Vincent Lambert débat euthanasie
Jérôme Triomphe (à gauche) et Jean Paillot (à droite), avocats des parents de Vincent Lambert, tétraplégique, maintenu dans un état végétatif depuis une décennie.
société

On a écouté ceux qui avaient accompagné des euthanasies

Alors que le débat sur l’euthanasie fait rage en France, j’ai décidé d’écouter ceux qui avaient accompagné des proches dans cette mort particulière.

En novembre 2016, mon père est décédé suite à des complications liées à un cancer des poumons. Une occlusion intestinale, provoquée semble-t-il par une tumeur, l’a envoyé sur le billard. Son cœur, qui s’était mis depuis un moment au free jazz, a lâché quelques heures après l’opération. Même s’il était loin de sa meilleure forme, après des mois de chimio et de rayons, sa mort a quand même été très soudaine.

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Par hasard, quelques semaines avant, alors que j’étais venu passé un week-end chez mes parents, on avait parlé d’euthanasie avec mon père. Juste tous les deux. Au détour d’une conversation tardive, j’en étais venu à lui dire qu’il pouvait compter sur moi si, un jour, trop souffrant, il décidait de faire ce choix. Et ce même si je n’avais pas réfléchi à toutes les conséquences de cette discussion. Plutôt cartésien et progressiste, il n’a pas vraiment répondu et on en est resté là. Et si j’avais dû tenir ma promesse ? J’ai donc voulu en savoir plus sur ceux qui avaient été au bout de cette démarche.

En Europe, l’euthanasie ou le suicide assisté sont autorisés en Belgique, aux Pays-Bas, au Luxembourg et en Suisse. En France, ni l’un ni l’autre ne sont légaux.

En France, la loi Léonetti-Claeys précise depuis 2016 le cadre de la fin de vie. Elle interdit l’euthanasie active tout autant que la prolongation « artificielle de la vie » et « l'obstination déraisonnable » du corps médical, mais prend aussi en compte la volonté du patient de ne pas souffrir. Le champ reste alors ouvert à une action passive. L’arrêt des traitements (alimentation, hydratation, aide à la respiration, etc) peut ainsi aboutir au décès des patients tandis que la sédation peut aider à accompagner. Le tout étant à l’appréciation des médecins. Le fil est alors assez ténu. En Europe, l’euthanasie active est autorisée en Belgique, aux Pays-Bas et au Luxembourg selon des critères bien précis, tandis qu’en Suisse, c’est le suicide assisté qui peut être pratiqué, dès lors qu’il ne répond pas à un « mobile égoïste », comme le précise le code pénal. Le produit mortel peut ainsi être injecté dans une perfusion par un médecin et c’est la personne qui tourne elle-même le robinet.

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C’est dans ce dernier cadre, aux côtés de l’organisation helvète EXIT que la Française Jacqueline Jencquel, 75 ans, aurait accompagné entre « 70 et 100 personnes » à mourir depuis environ 10 ans. Après avoir annoncé dans une tribune du Temps publiée au cours de l’été 2018 qu’elle aurait recours au suicide assisté début 2020, cette militante de l’ADMD (Association pour le droit à mourir dans la dignité), principale organisation à peser dans le débat public hexagonal, a provoqué un certain emballement médiatique. Il faut dire que Jacqueline est plutôt cash. « La vie, la mort, l’amour, le sexe, c’est le cœur de notre vie. C’est l’essentiel » lance-t-elle tout de suite dans la conversation que nous tenons dans un café en plein cœur de Paris. Si je la rencontre, c’est parce que l’ADMD m’a orienté vers elle. C’est une activiste de longue date, à la langue déliée, qui possède beaucoup d’expérience. La première : « J’étais là en observation car on ne se déclare pas du jour au lendemain capable de le faire ou non. L’accompagnatrice d’EXIT m’a prise avec elle pour me montrer comment procéder. » La libertaire qui a vécu une vie bohème plante le décor : « La personne qui avait décidé de partir était un collectionneur d’art genevois atteint d’un cancer du cerveau, incurable. Il était dans une unité de soins palliatifs, mais il voulait mourir chez lui. Il a été installé dans son salon et il a fait venir 15 copains et copines pour être autour de lui, ainsi que son médecin traitant qui n’avait encore jamais vu d’accompagnement. »

