bonheur pierre thyss
Ilustration : Pierre Thyss

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Life

Le bonheur, c'est très surfait

Comment n’en avoir plus rien à foutre de rien a fait de moi un jeune homme heureux
Paul Douard
Paris, FR

Charles Bukowski écrivait « Comment diable un homme peut-il se réjouir d'être réveillé à 6h30 du matin par une alarme, bondir hors de son lit, avaler sans plaisir une tartine, chier, pisser, se brosser les dents et les cheveux, se débattre dans le trafic pour trouver une place, où essentiellement, il produit du fric pour quelqu'un d'autre, qui en plus lui demande d'être reconnaissant pour cette opportunité ? ». Ce qu’il voulait dire par là, c’est que la vie est passablement merdique pour la plupart d’entre nous. J’ai accepté cette réalité le jour où l’on m’a proposé une augmentation mensuelle de 35 euros brut. Depuis, je surfe sur un tsunami de résignation face à tout ce que la vie me jette au visage. Ceci étant, je trouve dans ce constat une forme de plénitude - ce qui fait de moi un jeune homme relativement heureux, ou a minima sain d’esprit.

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Le bonheur existe. C’est certain. Dans le cas contraire, nous chercherions tous à quitter ce monde le plus rapidement possible. Malgré des chiffres alarmants quant aux nombres de tentatives de suicides en France (78 128 en 2015 selon l’Observatoire national du suicide), il semble que ce ne soit pas le cas. A contrario, certains l’auraient même trouvé. Ce mois-ci sort en librairie La formule du bonheur de Mo Gawdat, chief business officer de Google X, le laboratoire technologique spécialisé dans la robotique et l’intelligence artificielle. L’auteur aurait mis au point une formule mathématique à appliquer pour trouver le bonheur. Je n’ai jamais eu confiance en ces hommes qui portent des casques de téléopérateur pendant leurs conférences TED X et prétendent vouloir sauver le monde - alors qu’il apparaît très clairement qu’ils pratiquent la musculation plusieurs fois par semaine. Dans son livre, l’auteur épilogue sur l’origine de son projet : « J’ai commencé à écrire dix-sept jours après la mort de mon merveilleux fils, Ali, et depuis je ne me suis pas arrêté. Mon sujet de prédilection est le bonheur – thème bien improbable au vu des circonstances ». Pardon, mais je me sens un peu trahi par l’auteur. N’aurait-il pas trouvé le sens du bonheur dans un événement désastreux, et non dans une formule mathématique ? Il semblerait que oui. Raison de plus de n’en avoir rien à branler.

Pour comprendre à quel point l’insatiable quête du bonheur est inutile, il m’a suffi de faire un état des lieux de tous ceux qui m’ont promis le bonheur. L’État Français, qui devait me garantir un cadre de vie décent et qui aujourd’hui m’oblige à utiliser La Poste pour mes colis. Tinder, qui devait me trouver l’amour et qui m’a abandonné, seul, au milieu de rendez-vous gênants. Les entrepreneurs de « l’économie collaborative » qui devaient me permettre de prendre en main mon destin et non me transformer en livreur Deliveroo. Et enfin, mon ex qui préfère les mecs « cools ». Moi aussi, j’ai cru trouver le bonheur dans les vidéos de Maxime Barbier, les coussins à motifs et dans le fait de me forcer à faire des choses que je déteste, simplement pour « positiver ». Mais plus je prenais cette route, plus je m’enfonçais dans la folie. Alors, aujourd’hui, j’ai inversé mon raisonnement.

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À la différence des ingénieurs de Google et des membres de BDE qui ont leur prénom inscris sur leur tee-shirt, mon bonheur se trouve maintenant dans l’acceptation du monde dans lequel je vis, que j’admet comme étant terriblement nul. Michel Houellebecq écrivait dans Les Particules Élémentaires que « Notre malheur n'atteint son plus haut point que lorsque a été envisagée, suffisamment proche, la possibilité pratique du bonheur. » Pour faire simple, la recherche du bonheur conduirait à un malheur dantesque, et à l’inverse l’acceptation d’un malheur infini nous rapprocherait plutôt d’une forme de plénitude. Preuve en est, ce cher Mo Gawtat a découvert sa formule magique à la suite du plus grand drame de sa vie. Je pense donc être dans le vrai quand je dis que le bonheur est un truc de gros con. Cela revient à prendre l’autoroute en sens inverse.

En plus d’un épanouissement certain, il se pourrait même que ma créativité se nourrisse du torrent d’emmerdes que constitue le fait d’avoir 28 ans ans en 2018. Balzac disait dans son roman César Birotteau que « Le malheur est un marchepied pour le génie, une piscine pour le chrétien, un trésor pour l'homme habile, pour les faibles un abîme. » La recherche du bonheur serait donc contreproductive et entrainerait quiconque dans une chute vers la folie. Cela explique pourquoi je me sens parfaitement sain d’esprit lorsque que je soupire à l’idée de me rendre à une soirée déguisée, ou quand 48% de mon salaire disparaît dans mon loyer chaque mois. Si la littérature semble me donner raison, affirmer que je me complais dans le malheur serait inexact, puisque c’est le fait d’accepter sa possible présence qui me facilite la tâche – un peu comme la présence des contrôleurs de la SNCF. Peut-être que le seul espoir de notre génération réside dans l’acceptation la plus totale, la soumission à notre malheur et la destruction des tutoriaux YouTube « Comment être heureux au travail ». Pour le reste, écoutez Houellebecq qui disait dans son essai Rester vivant : « N'ayez pas peur du bonheur : il n'existe pas. » Aucune crainte à avoir, donc.

Malgré l’existence de Twitter , Paul est heureux.

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