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Douce France

« Le juge est utilisé comme une arme contre l’expression démocratique »

Alors que s'ouvrent ce vendredi 15 juin les premiers procès des interpellés du lycée Arago, l'avocat Arié Alimi dénonce la répression exercée par l’État à l’encontre de la jeunesse de France. Interview.
Photo : Zakaria Abdelkafi AFP

Ce vendredi 15 juin s'ouvrent les premiers procès des interpellés du lycée Arago. Quatorze d'entre eux sont poursuivis pour participation à un « groupement en vue de la préparation de violences ou de destructions ou dégradations de biens » et pour « intrusion dans un établissement d’enseignement scolaire ». Pour rappel, le 22 mai dernier, au lycée Arago de Paris, 102 jeunes ont été interpellés. 67 d’entre eux ont été déférés devant la justice, dont 40 majeurs et 27 mineurs. Du jamais vu. Leur tort ? Avoir voulu organiser une assemblée générale. La disproportion est telle que des parents de lycéens poursuivis ont saisi le Défenseur des droits. L’avocat Arié Alimi, chargé de leur défense et auteur d’une tribune virulente, dénonce une violence psychologique nouvelle exercée sur cette jeunesse en colère.

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VICE : Mettre autant de jeunes – parfois mineurs – en garde à vue, c’est une nouveauté ?
Arié Alimi : Non, ça arrive parfois dans les manifestations. La nouveauté, c’est qu’ils ont été interpellés dans le cadre d’une assemblée générale se tenant dans un lycée. Et que beaucoup de mineurs ont été concernés, alors que la pratique judiciaire fait qu’il est rare qu’on les mette si longtemps en garde à vue. Là, effectivement, il y a eu une augmentation de la répression.

Les mineurs ont-ils des droits spécifiques ?
Bien sûr. L’ordonnance de 1945 affirme qu’ils ne peuvent pas être placés en garde à vue plus de 24 heures – parfois 48 heures, dans certains cas précis. Toujours est-il que le droit pénal est beaucoup moins répressif à l’égard des mineurs parce qu’on considère qu’ils sont encore enfants. Mais il y a aussi la pratique : traditionnellement, s’agissant des mineurs dans les mouvements sociaux, on ne les place pas en détention provisoire. On remet l’enfant aux parents, sauf quand il y a de véritables dégradations ou violences. Dans le cas du lycée Arago, on parle d’une volonté de faire une assemblée générale. C’est tout ce qui leur est reproché : l’infraction d’intrusion dans un lycée, censée troubler la tranquillité de cet établissement, et le groupement en vue de commettre des violences ou dégradations – ce qui reste encore à prouver, d’ailleurs. On ne leur reproche ni dégradation effective, ni vol. On utilise des infractions très générales qui visent à réprimer des comportements collectifs de nature citoyenne.

L’État cherche-t-il à casser l’élan de politisation de la jeunesse ?
Oui ! Il y a une nouvelle technique de gouvernementalité. L’État, cette fois, a souhaité mettre un terme très rapide à une expression politique de lycéens et d’étudiants en les intimidant de manière extrême. Ils ont été placés en garde à vue, ou enfermés dans un bus pendant quatre heures, sans pouvoir boire ou uriner : c’est une violence psychologique !
Et puis, le juge est utilisé comme une arme contre les mouvements sociaux, contre l’expression démocratique, contre les manifestants. Contre des jeunes mineurs, cette fois. Ça intimide aussi les parents, qui n’ont pas forcément envie de voir leurs enfants subir de tels sorts.

À terme, qu’est-ce que cette politique répressive pourrait entraîner ?
Pour moi, soit elle va intimider au point que certains jeunes vont arrêter toute participation à des mouvements citoyens, soit elle va créer l’effet contraire, c’est-à-dire une forme de radicalisation et de clandestinité. Pour ne pas avoir à subir le même sort, ils vont agir plus violemment, pour être plus efficaces.

En tant qu’avocat, auriez-vous des conseils à donner aux jeunes qui manifestent aujourd’hui ?
Je pense qu’avant d’organiser un mouvement social ou l’occupation d’un lycée ou d’une fac, il faut réfléchir aux moyens juridiques d’éviter de tomber sous le coup d’une infraction. Il faut donc être très créatif, et beaucoup mieux préparer les actions. Par exemple, que des lycéens déjà à l’intérieur de l’établissement créent l’assemblée générale avant que d’autres personnes ne les rejoignent. À mon avis, il faut qu’il y ait une vraie solidarité préalable à toute mobilisation.