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« Il a bu, fermé ses yeux et ronflé 3 fois. Et paf, il était mort. »

Le moment l’a particulièrement marquée par son déroulé d’autant qu’elle n’a pas pu se contenter d’observer : « C’était assez impressionnant pour une première fois. Lui était serein mais il y avait beaucoup d’émotions. À un moment, il y a eu une femme qui s’est mise à pleurer. Et il a dit : “non, non, je ne veux pas de larmes.” Du coup je l’ai sortie pour la consoler. Après il a demandé un dernier verre, du porto. Un de ses amis est parti en chercher dans la cuisine. Mais ça n’allait pas car il voulait des vrais verres à porto. Le gars est reparti puis revenu avec les bons. On a tous trinqué. Il a dit qu’il était prêt. Le produit létal, cette fois-là, ce n’était pas une perfusion, mais un mélange de pentobarbital de sodium avec de l’eau. L’accompagnatrice lui a apporté. Elle lui a demandé s’il était toujours d’accord en lui précisant qu’une fois avalé, ça serait terminé. Il a dit : “oui”. Il a embrassé tout le monde. Et il a bu, fermé ses yeux et ronflé 3 fois. Et paf, il était mort. Il n’y a pas eu d’agonie ou de râle. Ensuite le médecin légiste est arrivé. Petit à petit les gens sont partis. Le légiste puis la police ont constaté que ça n’était pas une mort naturelle. Une heure après, c’était au tour des pompes funèbres… Et puis c’était terminé. »

« On doit essayer de dissuader »

Avec le temps, Jacqueline a appris à mettre de la distance avec les événements. « La mort d’un proche est toujours traumatisante. Mais je pense que c’est moins violent que de voir la personne souffrir. Quand on choisit l’euthanasie, la décision est irréversible. Donc on se doit de proposer le meilleur accompagnement possible. On doit essayer de dissuader aussi. Des gens peuvent appeler pour de mauvaises raisons. Il y a une différence entre quelqu’un qui est dans une dépression circonstancielle et quelqu’un qui serait dans une dépression endogène liée au grand âge par exemple. Quelqu’un qui a perdu son boulot, son mec ou sa nana, et qui va mal, il a peut-être besoin d’un psy, de quelqu’un qui l’écoute, mais on n’est pas sur le même registre. En revanche, si quelqu’un a un cancer qui se propage vite, on va essayer d’accéder à sa demande rapidement. »

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Cela ne veut pas dire pour autant que l’on meurt à la chaîne de l’une ou l’autre des pratiques chez nos voisins. En Belgique, le nombre d’euthanasies réalisées en 2017 était de 2 309 selon le rapport de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie (CFCEE) tandis qu’en Suisse, le nombre de suicides assistés encadrés par EXIT, l’une des associations spécialisée, était de 1020 en 2017 (734 du côté alémanique et 286 du côté romand). En France, il n’existe pas de chiffres officiels puisque la pratique est interdite. Début 2018, à l’occasion d’une intervention à l’Assemblée Nationale portant sur une proposition de loi sur l’euthanasie, le suicide assisté et la fin de vie, Caroline Fiat, députée insoumise de Meurthe-et-Moselle, avait évoqué le nombre de 4000 interventions pratiquées clandestinement en France, chaque année, parfois contre le gré des patients, en s’appuyant sur des chiffres de l’INED (Institut national d’études démographiques). La méthode de calcul étant une extrapolation de données disponibles, elle n’a donc qu’un caractère « informatif » et semble de l’avis de spécialistes haussière.

