Ce qui nous amène à cette question insolite : qui fabrique ces appareils factices ? C'est le moment de plonger dans l'histoire des faux appareils électroniques.

« Où d'autre pouvez-vous acheter un PC IBM tout équipé pour seulement 31,99$ ? »

— Un article publié en 1983 dans PC Magazine qui recommande aux geeks en quête de cadeaux de fin d’année de la jouer potache en achetant un ordinateur IBM bidon. Idéal pour faire croire à sa famille qu'on a carbonisé son portefeuille pour un PC ! La machine factice en question était fabriquée par une entreprise appelée Box Props, fondée en 1981 par trois frères — Lou, Mike et Tim Oates — alors liés à l’industrie du meuble. Lou possédait en effet une chaîne de magasins de meubles préfabriqués. D’après le Greensboro News & Record, la fratrie avait eu l’idée de remplir les espaces vides de ses meubles d'exposition avec de faux appareils électroniques pendant un barbecue.

Chicago et les faux appareils électroniques, une affaire de passion

Chicago est réputé pour ses spécialités locales : la taverne de Billy Goat, The Blues Brothers , les flippers Stern Pinball, la Brown Line du métro, les bars à jeux d’arcade de Schaumburg, ce salon de thé que Billy Corgan va bientôt fermer et le service grossier du restaurant de fast-food The Wiener's Circle.

En revanche, la ville n’a pas obtenu la reconnaissance qu'elle méritait pour son rôle dans la production d’appareils électroniques factices. Pendant les années 80, ses banlieues ont enfanté de plusieurs entreprises qui promettaient de remplir les béances des showrooms des magasins de meubles.

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Box Props, à l’Ouest de la ville, a lancé la tendance en 1981 en utilisant du carton pour créer ses propres postes de télévision et ordinateurs. Au début, l’entreprise employait même des artistes pour dessiner de fausses images sur l'écran. À Northbrook, une autre banlieue de Chicago, Proptronics, une entreprise créée trois ans plus tard, a ajouté du plastique et un certain degré de réalisme à l’équation. Du côté de Crystal Lake, à 60 kilomètres au Nord-ouest de Chicago, la boîte Props by IBM a innové en fabriquant de grands écrans cathodiques entièrement faits de plastique.

Un article du Chicago Tribune de 1988 montre que les trois entreprises étaient si similaires qu'elles étaient souvent confondues, mais aussi qu'elles s'influençaient mutuellement.

« Nous avons un peu piqué l’idée de l'entreprise qui faisait les écrans en carton » admet Joe Barnes, le PDG de Props by IDM, dans une interview pour le Chicago Tribune.

En dépit de la compétition et de leur business très spécifique, les trois entreprises ont prospéré pendant des dizaines d’années. Le marché était assez important pour toutes les supporter.

Aujourd’hui, cependant, vous ne trouverez pas leurs produits en ligne, bien qu’un des successeurs de Props by IDM, Props America, reste actif et difficile à ignorer si vous recherchez des informations sur des accessoires électroniques factices dans Google ou d’autres moteurs de recherche.

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Au cours d'un entretien, Jim Barnes, le fondateur de Props America, nous a expliqué qu'il avait lancé Props America — située à Johnsburg, à environ 16 kilomètres au nord de Crystal Lake — parce qu’il n’était pas prêt à prendre sa retraite.

« Je voulais continuer à travailler avec les mêmes collègues et clients qu’avant, explique-t-il. J’aimais vraiment mon boulot, mon équipe me faisait marrer et les clients étaient super aussi. »

Bien sûr, l'entreprise a désormais de nouveaux concurrents, notamment TurboProps à New York (qui produit également des consoles de jeu) et ePROP à Taïwan (qui fabrique de faux iPhone, logo sur la coque compris). Cependant, Barnes constate que l'industrie des « fake electronics » s’est légèrement contractée lors de la dernière crise financière, ce qui a affecté certaines de ses niches.

