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FRANCE

Les blessures invisibles des attaques terroristes contre Paris

Depuis son balcon, Carole avait une vue imprenable sur l’immeuble pris d’assaut par les forces de l’ordre à Saint-Denis ce mercredi matin. Elle était terrifiée par ce qui se passait, mais ne laissait rien paraître, pour ne pas inquiéter sa petite fille.
VICE News / Etienne Rouillon

Depuis son balcon, Carole avait une vue imprenable sur l'immeuble pris d'assaut par les forces de l'ordre à Saint-Denis ce mercredi matin. Elle était terrifiée par ce qui se passait, mais ne laissait rien paraître, pour ne pas inquiéter sa petite fille. Elles sont restées au sol pendant des heures.

« On a juste entendu beaucoup de bruit et je ne savais pas ce qui se passait. Je ne savais pas non plus si les tirs pouvaient nous atteindre, ou s'il y allait avoir des explosions. J'avais l'impression d'être à Bagdad », nous raconte-t-elle plus tard dans la journée, en tenant la main de sa fille devant son immeuble. Ses yeux étaient encore rouges à cause du manque de sommeil et des pleurs. « J'essayais de dire à ma fille de dormir, de rester au lit. Je ne sais pas si j'ai réussi à la calmer. »

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Les habitants de Saint-Denis, dans la banlieue de Paris, ont été réveillés avant l'aube ce mercredi par des rafales d'armes automatiques et des explosions. Les forces spéciales françaises, cagoulées et en tenue de combat, ont mené un raid qui a duré plus de 7 heures dans un appartement du centre-ville où s'étaient retranchés plusieurs présumés terroristes.

Ceux qui vivaient dans le même immeuble que celui des terroristes ont été invités à sortir, pour tous les autres, on leur a demandé de rester calfeutrés chez eux. Au moins 2 personnes sont mortes dans l'assaut et 8 ont été interpellées.

Ce jeudi matin, le mystère reste complet sur la présence ou non dans l'appartement d'Abdelhamid Abaaoud, un des organisateurs présumés des attaques de Paris, qui aurait été la cible de ce raid d'après plusieurs sources policières.

Lors de sa conférence de presse, ce mercredi soir, François Molins, le procureur de Paris, a annoncé que 8 personnes avaient été interpellées, et que deux étaient mortes — dont une femme qui se serait fait exploser. Molins a déclaré qu'Abaaoud ne fait pas partie des personnes gardées à vue, tout en précisant que les corps des deux personnes décédées n'avaient pas encore été identifiés. Le ministère de l'Intérieur n'a « pas exclu » qu'un « troisième terroriste » ait pu être tué, les constatations étant rendues difficiles par l'état des corps.

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Mercredi, alors que la situation revenait à la normale, Carole ne pouvait s'empêcher de penser que ce genre d'événements pouvait se répéter près de chez elle, à n'importe quel moment. « La France a peur. Les gens ne sont pas habitués au terrorisme. Maintenant, c'est le cauchemar. »

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Ahmed Keita et ses colocataires ont aussi entendu des coups de feu ce mercredi matin. Ils ont penché leur tête par la fenêtre, et disent avoir vu les balles fuser. Ahmed, qui est arrivé récemment en France depuis la Côte d'Ivoire, s'est caché dans l'appartement, puis la police est arrivée, leur conseillant de mettre leurs mains sur la tête et d'attendre près d'une épicerie à proximité.

« Nous avons quitté nos maisons, en Côte d'Ivoire, en pensant que nous aurions la paix en Europe », explique Keita, qui remet sa capuche sur sa tête, assis sur les marches d'un immeuble du centre-ville. « On vient jusqu'ici… C'est vraiment décourageant. »

Ce sont les victimes invisibles du terrorisme — ceux qui n'étaient pas forcément présents sur les lieux des sanglantes attaques, mais qui étaient aux premières loges pour assister à cet assaut d'une rare violence des forces de police d'un État déterminé. Alors que la France enterre ses 129 victimes, que les survivants commencent à guérir, la France ne peut pas ignorer cet autre pan du traumatisme.

« Tout Paris est clairement affecté. »

Guillaume Denoix de Saint Marc, Directeur général de l'Association française des Victimes du Terrorisme (AfVT), explique que les téléphones de son association ne cessent de sonner depuis les attaques de vendredi. Des survivants, des amis, des proches, des parents de ceux qui ont été tués, recherchent auprès de l'AfVT des conseils et un soutien psychologique. Au cours des quatre derniers jours, son groupe a rencontré plus de 100 personnes. Ils vont multiplier par 3 leurs employés et déménager dans un endroit plus grand pour recevoir tout le monde.

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« Nous avons toute une vague de personnes traumatisées, qui doivent se faire aider le plus rapidement possible », nous explique Denoix de Saint Marc, dans un café du 17e arrondissement de Paris, près de son bureau. Il s'attend à ce que des milliers de personnes demandent une aide dans les semaines à venir.

« Tout Paris est clairement affecté. Oui, les gens recommencent à vivre, mais vous percevez quand même l'impact des événements sur leurs vies. Ce café devrait normalement être plein de gens à cette heure, mais nous sommes quasiment seuls. Il y a quelque chose qui cloche. »

L'association de Denoix de Saint Marc fournit un accès à des conseils psychologiques, légaux, et une couverture santé pour les victimes du terrorisme partout dans le monde.

Une situation nouvelle

Ce qui est le plus marquant dans cette dernière attaque à Paris pour lui, c'est le fait que les jeunes ont été spécifiquement visés. Un jeune homme a marqué Denoix de Saint Marc. Il a perdu 8 amis dans la tuerie du Bataclan. Beaucoup d'autres ont été sévèrement blessés, et pourraient être handicapés pour le reste de leur vie.

« Ce sont ces gens qui ne devraient pas être tout seuls », explique-t-il. « Ils devraient être en groupe, partager, et ne pas garder les choses pour eux sinon ils vont se sentir coupés de leur communauté. C'est la meilleure manière de guérir », dit-il. « Dans le pire des cas, ils peuvent refouler le traumatisme, et devenir eux-mêmes des individus dangereux. »

Il dit avoir déjà vécu cette situation dans d'autres circonstances. « Le problème vient du fait que les cibles du terrorisme ne sont pas toutes les mêmes, mais font partie de l'ensemble de la société, » explique Denoix de Saint Marc.

« Je veux que leur vie continue. Je ne veux pas qu'ils détruisent leurs vies, alors qu'ils la commencent à peine, en étant trop affectés par ce qui s'est passé. Ce qui est bien quand vous êtes jeune, c'est que votre esprit est flexible, donc il ne faut pas repousser le traumatisme, mais essayer d'en faire quelque chose — et ils peuvent faire des choses fantastiques de ce traumatisme », explique-t-il. « Cela ne va pas arriver dans un futur proche, mais je sais que cela peut marcher avec du temps. »

Un autre point important pour les témoins et les victimes de ce type d'attaques — dont la détresse risque de couver — ce sont les reproches qu'ils peuvent adresser à la société. « Et cela est d'autant plus vrai pour les personnes affectées par le terrorisme », explique Denoix de Saint Marc.

Suivez Rachel Browne sur Twitter : @rp_browne