Le Street Art est mort mais il reste Good Guy Boris

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Le Street Art est mort mais il reste Good Guy Boris

Parce qu’il sort à la fois un livre et de prison, on a posé quelques questions au dernier des graffeurs.

« Je suis un simple journaliste. J'ai un blog vidéo, The Grifters, et j'y rends compte de la culture graffiti. » Voilà en substance ce qu'a expliqué Good Guy Boris dans le bureau de la juge des libertés et de la détention, il y a trois ans. À l'époque, il sortait tout juste de quatre mois de ballon en préventive à Fleury-Mérogis. Motif de l'arrestation ? « Association de malfaiteurs » et « dégradations volontaires en réunion ».

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« Les mecs m'ont montré des screenshots de comptes Facebook ou Instagram en me disant que c'est moi qui avais réalisé tous ces graffs. C'était ridicule, à se demander si ces gens comprenaient vraiment le fonctionnement d'Internet. On m'a accusé d'être un taggeur que je n'étais pas. Et comme je suis Bulgare, donc susceptible de fuir dans mon pays d'origine, j'ai pu expérimenter la détention préventive à la française. »

Boris à sa sortie de prison

Depuis, Boris a ralenti sur la 600 ml et forcé sur l'édition : le garçon vient de sortir The Grifters Code: Documenting Modern Graffiti Writing , un recueil de photographies, dédié au monde du graffiti illégal, ses marges, ses drames et ses belles histoires. « Le graffiti contient tous les éléments de la comédie humaine », nous confie Good Guy Boris, qui, décidément, porte bien son nom.

VICE : Lorsque l'on regarde les dix premiers artistes des dix premières galeries d'art urbain en France, on s'aperçoit alors que ce sont toujours les mêmes noms. Comme pour les programmations des festivals de l'été. Je pense que lorsque ces mecs voient ton travail, ils sont embarrassés. Good Guy Boris : Ça, c'est clair. Je suis tout à fait d'accord avec toi. Beaucoup ont vendu leur âme au diable depuis bien longtemps, devenant ainsi des street artistes installés dans des carrières, des mecs qui ne touchent plus la rue. Et il est clair que je ne soutiens pas ces gens-là. Mais il faut vraiment faire un tri, car ce n'est pas vrai pour l'ensemble de ces artistes. Et cette petite nuance compte en fait énormément.

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L'exemple le plus parlant, c'est évidemment celui de Moses et Taps, qui ont un pied en galerie et pourtant, continuent de faire des trains. Ils vendent certaines de leurs œuvres à Zürich chez Kolly Gallery et, dans le même temps, ils forcent le respect de leurs pairs. Moi je me sens à la croisée de ces mondes. Après, en ce qui concerne le grand bradage de la culture graffiti à l'industrie, je dirais que les responsabilités sont plurielles. Elles incombent — entre autres — aux galeristes.

Exemple ?
Certains marchands se gardent bien de dire à leurs acheteurs encostardés que telle ou telle œuvre est le résultat final, le résidu sur toile de milliers de tags réalisés dans la rue. En amputant la partie historique et culturelle des œuvres, ils dépouillent ainsi le graffiti de son ADN. Ils transforment ainsi aux yeux du public des gestes complexes en de simples pièces de décoration. Lorsque tu es passionné de graffiti comme je peux l'être, il est toujours triste de voir ta culture spoliée par les marques, les marchands d'art et de façon générale, par toute la mécanique capitaliste.

Sérieux tu ne penses pas ça ?
Ben, si mec. Moi c'est que je pense. Mais en même temps, il n'y a pas de bible du graffiti. Il n'existe pas de livre avec les 10 lois d'or du vandalisme. Il existe évidemment un ensemble de règles implicites, qui se transmettent comme ça, naturellement, de façon instinctive. Mais il n'y pas d'obligation à suivre un protocole en particulier. Il n'existe pas d'école du vandalisme.

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Il y a quelque chose de schizophrénique dans ce fonctionnement. Des institutions qui commissionnent et financent les mêmes artistes qu'elles décrient et condamnent. Comment tu expliques ça ?

Parce qu'un magistrat, il peut te foutre une grosse peine le matin, acheter une œuvre de Streetart chez Artcurial l'aprèm et gueuler le soir contre les mecs qui taguent les stores. Parce qu'on parle de deux mondes différents. D'un côté, tu as des gens qui créent pour établir des relations commerciales, de pur business. Ceux-là vendent et exploitent une culture. Même quand c'était la leur à la base.

De l'autre, tu as des gens qui peignent dans la rue. Qui grandissent, qui s'élèvent par le graffiti. Certains vont même y construire une vie entière. J'appartiens au second groupe. Et crois-moi, personne ne parle de lifestyle ici. Nous ne sommes pas les seuls à observer ce phénomène de récupération par les industries de la mode ou de l'entertainment. Le hip-hop a connu la même mainmise, le BMX aussi. Plus récemment c'était au tour du monde du tattoo de devenir un gisement bankable pour les agences de publicité.

Celui qui se fait aussi copieusement berner au final, c'est le grand public…
Les gens ? Les gens ils s'en foutent de tout ça. Personne ne s'intéresse à la partie immergée de l'iceberg. Les gens veulent des œuvres contenues dans des cadres, des créations libellées, cotées, chiffrées. S'ils grattaient la surface, ils découvriraient que certains vendent des œuvres à 50 000 € et que, dans le même temps, ces mêmes artistes risquent la prison pour avoir peint dans la rue. Ça n'aurait aucun sens pour eux.

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Business, procès, fame, récupération, jalousie… Est-ce que c'est cet étrange paradigme qui a donné naissance à Good Guy Boris, ton personnage récréatif et drôle ? Tu ressembles un peu au double joyeux et positif de Kidult.
À force de se répéter que le graffiti est illégal, certains se prennent pour des gros thugs. L'idée, c'est de dédramatiser tout ça. Si tu passes ton temps à te prendre pour un gangsta du graff, tu perds de vue le principal attrait truc. Attention, ce n'est pas une blague, mais quand tu sors peindre dehors, t'es plein d'amour et de bonnes intentions. Tu vas peindre avec tes potes, mettre de la couleur partout et ramener le plus de bons souvenirs possible. L'idée c'est de raconter que la subversion est bien vivante tout en disant, graffiti is fun.

Pourquoi t'exprimer sous la forme d'ouvrages ? À quel moment as-tu choisi ce médium pour rendre compte de ton travail ?
J'ai commencé à lire assez tard, et pour moi, le livre est le réceptacle idéal, et le plus noble qui soit. L'idée n'est pas de publier un livre en tant que tel, l'idée est de raconter notre histoire. Lorsque l'on prend le temps de parler avec les writers parisiens ou étrangers, on découvre un véritable monde d'aventures, d'épopées joyeuses, comme de drames. Le graffiti contient toute la comédie humaine. J'aime avoir ce petit pas de côté qui me permet de raconter toutes ces stories, c'est la raison pour laquelle j'ai arrêté de peindre pour me consacrer entièrement à la documentation et aux témoignages d'un mouvement qui a encore du mal à empoigner sa narration. Mais une narration nécessaire, qui d'autre que nous est à même de raconter notre culture ?

Merci mec.

Le livre de Good Guy Boris est disponible sur son site.