L'autre cause de cette contraction, explique Barnes, tient au fait qu'il n'est pas aisé de gérer une entreprise de fabrication basée aux États-Unis dans un monde globalisé. Il rappelle qu’à ses débuts, l’Illinois comptait beaucoup plus de fabricants. Le marché s'est sévèrement contracté depuis. Le rebond de l'immobilier et la diversification ont aidé Props America à survivre, mais le marché reste particulièrement concurrentiel.

« Exploiter une petite entreprise qui fabrique aux États-Unis peut être ardu » ajoute Barnes.

73 millions d'euros

C'est le coût estimé de l’industrie de la nourriture factice au Japon, selon The Guardian. Ce phénomène, particulièrement populaire dans le pays depuis les années 20, permet aux clients de choisir leur plat sans utiliser de menus. Les modèles utilisés par l’industrie de la restauration japonaise peuvent être très complexes et coûter des centaines d’euros. Ce phénomène, bien que moins fréquent aux États-Unis, est encore largement répandu. (Props America produit une gamme de faux aliments.)

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Mais comment fabrique-t-on un faux poste de télévision ?

Parcourir le site web de Props America peut être bizarrement stimulant, notamment parce que le catalogue de l'entreprise est énorme. Les pseudo-interfaces des imitations d'iPad ont manifestement été conçues avec soin. La réflexion et les efforts fournis pour créer ces produits qui ont l’air vrai — mais pas tout à fait — sont manifestes. On pourrait facilement s'y méprendre pendant une visite à Ikea, même un instant.

Barnes, qui fabrique ces objets depuis des décennies, affirme qu’il s’inspire des objets qu'il croise sur les rayons des magasins d'électronique authentique.

« Je repère les différents styles de télévision à Walmart, Target, BestBuy, etc… Puis je retourne dans ma boutique, j’esquisse quelques dessins et un modèle en bois me sert de prototype, raconte-t-il. Une fois que j’ai quelques échantillons qui me plaisent, je les envoie à notre atelier pour créer les outils et moules à utiliser pour la production. »

Ce processus, qui prend généralement quatre à huit semaines, a aidé l’entreprise à produire un grand nombre d’objets pour ses clients, notamment des télévisions à écran plat incurvé de 60 pouces et des ordinateurs portables dont l’écran se replie comme un vrai. (L’entreprise nous a gentiment envoyé des photos de son usine.) Pour quelques billets de plus, Props America vous permet d’ajouter l’image de votre choix sur les différents écrans proposés à la vente.

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Ces appareils ne sont pas fonctionnels mais ils ne sont pas donnés pour autant : certains téléviseurs vendus par Props America coûtent plus de 80€. Ce n’est pas autant qu’une véritable télévision de 152 cm mais c'est plus qu'un jouet. En effet, ces produits doivent avoir l’air réel et pour cela, ils doivent être à peu près fonctionnels. Les claviers des ordinateurs doivent être réalistes, les téléviseurs doivent pouvoir être fixés aux murs.

« Le poids et l’installation sont très importants pour les téléviseurs à support mural, explique Barnes. Les deux autres facteurs sont le stockage et le vol. Le vol est un problème considérable dans les logements inoccupés, qui représentent une grosse partie de notre commerce. »

On peut tracer une belle histoire de l’innovation technologique en consultant les catalogues d’autres entreprises de faux appareils électroniques. En 2012, le site web de Props by IDM proposait des objets factices élaborés : un iPod branché sur un haut-parleur et une sélection de faux DVD avec des noms vaguement inspirés de vrais films comme Boy Story, Claws ou American Sky.

Avant les écrans plats, les faux téléviseurs étaient construits sur le modèle de l'écran à tube cathodique — un produit que Proptronics a vendu jusqu’en 2006, aux côtés de magnétoscopes et autres home cinemas.