« Quand la demande de mourir est justifiée, il faut l’entendre »

Pourtant, des Français sont bel et bien concernés. Comme Michel Philippin, 69 ans. Il y a 5 ans, ce militant de l’ADMD a été aux côtés de son épouse Mireille, quand elle est morte en Suisse après 5 ans de consultations, hospitalisations et traitements. Des suites d’une chirurgie orthopédique ratée, sont survenues des complications aux conséquences neurologiques graves : Mireille souffrait alors de douleurs neuropathiques extrêmes. « Des douleurs d’une violence inouïe, permanentes, qui sont là même quand on ne fait rien et qui résistent à tous les antalgiques actuellement connus, même la morphine à doses maximum. » Pour Michel : « Ce sont les faits qui ont imposé les choses. Mireille n’avait qu’une envie, c’était de mourir. Pour elle, c’était le seul moyen d’échapper à l’enfer qu’était devenue sa vie. Quand la demande de mourir est justifiée et devient de plus en plus pressante, il faut l’entendre, l’accepter et l’accompagner avec amour. C’est ce que nous avons fait avec mes enfants. »

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« J’aurais tout donné pour qu’elle reste près de moi »

Quand le jour de la mort de Mireille est arrivé, Michel a essayé d’être le plus serein, pour son épouse et ses enfants. Pudique, il raconte : « Il fallait le faire par amour et être dans l’acceptation car il n’y avait pas d’autres possibilités. Je n’ai pas ressenti de culpabilité mais j’aurais tout donné pour qu’elle reste près de moi, sans ses douleurs. Cela s’est fait dans une grande sérénité, comme elle le voulait. Elle ne voulait pas se jeter d’un pont ou risquer de se rater en avalant des médicaments. Elle voulait partir comme ça, dans la douceur, accompagnée des personnes qui lui sont les plus chères au monde. Ça a été d’une grande simplicité. D’ailleurs je n’aime pas le terme de suicide assisté. Et c’est important de le dire. Ma femme, par exemple, n’était pas suicidaire. »

Outre-Quiévain, Véronique Huet, 52 ans, a aussi été confrontée à l’euthanasie. Mais dans des circonstances différentes, d’abord parce qu’en Belgique, le cadre légal le permettait, mais aussi parce qu’elle a du prendre la lourde décision alors que sa sœur n’était plus consciente. Tôt, un matin de septembre 2015, cette dernière a fait un lourd infarctus qui l’a menée aux soins intensifs. L’ancienne directrice de musée explique : « On est une famille assez fusionnelle, on a beaucoup discuté et on s’est dit que l’on allait tout faire pour la remettre debout. Comme c’était une battante, elle y arriverait. On voulait être très positifs. Et puis après, son mari est revenu. Elle avait refait une attaque et les examens étaient très mauvais : elle était dans un état végétatif. Ils nous ont dit qu’il n’y aurait plus rien à faire. » Le temps est alors suspendu. Quelques heures, quelques jours. Il revient alors au mari de prendre une décision. Celui-ci décide de ne pas la jouer solo. « Mon beau-frère m’a demandé si j’étais d’accord pour arrêter. J’ai bien réfléchi, demandé une contre-expertise et puis on a été à l’hôpital et on a dit ok pour qu’elle parte. Ça a duré une heure environ entre l’arrêt des médications, des machines et l’injection du produit. Ça a été très dur. Pourtant on avait parlé de tout ça avant et je sais que c’est ce qu’elle aurait voulu. Mais quand on aime quelqu’un, on se dit toujours : “et si ?” »