Dans certains cas, les accessoires n’avaient même pas besoin d'être électroniques. L’article du Chicago Tribune de 1988 indique que Box Props fabriquait aussi de fausses encyclopédies, à l’époque où ces dernières étaient encore vendues sous leur forme physique.

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Props America propose avant tout des ordinateurs et des téléviseurs mais il a diversifié sa clientèle au fil des ans. Les produits de l’entreprise ont été utilisés de nombreuses façons — la nourriture factice s’est retrouvée dans des mariages et des évènements d’entreprise, les écrans de télé et les ordinateurs portables ont été vus dans des émissions de télévision ou dans des clips. Le fait qu'il soit impossible de citer un seul exemple manifeste prouve l'efficacité de ces gadgets.

Barnes évoque une vidéo du talk-show Conan diffusé pendant une soirée électorale de 2012, dans laquelle un panel d’experts apparaît sur scène, un ordinateur portable devant chacun d’eux. Des ordinateurs fournis par Props America, évidemment.

Les ordinateurs portables et les téléviseurs modernes ne peuvent pas être utilisés dans tous les contextes de production. Les entreprises qui se concentrent sur les accessoires de mise en scène ont tendance à proposer de vrais ordinateurs vintage plutôt que des faux. Avoir une entreprise comme Props America à portée de main est une bonne alternative pour les équipes techniques du monde entier.

« J'ai appris à apprécier les opinions des gens au fil des années. Je les écoute tant qu'elles sont livrées avec gentillesse, même si leur propriétaire n'aime pas l'une de mes créations. Certaines opinions sont bonnes, d'autres moins (rires). M'ouvrir et accepter ces opinions m'a permis de grandir et de m'adapter. »

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— Jim Barnes, à propos de ce qu'il a appris de plus précieux au fil de ses années de travail dans le business des objets factices. Barnes sait que le public ne remarque pas souvent ses créations. « Props America s’adresse à un marché très spécifique, explique-t-il. Mais c’est aussi un marché très ludique. »

Une caractéristique intéressante du business de l'électronique factice est que beaucoup considèrent que ces appareils se cantonnent aux magasins d’ameublement. Le truc, explique Jim Barnes, c'est qu'un petit évènement survenu il y a quelques décennies est venu tout bouleversé : la naissance d'Internet.

De nos jours, le mobilier s’achète en ligne, sur des sites comme Amazon ou Wayfair. Cela signifie que les boutiques d’ameublement ne sont plus aussi soucieuses de la mise en scène. Celles qui le sont encore, comme Mattress Firm, sont si vides que les utilisateurs de Reddit accusent l’entreprise d’être une façade pour un programme de blanchiment d’argent.

Barnes indique que la plupart de son activité provient du « home staging » (valorisation immobilière)— des professionnels de l’immobilier et de la décoration intérieure qui transforment des maisons clés-en-main agencées et embellies selon les dernières tendances.

« La plupart de nos clients actuels sont des home-stagers, des constructeurs et des agents immobiliers, détaille Barnes. Nous travaillons encore avec les magasins et les fabricants de meubles, mais l’environnement de la vente de mobilier a radicalement changé avec le commerce en ligne. »

Ce virage progressif semble toutefois logique. Ces faux appareils électroniques ressemblent de moins en moins à des agréments qu'à des accessoires qui signalent immédiatement la tromperie. Nous sommes passés à l'époque du marketing par écran, qu'il appartienne à une télévision ou un ordinateur. Et où se situe cet écran ? Chez vous, bien entendu.

Contrairement aux meubles, nous voulons voir nos futures maisons avant d’y aménager — ce qui garantit que le marché des appareils électroniques factices a encore de l'avenir.

Barnes note aussi que Props America attire des collectionneurs grâce à sa nourriture factice, comme ce faux sachet de M&Ms à 10€. Et voilà, j'ai presque envie de commencer à collectionner de faux ordinateurs. Juste au cas où j’en aurais marre des vrais.