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Le plus difficile, pour Véronique, ça a été l’après. Si elle a été très soutenue, elle a aussi eu du mal à « éviter » le sujet. Notamment en raison des nouvelles technologies, toujours plus insidieuses. Elle constate : « On a été très entouré par nos amis. Du coup on recevait beaucoup de messages, notamment via Facebook. Mais avec ce foutu algorithme, quelques semaines après, je voyais apparaître dans mon fil d’actualité des nouvelles où il était question d’une personne qui avait fait un arrêt cardiaque et qui était revenue en forme, d’une autre à qui il était arrivé autre chose du même type. Ça me pesait beaucoup. À la télé, j’avais l’impression qu’on ne parlait que de ça aussi. Je me disais : “Qu’est ce qu’on a fait ? J’ai été la dernière à dire oui. Et si jamais, et si jamais… ” Mais je sais aussi qu’elle n’aurait pas voulu être vivre dans cet état. Quand elle est partie, je l’ai recoiffée, j’ai mis un peu de poudre, elle était super belle. Elle était libérée. Je préfère rester avec cette image-là. »

« À la très grande limite en termes de légalité »

Secrétaire général de l’ADMD, Jonathan Denis est devenu militant après la mort de son père qui a bénéficié de cette « largesse » médicale, en France. Il rembobine : « J’allais avoir 25 ans quand il est décédé. Atteint d’un cancer, il a eu une période de rémission, puis le cancer s’est généralisé. Un jour, il est venu à Paris, chez moi. Tout de suite, j’ai senti que ça n’était pas par hasard s’il revenait dans cette ville où il a habité, pour retrouver des souvenirs. Alors qu’on était en train de se balader, avec mon ami et lui, il m’a proposé d’aller prendre un café. Juste nous deux. Et on a parlé d’euthanasie. C’était la deuxième fois. Il m’a dit alors clairement que le jour où il en aura marre, il partira, de lui-même. Il ne veut pas attendre après les machines, il ne veut pas dépérir. Il place sa définition de la dignité, de la liberté là. »

Les semaines passent. La maladie attaque plus durement encore le père de Jonathan. Et celui-ci a alors pris sa décision. Malheureusement père et fils se retrouvent assez éloignés géographiquement à ce moment-là. « Je me trouve à Stockholm le 1 er décembre pour la journée internationale de lutte contre le SIDA et mon téléphone sonne » se remémore le trentenaire. « Je vois que c’est mon père et je ne décroche pas. Je me dis que je vais le rappeler car à l’époque ça coûte cher quand on est à l’étranger. Et en fait je ne l’aurais jamais plus au téléphone… Le lendemain, je rentre en France et j’écoute son message. Il me dit qu’il est temps, il me dit qu’il m’aime, qu’il faut bouffer la vie. Il me remercie d’avoir compris. »

Jonathan contacte alors son frère qui vit à proximité. Les pompiers débarquent aussi et constate une prise de médicaments massive. « Mais les choses ne se passent pas forcément comme il avait décidé et il est dans un coma très profond. Sur place, je suis orienté par un ami vers un médecin compréhensif. On a une discussion très franche. Il me dit : “vous comprenez ce qu’a voulu faire votre père ?” Je lui réponds que oui, qu’il avait décidé que les choses devaient s’arrêter. Et les choses doivent s’arrêter sauf qu’il est dans un hôpital, branché, et qu’on ne sait pas où il en est, s’il nous entend. Il me laisse la nuit pour réfléchir. Le lendemain, après une discussion très compliquée avec mon frère qui pense qu’on peut le sauver, dans le bureau de ce médecin, je prends la décision. Et puis dans la soirée du 4 décembre, le médecin fait ce qu’il faut pour le laisser partir. »

En flirtant très clairement avec la loi, le praticien accélère la fin de vie du père de Jonathan : « Il a mis plus de morphine dans les perfusions pour que l’esprit s’endorme et que le cœur s’arrête de battre. À l’époque, il n’y a pas la loi Leonetti, il a fait ce qui se faisait déjà dans de nombreux hôpitaux ou par de nombreux médecins de famille. Il a été à la très grande limite en termes de légalité… »

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